Stop Alibaba

Temps de lecture : 5 minutes
Par Quentin Courtois, permanent Jeunes FGTB Verviers

De ǫuoi s’agit-il ?

La plateforme de commerce en ligne Alibaba a été fondée par l’homme d’affaire chinois Jack Ma en 1999. Elle domine aujourd’hui avec Amazon le secteur de l’e-commerce avec respectivement 13 et 14 milliards de dollars de bénéfices entre mars 2019 et 2020.

Alibaba group ne se limite pas à des sites de commerces en ligne mais propose aussi de nombreux services dans l’électronique, le cloud, le paiement en ligne, la géolocalisation, la communication, l’intelligence artificielle, le divertissement ou encore la santé. Voici une définition d’économie de plateforme qui convient pour l’univers d’Alibaba : « La stratégie des plateformes n’est pas d’opérer dans un marché, ni même de le reconfigurer, mais bien de devenir le marché, de capturer les interactions entre offre et demande au sein d’une organisation que l’on peut dès lors qualifier d’entreprise-marché. »1 A cela s’ajoute qu’Alibaba œuvre en réalité dans ce que l’on nomme « l’économie de la connaissance », économie principalement basée sur les données personnelles récoltées sur internet et sur leur capitalisation.

Alibaba Group se décrit comme un « écosystème » complet, présent à chaque maillon de la chaîne de consommation. Cette volonté légitime l’inquiétude par rapport à son impact à moyen et long terme sur le commerce local.

En effet, les entreprises comme Alibaba sont responsables de concurrence déloyale et mettent en vente des produits à prix très (très) bas avec lesquels ne peuvent rivaliser les producteur·rices et les commerçant·es locaux·ales. Ces produits vendus sur les plateformes en ligne sont en majorité des biens de faible qualité fabriqués massivement en Chine.

Et maintenant…

L’expression politique de la jeunesse est clairement en faveur d’une transformation de notre société comme nous le montre les mouvements sociaux youth/student for climate, mouvement des ZAD, etc. de ces dernières années. Il y a un besoin de réponse politique à ces différents mouvements.

Pourquoi cette jeunesse a-t-elle l’impression que les partis politiques n’ont rien fait ? Ou que les acteur·rices institutionnel·les de gauche et allié·es de la société civile n’ont rien fait ? Plus exactement, ces personnes et institutions n’ont pas rien fait : soit elles se sont clairement positionnées en faveur de l’implantation de ce projet destructeur au niveau social et écologique, soit ne s’y sont pas opposées ouvertement ce qui en vient à cautionner et accepter l’arrivée du géant chinois.

Les syndicats doivent défendre l’emploi. C’est le propre de notre travail politique. Cependant, peut-on accepter n’importe quelles formes d’emploi ? Est-il normal d’accepter la venue d’une entreprise qui revend principalement en Belgique des biens produits dans des conditions de travail inacceptables à l’étranger ? La solidarité internationale entre l’ensemble des travailleurs et travailleuses s’arrête dorénavant aux frontières de notre état-nation ? Le capitalisme ne connait pourtant plus de frontières depuis bien longtemps…

En tout cas, on pourrait se poser la question suivante : la montée du capitalisme mondialisé est- elle inversement proportionnelle au déclin idéologique et mobilisateur des organisations syndicales ? Cet extrait de Rudolf Rocker datant de 1938 peut nourrir la réflexion : « Le travailleur qui lie ses intérêts à ceux de la bourgeoisie de son pays plutôt qu’à ceux de sa classe doit accepter tout ce qui résulte de cette relation. Il doit se préparer à mener toutes les guerres que mènent les classes possédantes pour préserver et accroître leurs marchés, à défendre toutes les injustices qu’elles commettront contre les autres peuples. ».2 À la lumière de cette extrait, certes il existe des organismes syndicaux supranationaux mais leur lecture et leur organisation n’est-elle pas en adéquation avec le système politique prôné par les classes dirigeantes ?

En tant qu’organisation syndicale, il est compliqué de lutter contre Alibaba. Cependant, avec audace et en sortant d’une routine bureaucratique, les syndicats pourraient voir en cette lutte un moyen d’activer un renouveau idéologique et de se lier avec la société civile. Il s’agirait d’arrêter de dépendre de l’État et des classes bourgeoises pour les questions d’emploi et de travail afin de questionner voire imposer d’autres directions aux investissements publics en la matière. Cet extrait d’un article du Gresea nous éclaire sur le sujet : « Pour le seul aéroport de Liège, on évoque des sommes cumulées de plus d’un milliard d’euros investis par la Région wallonne depuis les années 1990. (…) Les résultats en termes d’emploi se font toutefois attendre. Ils sont d’ailleurs relativement modestes au regard des sommes investies. Une récente étude de l’Université de Liège nous apprend en effet que l’aéroport représentait en 2018 un peu plus de 4.000 emplois directs (3.420 ETP) et près de 9.000 emplois (7.365 ETP) si l’on inclut les emplois indirects, soit une moyenne de 250.000 euros d’investissements publics par emploi directement créé. À titre de comparaison, cette même somme permettrait de payer cinq salariés à temps plein dans une ASBL ou dans la fonction publique liégeoise. »3

Ne peut-on pas faire mieux avec cet argent ? N’y a-t-il pas des secteurs davantage porteurs de sens et avec un plus haut taux d’employabilité qui pourraient être financés ?

Pour conclure, face à la pénurie d’emploi et la difficulté d’attirer les jeunes en entreprise, nous avons besoin de dépasser en tant qu’organisation syndicale les discours paternalistes type

« les jeunes n’ont pas de courage de nos jours », « les jeunes ont le cul dans le beurre, voilà le problème » qui sont courants dans notre société. Nous ne voulons plus participer à votre monde, nous ne voulons pas de vos réponses sorties des années 70. En tant que Jeunes FGTB, nous nous positionnons contre Alibaba et son monde mais surtout pour d’autres solutions vectrices d’emplois et de sens. Nous n’avons rien à inventer, simplement à investir dans les initiatives qui, contrairement à Alibaba, sont sous-financées comme les coopératives, les maraichers, les emplois publics, etc…


En chiffres

À terme, les entrepôts de Cainiao devraient occuper une surface de 380 000 m2. Pour les Liégeoi·ses, cela équivaut à onze fois la surface de la clinique Mont Légia ou encore à la superficie du quartier Outremeuse.

// À Shanghaï, l’entrepôt de JD.com, autre entreprise chinoise d’e-commerce, a été automatisé en juin 2018, passant de 400 à 4 emplois subsistants 13, pour une surface de plus de 10 000 m2. Surconsommation et déchets // Entre 2017 et 2019, le nombre de colis issus du commerce électronique qui a transité par Liège Airport est passé de 384 mille à 362 millions. // « L’arrivée d’Alibaba induira 1500 camions supplémentaires chaque jour sur les routes », a déclaré Luc Partoune (ex-CEO de Liège Airport) en janvier 2019. // Entre 2007 et 2018, les géants de l’e-commerce ont détruit 81 000 emplois en France. On estime que chaque emploi créé par ces entreprises en détruit deux dans les petites et moyennes entreprises (PME). // Fin 2020, la filiale Alibaba Cloud a utilisé son logiciel de reconnaissance faciale pour aider à la surveillance des Ouïghours, minorité fortement réprimée par l’État chinois.


Sources

https://watchingalibaba.be/pourquoi/ https://stopalibaba.com/s-informer/

  1. https://mirador-multinationales.be/textes/sec- teurs/article/fuite-en-avant-logistique-quelles- consequences-quelles-resistances
  2. Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme, Rudolf Rocker, 1938
  3. https://mirador-multinationales.be/textes/sec- teurs/article/fedex-tnt-le-pari-logistique-sous- tension

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