L’école des Solidarités

Temps de lecture : 6 minutes
Entretien avec Didier Van der Meeren et Pauline Mallet de l’ASBL liégeoise « Monde des Possibles » (MdP) par Isabelle Vandenberghe, détachée pédagogique aux Jeunes FGTB
Comment est né le projet de l’Ecole des Solidarités (EdS) ?

Didier : L’EDS est un projet qui a été impulsé et soutenu par le MRAX en 2014. Il s’agissait de travailler la formation et rassembler les informations sociales utiles aux travailleur·euses sans-papiers (TSP) pour se débrouiller et survivre au quotidien à Bruxelles. A l’époque, il y avait déjà des occupations de TSP qu’il fallait pouvoir accompagner. Le service juridique et le service social du MRAX étaient dédiés à cette fonction. Avec Joseph Burnotte, de la Commission Wallonne des Travailleurs Immigrés (CWTI), aujourd’hui retraité, nous avions souhaité aller plus loin que la logique pure de formation, même si elle est toujours fondamentale, et donner à l’EDS une dimension de modification, d’évolution de la structure syndicale sur ces questions. De vraiment réfléchir à comment les différentes Centrales professionnelles concernées par les travailleur·euses migrant·es peuvent s’informer sur cette réalité, comment les personnes migrantes peuvent évoluer au sein de la structure syndicale, être formées à son fonctionnement, à celui de la Centrale, comprendre les rapports de force internes au sein de la FGTB pour justement faire évoluer les questions migratoires et d’asile.

Au début, l’une des toutes premières séances de l’EdS s’est tenue au MdP au 1er étage: il n’y avait pas assez de place, on était les un·es sur les autres mais il y avait là déjà des représentants de la Centrale Générale, des Métallos. Quelques personnes qui avaient un peu bougé sur ces questions. C’est probablement ça qu’il faudrait aujourd’hui réactiver et faire évoluer, car l’EdS a concentré ses efforts sur une logique davantage formative depuis lors. Cette logique répond à un véritable besoin car il y a parfois 60 à 80 personnes en séance mais elle éloigne du projet initial : former dans les deux sens, à sensibiliser les un·es aux questions migratoires et d’asile, les autres de comprendre la réalité, la démocratie interne de notre structure syndicale, … 

Ces questions sont fondamentales pour aller plus loin et travailler spécifiquement avec des personnes qui sont intéressées parce que le problème est que les TSP, on le voit bien dans les occupations, c’est la pyramide de Maslow. Leurs besoins fondamentaux ne sont pas rencontrés ; demander de passer dans une logique de plaidoyer alors qu’elles ne sont pas satisfaites dans leurs besoins primaires est illusoire. Et voir comment, avec des personnes qui ont pu se stabiliser, travailler cette logique de plaidoyer pour que dans la CWTI ou d’autres structures et espaces de concertation, les personnes migrantes puissent prendre la parole et être à la hauteur du principe « nothing about us without us ». Qu’elles soient partie prenante de leur lutte et qu’elles soient au cœur de celle-ci.

Comment est organisée l’EdS à Liège ?

Pauline : Par 3 structures : le CEPAG, Promotion & Culture et le MdP. L’intérêt de travailler ensemble est de nous compléter, de croiser nos idées et nos forces. Il y a plus ou moins 150 personnes qui sont venues individuellement depuis 3 ans, à raison de 20 à 80 par séance mensuelle.

Quels sont les thèmes globaux sur lesquels s’articule l’EdS ?

P : Depuis 5 ans, on essaie de travailler sur 4 axes : l’accès au séjour, au logement, à l’emploi et à la santé. C’est généralement autour de ces 4 thématiques que s’articulent les séances et on essaie de faire un programme en fonction des préoccupations principales des gens qui fréquentent l’EdS qui sont pour 80 % des TSP, sinon des demandeur·euses d’asiles qui sont hébergé·es dans les centres de la Croix Rouge. Ce sont des personnes qui passent généralement par la formation Dazibao du MdP qui prépare les demandeur·euses de protection internationale à la sortie des centres d’accueil. Dans ce cadre-là, on les emmène à l’EdS pour faire le lien avec les réseaux existants et puis ce sont les ancien·nes qui ont suivi la formation qui intègrent l’EdS parce qu’ils et elles se sont déjà inscrit·es dans ces réseaux de soutien et militants.

Qu’est-ce que l’EdS apporte qui ne se faisait pas avant ?

P : Selon moi, l’EdS constitue un lieu de réunion indispensable entre ces personnes qui sont très isolées, chacune retranchée dans des logements instables, très invisibilisées puisqu’elles ne peuvent pas faire connaitre leur situation facilement. Le gain apporté par l’EdS, est de créer ce lieu de rencontre, où on peut dévoiler des situations d’exploitation économique, orienter vers des formations, débloquer une demande d’aide médicale urgente, etc. L’objectif est de réunir les forces des participant·es eux/elles-mêmes, du syndicat, des ASBL et militant·es pour trouver des solutions collectives aux problématiques individuelles.  Se mettre en réseau est vraiment essentiel. C’est aussi tenter de redonner un peu de dignité en donnant la parole à ces personnes et de servir de mémoire collective. Nous aimerions travailler cette année à compiler toutes les infos pour servir de mémoire écrite de la lutte liégeoise autour du combat des TSP.

Est-ce qu’une dimension encore plus large, plus collective est possible pour l’EdS ?

P :  Le développement d’autres implantations de l’EdS en Wallonie est déterminant. C’est le cas à Mons, Verviers, Charleroi et Bruxelles. Nous espérons que cela permettra d’essaimer la pratique liégeoise d’affiliation gratuite des TSP à la FGTB. A Liège, l’EdS contribue à faire levier pour un changement de politique migratoire par le biais de la structure syndicale et en participant à des réseaux comme le « Collectif liégeois de soutien aux sans-papiers », en collaboration avec la VSP de Liège. Par ce biais, on fait participer les TSP directement aux débats et aux rencontres politiques. Cela suppose une préparation à la prise de parole publique, une structuration de l’argumentaire, pour renforcer aussi un front commun indispensable.

Sur l’implication plus pratique de l’EdS au sein de la structure syndicale, le module « migration » développé par « Promotion et Culture » est présenté régulièrement à différentes Centrales. Il s’agit d’un outil efficace et important pour l’EdS, qui repose sur des données factuelles mais aussi sur un échange direct entre les membres des Centrales et des TSP qui y sont invité·es.

Est-ce que des projets dépassent les murs de l’EdS ?

P : Il y a la possibilité pour les TSP d’acquérir de nouvelles compétences, comme le collectif de création textile Atemos qui, au plus fort de la crise, a fabriqué des centaines de masques en tissu. Cette expérience a été soutenue par l’EdS durant le confinement. Depuis, ces femmes se sont constituées en ASBL, ce qui donne une nouvelle envergure au projet. Cet aspect « tremplin » de l’EdS est important : servir de passage, de levier pour l’accès aux droits.

Avez-vous d’autres exemples d’avancées concrètes?

: C’est tout l’enjeu, conjointement à la dimension idéologique politique forte, de pouvoir considérer ces personnes comme des travailleur·euses qu’elles sont de facto, pouvoir les reconnaitre en tant que telles. Cette année, l’EdS a été remarquable sur la campagne de soutien à M. Marouf.

P: Ce monsieur venait de terminer ses études d’infirmier et nous a contacté en nous disant «je suis infirmier, je viens de terminer, et j’ai une promesse d’embauche ». Il nous a envoyé ses documents et on s’est dit qu’on allait tenter le coup d’introduire, en parallèle de sa demande de régularisation, une demande de permis unique qui permet d’avoir un permis de travail puis un permis de séjour. M. Marouf était partant de tenter l’expérience, c’est comme ça qu’on a constitué un petit groupe pour porter ce dossier avec la FGTB, la CSC, le secteur de l’intégration. Le dossier a été refusé une 1ère fois, puis a été accepté en recours devant la ministre Morreale, grâce notamment à l’entremise de la FGTB. D’où l’intérêt qu’on soit uni·es dans cette EdS parce que ça permet de faire bouger les contacts de chacun·e. Une fois qu’il a obtenu son permis de travail, le dossier a été envoyé à l’Office des Etrangers et comme on l’attendait, il a été refusé sur le permis de séjour, ce qui nous a permis d’introduire un autre recours pour que le juge se positionne et, dans l’attente d’une décision pour faire jurisprudence, l’Office des Etrangers nous a court-circuité en régularisant M. Marouk.Ce qui est une victoire importante pour la reconnaissance des compétences et de l’existence des TSP !

La revendication est désormais de leur ouvrir l’accès au permis unique et aux formations du Forem ou d’Actiris. La Région Wallonne fait énormément d’efforts, mais les obstacles sont également de taille et nous avons besoin du soutien de tou·tes, employeur·euses comme travailleur·euses.  

Comment les Jeunes FGTB pourraient continuer à vous être utiles ?

Pauline et Didier : nous avons besoin de soutien. Les TSP de Liège et de toute la Wallonie attendent que les Jeunes FGTB appuient le sujet dans les instances syndicales wallonnes.

One thought on “L’école des Solidarités

  1. Philippe Bordignon Reply

    Une multitude de contrevérités sont émises sur la mise sur pied de l’EDS. À ce niveau de mensonge par omission, c’est limite Staline lorsqu’il raye des photos de propagandes ses ex-alliés tombés en disgrâce… Sans l’initiative des TSE de la FGTB Liège-Huy-Waremme – Promotion & Culture, rien n’aurait été mis en place – très sympa, d’ailleurs, d’avoir zappé le taf considérable de mes très excellent-e-s collègues Sidi et Rosario, véritables chevilles ouvrières du projet. En outre, sur Liège, à l’heure actuelle, sans P&C – que ce soit en termes d’équipe ou d’occupation de salles -, rien ne serait possible. La réponse de Didier Van der Meeren est tronquée et lamentablement erronée.

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