Fémonationalisme : le féminisme est-il devenu le cheval de Troie de l’extrême droite ?

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Par Alessandra Vitulli, chargée de communication aux Jeunes FGTB
Elles sont jeunes et rentrent parfaitement dans les normes de beauté. Elles représentent la vitrine glamour de l’extrême droite, celle qui leur permet de diffuser leurs idées racistes tout en dépoussiérant leur image. Le collectif Némésis se dit « féministe identitaire » et est l’exemple parfait du fémonationalisme, ce courant pseudo-féministe qui instrumentalise les droits des femmes pour promouvoir une idéologie ouvertement raciste et islamophobe.

Qui sont les fémonationalistes ?

Némésis est un collectif composé exclusivement de femmes qui se revendique du « féminisme identitaire ». On retrace leur première apparition à la marche #NousToutes du 23 novembre 2019, à Paris. Les militantes intègrent alors la marche, armées de leurs pancartes « Schiappa les étrangers violeurs sont toujours là » et « Femmes ≠ frontières violables ». Le collectif s’est donc lancé juste après #metoo en surfant sur l’idée de dénoncer les agressions sexuelles mais en optant pour une rhétorique raciste visant à pointer les « agresseurs étrangers ». Par la suite, le mouvement s’est également développé en Suisse et arrive maintenant en Belgique.

Les fondatrices de Némésis et des différentes sections du mouvement proviennent, pour certaines, d’autres groupes d’extrême droite (Bellica Paris pour Némésis France ou encore la Cocarde, syndicat étudiant d’extrême droite ; en ce qui concernent la section Suisse basée à Lausanne, sa fondatrice est une ancienne membre de Militants Suisse). Le collectif est d’ailleurs soutenu par bon nombre de figures de l’extrême droite (Génération Identitaire, Eric Zemmour, le RN, ou encore les revues Valeurs Actuelles et Causeur).

Quelle est leur rhétorique ?

Bien que Némésis se définisse comme un collectif « apolitique », il est évident que la rhétorique utilisée est exactement celle de l’extrême droite. Quand on questionne les membres du collectif à ce sujet, le rapprochement avec les idées d’extrême droite ne semble pas particulièrement les déranger puisqu’elles affirment qu’elles « s’en fichent »[1]. Elles se disent d’ailleurs ouvertement contre l’immigration.

Elles présentent les acquis des luttes féministes comme des marques de civilisation propres aux pays européens et s’en servent pour dénoncer l’islam et l’immigration non-occidentale, érigeant la civilisation européenne en idéal d’égalité où les femmes seraient libres et égales aux hommes. Une des militantes l’exprime d’ailleurs assurant qu’en Occident, « le patriarcat n’existe plus »[2].

Némésis s’appuie sur un discours sécuritaire : les femmes seraient en insécurité à cause des immigrés. L’adjectif « identitaire » fait référence à une culture qu’elles qualifient « d’européenne » et qui, pour elles, serait « protectrice de la femme ». Elles affirment que les harceleurs de rue sont issus de culture étrangère. Pour elles, ce qui différencie Némésis des autres est que les féministes qu’elles qualifient de « mainstream » « invisibilisent » les violences faites aux femmes par les immigrés. Pour Alice Cordier, la cheffe de file de Némésis France, cela s’expliquerait par un « choc culturel » et une « mauvaise politique d’intégration » : « Nous pensons qu’il faudrait expulser les étrangers qui commettent des actes de violences sexuelles/sexistes envers les femmes. Pour nous, c’est une urgence. »[3] Lors d’une manifestation à Lausanne, on pouvait lire sur les pancartes des membres de Némésis : « Violeurs suisses : prison. Violeurs étrangers : expulsion ».

L’autre cheval de bataille de Némésis, c’est « l’islamisation » de la société occidentale et de la France. En janvier 2021, les membres du collectif posaient devant la Tour Eiffel vêtues d’un voile intégral en portant une banderole: « Les Françaises dans 50 ans ? » Dans l’imaginaire européen, la femme musulmane est la représentation parfaite de l’image de la femme non-occidentale victime par excellence de la violence masculine de populations qui seraient moins civilisées. Depuis les années 2000, on constate à la fois une « ethnicisation » des programmes d’émancipation européens qui semblent spécifiquement faire référence aux femmes musulmanes mais également une association répétitive des violences sexistes à l’islam par les médias au travers des faits relayés au sujet, notamment, des crimes d’honneur alors même que les chiffres des féminicides commis par des hommes européens sont alarmants.

Par ailleurs, il est également important de noter que l’emploi élevé des femmes migrantes dans les secteurs du soin et de l’économie domestique a contribué à permettre aux femmes occidentales de concilier vie familiale et vie professionnelle et donc d’être actives sur le marché de l’emploi, ce qui peut donner l’illusion d’une égalité de genre atteinte pour les femmes européennes. Ces constats sont à mettre en perspective pour comprendre la circulation d’une imagerie représentant les femmes musulmanes (et plus généralement non-occidentales) à l’opposé des femmes européennes en ce qui concerne les questions d’égalité. Et Némésis n’hésite pas s’appuyer sur ces représentations pour construire sa rhétorique.

Quel « féminisme » ?

Ce qui semble fondamental pour les membres de Némésis, c’est de se distancier d’un féminisme qu’elles qualifient de « mainstream ». Pour elles, les féministes « mainstream » refusent de nommer les vrais agresseurs et n’osent pas s’attaquer au sujet qu’elles considèrent comme prioritaire : les violences perpétrées par les hommes issus de l’immigration à l’encontre des femmes. Elles mettent d’ailleurs un point d’honneur à se positionner en « grandes défenseuses des hommes blancs » malgré que leur collectif soit composé exclusivement de femmes[4]. A travers ce discours, elles se positionnent volontairement contre un féminisme antiraciste (souvent qualifié de woke par ses détracteurs de droite et d’extrême droite) proche d’une gauche radicale. L’appellation « féminisme mainstream » est pourtant généralement employée par les militantes féministes les plus à gauche pour qualifier les féministes moins radicales, le courant majeur du féminisme se voulant plus réformiste que révolutionnaire. Les membres de Némésis semblent vouloir inverser cette représentation et laisser penser que ce courant « woke » antiraciste serait majoritaire et envahirait la société. En témoigne d’ailleurs le slogan accolé à leur nom les présentant comme « féministes anticonformistes ».

Pourtant, à leurs débuts, l’appropriation d’une identité dite « féministe » s’est révélée hésitante. Elles ont d’abord choisi de ne pas employer ce terme, expliquant que certaines membres le refusaient, rejetant le « dévoiement du féminisme contemporain ». Depuis, leur tweet mentionnant cette prise de position a été supprimé et l’étiquette « féminisme identitaire » adoptée. Et l’adaptation s’est révélée drastique puisque même les modes d’action féministes se voient réappropriés par le collectif. Ainsi, les militantes de Némésis ont même réalisé des collages comme ceux que l’on peut voir apparaitre sur les murs de nombreuses villes, à la différence près que ceux-ci arboraient des slogans fondamentalement racistes tels que « Rapefugees not welcome »[5]. Et leur manière de se calquer sur les modes d’action et discours féministes ne s’arrête pas là puisque la rhétorique « pro-choix » habituellement utilisée par les féministes pour défendre le droit à l’IVG se voit retournée et instrumentalisée par ces identitaires qui, sans se positionner ouvertement contre l’avortement, disent trouver qu’il y en a « trop » et que les femmes, poussées par la société à avorter, devraient avoir le choix de ne pas le faire.

En ce qui concerne les autres questions habituellement portées par les militantes féministes, hormis la PMA et la GPA contre lesquelles Némésis se positionne, le collectif reste le plus souvent muet ou se contente de les discréditer (comme quand elles évoquent l’écriture inclusive) et de présenter leur combat contre l’immigration et l’islamisation comme seule cause digne d’intérêt. Il y a toutefois un autre sujet dont elles s’emparent volontiers, à savoir les transidentités et le « transactivisme » qui prendrait « bien trop de place » à leur goût[6]. En effet, les discours du collectif regorgent des habituels arguments « anti-genre » homophobes et transphobes de La Manif pour tous et de l’extrême droite prônant la différence homme-femme et leur complémentarité.

Quelles ambitions ?

S’il peut sembler pour le moins original et inattendu de se réclamer du féminisme au sein d’une fachosphère traditionnellement inégalitaire et misogyne, il est essentiel de rester vigilant·e face à ce phénomène puisque si ce discours est employé comme un cheval de Troie féministe par les nationalistes, c’est qu’iels ont quelque chose à y gagner. Si ce groupement au nombre de membres restreint peut sembler isolé et peu dangereux, la rhétorique est celle d’une extrême droite qui instrumentalise les droits des femmes pour gagner du terrain et atteindre une cible clairement identifiée. Et même si Némésis se présente comme apolitique, l’ambition du discours fémonationaliste est très clairement d’impacter la politique institutionnelle en banalisant une idéologie anti-immigration et islamophobe.

Suivant le même procédé, l’extrême droite n’hésite pas à tenir un discours similaire au sujet des personnes LGBTQIA+, présentant les migrant·es (et particulièrement les musulman·es) comme « arriéré·es » en ce qui concerne les questions de sexualité et les plaçant en opposition face à des Etats européens qui représenteraient des « démocraties sexuelles » respectant toutes les orientations et identités sexuelles. Or, la réalité est bien différente puisqu’on est évidemment encore loin du compte et que l’extrême droite, au-delà des discours de façade les plus conciliants, contribue largement au maintien de la stigmatisation à l’encontre des personnes LGBTQIA+.

Chez nous, la NVA a bien compris la mécanique puisque sa présence en grandes pompes à la Belgian Pride depuis plusieurs années est un exemple frappant d’homonationalisme. Et du côté du fémonationalisme, la Belgique n’est pas en reste non plus puisque Némésis vient d’organiser ses premières rencontres belges il y a quelques semaines. Mais les féministes belges ne sont pas prêtes à se laisser faire. Des collages « Némésis not welcome » sont déjà apparus sur les murs de Bruxelles le 8 mars alors que Némésis n’avait pas encore tenté d’apparition publique en Belgique.

Sources :

Dina Bader, Sara R. Farris : In the name of women’s rights. The rise of femonationalism.

Magali DellaSudda, Quand les « nouvelles femmes de droite » s’invitent dans la campagne.

https://www.slate.fr/story/201738/collectif-nemesis-feministes-identitaires-extreme-droite-conservatrices-methodes

https://www.streetpress.com/sujet/1575362795-nemesis-le-groupuscule-extreme-droite-feministe-racisme-catho-fachosphere

https://www.femina.ch/societe/actu-societe/rencontre-avec-le-collectif-nemesis

https://www.rts.ch/info/suisse/12887591-un-collectif-se-revendiquant-dun-feminisme-identitaire-detonne-en-romandie.html

https://www.blick.ch/fr/news/suisse/flyers-autocollants-affiches-avec-le-collectif-nemesis-un-feminisme-dextreme-droite-prend-la-rue-id16958187.html


[1] https://www.femina.ch/societe/actu-societe/rencontre-avec-le-collectif-nemesis

[2] https://www.youtube.com/watch?v=5TGapAhv6dc

[3] https://www.slate.fr/story/201738/collectif-nemesis-feministes-identitaires-extreme-droite-conservatrices-methodes

[4] https://www.youtube.com/watch?v=5TGapAhv6dc

[5] « Rape » signifie « viol » en anglais et « refugees » signifie « réfugiés ». La contraction des deux assimile les réfugiés à des violeurs et le « not welcome » affirme qu’ils ne sont pas « bienvenus ».

[6] https://www.slate.fr/story/201738/collectif-nemesis-feministes-identitaires-extreme-droite-conservatrices-methodes

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