Propos recueillis par Julien Scharpé
// chargé de communication aux Jeunes FGTB
Raphaël Arnault est un militant antifasciste qui a participé à la création de la Jeune Garde en 2018. Il en devient son porte-parole jusqu’en 2022 où il remet son mandat pour se présenter aux élections législatives. Il poursuit actuellement son engagement à l’Assemblée nationale comme député du Nouveau Front Populaire de la première circonscription du Vaucluse.
Peux-tu nous dire comment tu en es venu à participer à la création à la Jeune Garde? Quel était plus exactement le contexte à Lyon ?
Tout a commencé pendant le mouvement social contre la loi travail en 2016. Je m’intéressais déjà à la politique depuis quelques années et c’est à ce moment où je m’investis le plus en tant que militant. Je suis notamment à la tête de certains cortèges de jeunesse, c’est dynamique. Et en fait, à ce moment-là, les fascistes sont en roue libre.
Ils ont cinq locaux publics, ils attaquent toutes les manifestations. Soit très frontalement de groupe à groupe, où ils rasaient la manif. Soit autour des manifestations pour attraper des militant·es, leur donner trois gifles et ensuite partir en rigolant. Il n’y avait pas de résistance de notre part et c’est ce qui a provoqué un déclic : il faut reprendre en main la question de notre autodéfense.
On a repris en main la question de l’autodéfense pour éviter que les fascistes massacrent les différents mouvements d’émancipation : les combats syndicaux, antiracistes ou encore les droits LGBT. Par exemple, la marche des fiertés ne pouvait plus passer dans le vieux Lyon parce que la préfecture estimait que ça allait provoquer les groupuscules d’extrême-droite. Il y avait un tel niveau de violence affiché chez eux qu’ils étaient capables de rassembler 150 à 200 personnes pour attaquer la manifestation. Le résultat, c’est que la préfecture a fini par considérer qu’il s’agit de leur quartier et qu’elle ne va pas les exciter en permettant qu’il y ait une marche LGBT.
C’est un truc de fou en vrai. C’est à ce moment qu’on s’est dit qu’il se passe quelque chose de particulièrement inquiétant. Et c’était pareil au niveau de la réponse politique : toutes les organisations de gauche n’arrivaient plus à s’emparer de la question de l’antifascisme pour deux raisons.
Déjà parce qu’il y avait la peur de l’extrême-droite. Celle-ci devenait tel- lement forte qu’on n’arrivait plus à protéger nos mouvements. Mais aussi une autocritique de nos propres mouvements politiques antifascistes : les antifascistes étaient rentrés dans une culture de sur-radicalité. Alors, je n’ai aucun problème quand la radicalité a un objectif politique clair. Mais ici je veux parler de cette radicalité de façade, où on cherche à se faire plaisir en tant que militant·es plutôt qu’obtenir une victoire. C’était ridicule parce qu’on partageait des mots d’ordre lunaires, on refusait d’avoir un service d’ordre sous prétexte que ça faisait trop militaire, mais nos rassemblements ne dépassaient pas la centaine de personnes. Notre image en tant que militant·es antifascistes était catastrophique.
Cette situation était problématique partout, et d’autant plus dans une ville comme Lyon où les fascistes sont en roue libre. On ne rassemblait per- sonne quand on devait être un millier. On a finalement réussi à rassembler plus de 5000 personnes avec la Jeune Garde, et imposer à la préfecture de passer dans le vieux Lyon.
Quels sont les dangers de l’extrême-droite en France ? Les médias ont longtemps parlé de la dédiabolisation du FN/RN, mais qu’en est-il sur le terrain ?
On utilise beaucoup ce terme de dédiabolisation, mais je parlerais plutôt de normalisation du Rassemblement National. Parce qu’en parlant de dédiabolisation, ça donne l’impression qu’il y avait une diabolisation. Ils sont pourtant eux-mêmes et il n’y a pas besoin de les diaboliser : ce sont des fascistes. Il y a en revanche eu un effet de normalisation et d’intégration dans le champ politique et médiatique.
Et ça entraîne des conséquences politiques très concrètes, je le vois encore aujourd’hui à l’Assemblée Nationale où ils y vont comme des porcs. Dès qu’on parle des problèmes de logement, d’alimentation et de pauvreté que vivent les étudiant·es, la seule réponse du RN est de s’opposer à l’islamisme dans les universités. Déjà aujourd’hui, leur présence pèse sur le champ politique.
Même si c’est difficile d’estimer les liens qu’entretient le RN avec les milices d’extrême-droite, on les voit très bien. Ils essayent de les cacher parce qu’ils ont une stratégie pour mieux s’intégrer à la bourgeoisie, mais on arrive à les démasquer. C’est important de se mobiliser parce qu’ils essayent à chaque fois d’intégrer leurs éléments les plus radicaux. Si les mobilisations faiblissent ou cessent, ils vont par exemple pouvoir librement engager un néonazi comme assistant parlementaire. Même si nous pesons encore suffisamment dans la société pour le leur interdire, ils continuent d’essayer.
On sait aussi très bien qu’il existe des militants de l’Action française et d’autres groupuscules qui ont participé à des campagnes du RN. On les avait démasqués à Lyon, où les militants identitaires les plus violents ont participé à la campagne d’une candidate RN.
Pour comprendre le danger de l’extrême-droite, il faut revenir sur un évé-
nement qui m’a beaucoup marqué : le match France-Maroc. Des raton-
nades ont été organisées sur tout le territoire. Deux semaines avant le
match, les responsables du RN parlaient sur toutes les chaînes télé d’un climat de guerre civile, comme si les Marocain·es allaient faire la chasse aux blancs. Ils savaient très bien que ça n’arriverait pas puisque les milices communautaires n’existent pas et que « la chasse aux blancs » ça n’existe pas. Dans les faits, ce match était un moment festif entre les Français·es et Marocain·es. Mais des milices armées d’extrême-droite ont organisé des attaques dans plus d’une dizaine de villes en France. Le but de ces milices est de semer la haine et avoir l’occasion de cogner des Marocain·es. Les responsables du RN le savaient et ont encouragé toute cette violence pour préparer leurs discours de haine.
On se doute qu’il n’y a pas eu de réunion entre les cadres du RN et ces milices. En revanche, ils connaissent leur agenda et savent pertinemment ce qui allait se passer. Ils préparent systématiquement le discours médiatique pour tirer profit d’une logique raciste et infuser ailleurs. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe lorsqu’un ministre de l’Intérieur reprend les termes de l’extrême-droite la plus dure. Ça leur permet de légitimer leur action politique et d’essayer de créer des émeutes racistes comme en Angleterre. En tout cas on s’y prépare.
Et quelle mesure la droite traditionnelle, voire une fraction de la gauche, favorisent-elles le développement de l’extrême-droite?
Pour les macronistes, c’est une volonté politique qui se transforme en volonté idéologique. Ce sont de véritables mollusques intellectuels qui vont préserver leurs intérêts individuels et économiques en tant qu’élu·es et classe organisée. Il va de soi que les macronistes durcissent leur dis- cours pour répondre en période de crise sociale, économique et politique, et se tournent assez naturellement vers l’extrême-droite pour justifier leurs décisions. Ils reprennent les termes de l’extrême-droite et finissent par les valider. Je pense qu’on est arrivé à un stade où typiquement notre Président de la République peut avoir actuellement les mêmes observations que l’extrême-droite sur la société. Pas autant qu’une Marine Le Pen au pouvoir, ça c’est sûr, mais le manque de colonne vertébrale idéologique de certain·es laisse une porte ouverte à l’extrême-droite.
La feuille de route idéologique du RN est le racisme, quoiqu’il arrive, iels y reviennent toujours. Quand les macronistes essaient d’exister face à la gauche, ils n’ont aucun problème à raconter n’importe quoi. Iels reprennent à leur compte le discours d’extrême-droite si ça peut servir leurs intérêts personnels. Par exemple, un député était revenu avec ces histoires d’antisémitisme dans le mouvement de soutien à la Palestine dans les universités. Comme ça me saoulait, je suis allé le voir après la commission pour lui demander s’il y croyait vraiment. Je lui ai demandé pourquoi il s’intéressait soudainement à l’antisémitisme comme il n’avait jamais rien fait avant. Mais à part relayer des fake- news, il n’y avait rien. Ça se voit dans leur regard qu’ils y croient à moitié et que c’est seulement répéter le discours médiatique qui permet de taper sur la gauche.
Ce que j’observe aussi, c’est que des personnalités de gauche s’adaptent à un discours médiatique ambiant pour exister politiquement. Et là tout s’écroule, parce que dans le contexte actuel, ça revient à tenir des discours objectivement de droite. Heureusement que nous avons une force politique dans le pays qui est arrivé à recentrer la gauche et en reprendre les rênes. Mais celles et ceux qui sont tenté·es par l’opportunisme médiatique devraient regarder ce qu’il se passe sur le terrain et se faire une raison. La campagne qu’on a gagnée à Avignon révèle aussi un peu ça.
La situation actuelle en France, c’est qu’on part de loin. Je pense à l’assassinat de Martin Aramburu en plein Paris par l’extrême-droite, le 19 mars 2022, à 3 semaines du 1er tour des élections présidentielles. Aucun·e responsable politique, même de gauche, n’en parle. Ce drame aurait dû être un tournant durant la présidentielle. Mais à cause du manque de consistance de certain·es, on laisse l’extrême-droite agir.
Maintenant, avec la place que la Jeune Garde a ramené à gauche et dans le paysage politique, on ne se laissera plus faire. Nous ne comptons plus laisser l’extrême-droite commettre des meurtres et attentats sans que toute la gauche réagisse.
À tes yeux quels objectifs généraux doit se donner l’action antifasciste? Ses moyens doivent-ils se limiter à un front républicain ?
On ne s’était jamais imaginé avec la Jeune Garde qu’on arriverait à faire élire un député. On rêvait initialement de s’implanter dans chaque ville et d’avoir une coordination nationale, mais ce n’était pas un projet politique en soi. En revanche, on s’était donné comme objectif de lutter contre le fascisme par tous les moyens nécessaires.
Où que soient les fascistes, on veut s’y opposer et occuper le terrain par tous les moyens. C’est vraiment la ligne politique qu’on a voulu tenir, et pas en faire qu’un slogan pour se faire plaisir. Si l’extrême-droite nous attaque violemment dans la rue, on y répond en sachant se défendre. S’ils essayent d’investir les institutions pour tordre le bras à nos libertés, alors on les affronte dans les urnes et à l’Assemblée nationale. Il y a vraiment cette logique de front à front, où on ne se refuse rien.
Après, sur la ligne politique à avoir, elle ne change pas selon l’endroit où on les affronte. Mais dans la pratique, on s’adapte et on ne se bat pas de la même manière face à des fafs qui tiennent des barres de fer qu’en face de députés en costume cravate. Très bien, ce ne sont pas les mêmes codes, mais on y va avec la même volonté de vaincre et la même ligne politique.
Malheureusement le front républicain est aujourd’hui dévoyé. Déjà parce que le parti du même nom part en vrille, mais aussi parce que celles et ceux qui en appellent au front républicain appliquent des politiques racistes et islamophobes. Par contre, faire un front unitaire contre l’extrême-droite, y compris avec des démocrates qui ne partagent pas l’ensemble de notre ligne, est possible dans un combat spécifiquement antifasciste.
Vois-tu une complémentarité entre l’action parlementaire et l’action de terrain dans la lutte antifasciste ?
Certain·es camarades libertaires et communistes considèrent qu’on ne devrait pas participer aux institutions parce qu’elles corrompent et que ce serait trahir nos principes. Il faut toujours prendre en compte cette critique, parce que les institutions dans lesquelles je suis poussent effectivement à abandonner nos principes. Mais c’est une posture un peu déconnectée des enjeux que nous vivons.
Il y a un certain confort à s’enfermer dans du purisme idéologique. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, c’était possible parce qu’on bénéficiait de l’héritage de la résistance et du fait que les partis communistes européens ont réussi à imposer aux gouvernements des avancées sociales drastiques. À un point que la droite et l’extrême-droite, pour exister politiquement, devaient utiliser notre langage. La génération de nos parents et nos grands-parents ont grandi dans ce contexte où il n’était pas nécessaire de vraiment surveiller les institutions pour construire des rapports de force.
Nous payons aujourd’hui cette erreur et tout part en cacahuète. C’est justement dans ces moments-là où l’on a besoin de camarades à l’intérieur des institutions pour contrôler que les élu·es respectent le mandat qu’on leur donne. Il faut se donner les moyens de tirer les oreilles de celles et ceux qui partent à la dérive.
Avant même que je sois élu député, on avait déjà commencé ce travail de relayer aux partis plus institutionnels les réalités de terrain. Cela passait aussi par le fait de faire signer des appels à manifestation à des député·es, des maire·sses et des militant·es antifascistes pour construire des fronts
unitaires. Je pense vraiment qu’il faut aller partout et par tous les moyens faire prendre conscience des dangers de l’extrême-droite. C’est sur tous les fronts que nous les vaincrons.
Quelles difficultés peux-tu rencontrer depuis ton élection à l’Assemblée nationale?
J’étais vraiment très mal à l’aise en rentrant dans cette institution. Heureusement qu’il y avait mes camarades. Mais j’ai mis du temps pour vaincre le syndrome de l’imposteur. Ces grandes institutions ne nous font pas nous sentir à notre place. On passe du temps à croiser la bourgeoisie, qui de façon générale, nous montre qu’elle ne souhaite pas nous voir là. Ça se voit dans leurs regards et leur attitude qu’ils préfèreraient que je ne sois pas là.
Mais les croiser et les confronter relégitime notre engagement. C’est ce qui donne envie de tout déchirer. Mais ce qui est déconcertant, c’est que j’imaginais que notre force politique allait les pousser à être plus modéré·es. Je pensais sincèrement qu’iels allaient essayer de nous contourner et y aller un peu mollo. Mais la classe politique est tellement déconnectée qu’iels en ont rien à foutre et y vont à 200 à l’heure. Qu’iels ne cachent même pas leur racisme m’a le plus surpris. Mais c’est pour ça qu’on donne tout ce qu’on a contre elleux.