Par Alessandra Vitulli, chargée de communication aux Jeunes FGTB.
Suite au meurtre de Nahel, tué au cours d’un contrôle de police, des révoltes ont éclaté dans plusieurs villes de France en réponse aux violences policières. Ces mouvements collectifs de protestation n’ont pas manqué de faire réagir et, parmi ces réactions, certaines féministes et figures de la gauche ont pointé une violence « viriliste ». Le Monde a titré « Émeutes urbaines : “Il est grand temps de repenser l’éducation des garçons” » (d’une citation de Christine Castelain Meunier, sociologue). Lucie Paytavin, autrice du livre Le coût de la virilité, a également partagé son avis sur les réseaux sociaux : « La violence des hommes. Encore ».
Bien que le lien entre violence et virilisme puisse être analysé dans bon nombre de situations, on pourrait tout de même se demander si ces dénonciations ne tiennent pas plus d’un féminisme blanc, bourgeois et opportuniste que d’une réflexion guidée par la convergence des luttes. Il est important de rappeler, ici, que les hommes racisés sont les cibles principales des violences policières. En dénonçant la violence des actes de contestation qui ont eu lieu partout en France, en la qualifiant de « viriliste », on délégitime totalement cette révolte populaire à laquelle prennent part ces victimes des violences policières et on pointe du doigt ces hommes non-blancs, estimant qu’ils n’ont pas eu la bonne réaction mais aussi que leur violence aurait besoin d’être contenue. Ce discours permet alors de légitimer le recours étatique à l’institution policière pour contenir ces « hommes violents » – précisément ceux qui meurent déjà sous les coups et les tirs de la police – et alimente un racisme déjà extrêmement présent dans la société.
Les hommes racisés subissent déjà le racisme de la police, ils doivent maintenant aussi encaisser celui des féministes blanches quand ils osent y répondre. Mais cette représentation de la masculinité non-blanche n’est pas nouvelle puisque les hommes noirs et arabes ont souvent été dépeints comme violents, barbares et, plus récemment, comme incarnant une certaine « masculinité toxique ». Il s’agit là de figures héritées d’un système colonial véhiculant cette imagerie d’hommes dangereux.
Si dénoncer le virilisme est généralement plus que légitime, faire l’économie de l’analyse de race dans cette situation est au mieux un raisonnement un peu simpliste et au pire purement raciste. Or, ces discours présupposent la prévalence d’un seul rapport de domination sur tous les autres. Mais faire passer le racisme au second plan quand on parle de violences policières pour tirer la couverture à soi et ne développer qu’une analyse de genre, c’est une démarche que l’on pourrait même qualifier de malhonnêteté intellectuelle.
Il peut s’avérer utile de rappeler qu’aucune convergence des luttes ne pourra avoir lieu si l’on considère les hommes comme une catégorie sociale homogène. Le système au sein duquel nous vivons n’est pas que patriarcal et certains hommes, bien qu’en position dominante sous certains aspects, se retrouvent en position subalterne dans d’autres circonstances.