Par Nicolas Fragapane, animateur aux Jeunes FGTB
Au cours de ces dernières années, un phénomène de plus en plus inquiétant s’est installé progressivement dans notre société. Il s’agit de la précarité étudiante. En Belgique, il existe très peu de données sur le sujet, il est quasiment impossible d’estimer le nombre exact d’étudiant·e en situation de précarité. Selon une enquête de 2019 sur les conditions de vie des étudiant·es de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, 36% des étudiant·es subissent des difficultés financières régulières tout en étant bénéficiaires d’un ou de plusieurs dispositifs d’aides sociales. Ce qui représente en 2022, 77.852 étudiant·es. Toujours selon cette enquête, 40% des étudiant·es ne bénéficient pas d’aide sociale et déclarent avoir besoin des revenus liés à leur job étudiant pour assumer les coûts liés à leurs études. Ce qui représente 86.502 étudiant·es. On peut donc estimer que 164 354 étudiant·es sont en situation de précarité dans l’enseignement supérieur en fédération Wallonie-Bruxelles.
Ces chiffres sont difficilement mesurables car il y a un amalgame entre les définitions de « précarité » et de « pauvreté ». Ces deux termes sont presque systématiquement utilisés de manière équivalente. Il est pourtant très important de bien les différencier. La précarité, peut se définir par l’absence d’une ou de plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi. L’insécurité qui en résulte peut-être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. La pauvreté, renvoie à un manque dont la provenance peut être de sources diverses. Ce manque peut toucher à l’avoir, et donc à l’argent, au logement, à l’habillement ou à la nourriture.
On peut finalement différencier les deux termes par le fait que la pauvreté est marquée par l’absence ou l’insuffisance de ressources et que la précarité désigne plutôt une fragilité des revenus et des positions sociales qui conduiraient à la pauvreté. Les indicateurs pour les mesurer sont aussi différents : la pauvreté se mesurera par le pourcentage de la population dont le revenu disponible est inférieur au seuil de pauvreté tandis que la précarité se mesurera par les risques et les inégalités pouvant conduire à une situation de pauvreté.
Parmi ces inégalités, on retrouve le job étudiant. Celui-ci est en constante augmentation et cela grâce à nos politiques qui ne cesse de le rendre plus attractif. Il y a peu encore, les étudiant·es pouvaient travailler 475h par an. Depuis le 1er janvier 2023, les étudiant·es peuvent prester jusqu’à 600h à étaler comme bon leur semble durant toute l’année scolaire. Pour les étudiant·es qui ne peuvent compter sur leur famille ou sur une quelconque aide, on peut dire que c’est un cadeau empoisonné car au vu de l’augmentation du prix de l’énergie, du logement et du coût de la vie en général, combiner un maximum d’heures de travail, parfois pendant les heures d’études, deviendra plus qu’une nécessité. Ce qui engendrera un taux d’échec important, un absentéisme plus élevé et enfin une précarité étudiante grandissante.
En permettant à ces jeunes de travailler plus, c’est l’employeur·euse qui est le plus avantagé, les jobistes étant soumi·ses à une cotisation de solidarité ou cotisation ONSS réduite et constituant ainsi une main d’œuvre moins chère. Plus précisément, le montant de cette cotisation de solidarité est de 2,71% pour l’étudiant·e et de 5,42% pour l’employeur·euse, contrairement au taux de 25 à 32,40% pour un·e travailleur·euse ordinaire. Il s’agit donc d’un cadeau qui permet à l’employeur·euse de faire des économies et de ne pas embaucher de travailleur·euses régulier·ères.
Ces cotisations réduites n’ouvrent aucun droit à la sécurité sociale, pas de vacances annuelles rémunérées, pas de droit à la pension, pas de droit non plus au chômage qui aurait été une aide primordiale pour les jeunes privé·es de job pendant le covid. En travaillant pendant leurs études, certains vont risquer de rater leur année d’études, ce qui posera problème pour l’obtention des allocations d’insertion. En effet, une fois les études terminées, l’étudiant·e doit s’inscrire comme demandeur·euse d’emploi afin d’effectuer un stage d’insertion d’un an qui lui permettra d’obtenir une allocation d’insertion. Sauf que pour obtenir cette fameuse allocation, le jeune doit avoir moins de 25 ans au moment de la demande ce qui devient un problème suite à l’allongement des études. Une inégalité que l’on ne peut pas s’empêcher de remarquer quand on sait qu’un·e apprenti·e en CEFA peut valider son accès aux allocations d’insertion sans devoir effectuer de stage s’iel réussit son année. Il est tant d’harmoniser ces réglementations pour une réelle égalité entre ces différents publics.
Ajoutons à cela la problématique des stages non rémunéré que les étudiant·es doivent réaliser. Les stages se retrouvent dans la plupart des cursus d’enseignement professionnel ou supérieur et demandent un investissement considérable de la part des stagiaires. Ils ne sont pas rémunérés et constituent une forme de travail gratuit. Ils renforcent la précarité étudiante car les frais de déplacement, de logement et de matériel sont à la charge des stagiaires. Celleux-ci peuvent aussi perdre le revenu de leur job étudiant, les stages empêchant de nombreux·euses jeunes de jobber. En contrepartie de ces heures prestées gratuitement : pas de protection liée au droit du travail ni d’accès à la sécurité sociale. Pourtant, les stagiaires effectuent dans la majorité des cas le même travail que le personnel salarié.
Les étudiant·es sont exploité·es de tous côtés et les demandent d’aide explosent. Entre bourses d’études, revenus du CPAS, aides directes des établissements d’enseignement supérieur, tous les indicateurs le prouvent : les étudiant·es sont de plus en plus nombreux·euses à faire appel aux aides financières. Entre septembre 2018 et septembre 2022, le nombre d’étudiant·es bénéficiant d’un revenu d’intégration sociale a progressé de 20 %. L’augmentation du coût de la vie et des études conduit de plus en plus d’étudiant·es à solliciter l’aide du CPAS, les soutiens familiaux dont iels bénéficiaient s’affaiblissant constamment. C’est pourquoi, dans une société où l’éducation est censée être un levier d’ascension sociale, la réalité de la précarité étudiante est une injustice flagrante. Ce problème, que les jeunes FGTB combattent, doit être au centre des préoccupations politiques pour garantir une société plus égalitaire.