Entretien à l’occupation des sans-papiers de la Gécamines

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Propos recueillis par Miguel Schelck, permanent Jeunes FGTB Bruxelles

Rim est une ancienne travailleuse sociale. Elle est l’une des pionnières dans l’occupation de bâtiment vide par et pour des personnes sans-papiers. Il y a deux ans, elle a quitté son emploi pour s’installer avec son compagnon (lui aussi ancien travailleur social) et ses enfants dans une occupation qu’iels avaient lancée au Sablon. Iels ont travaillé à solidifier le groupe afin d’en faire un collectif solidaire et autogéré. Désormais, iels occupent depuis plusieurs années un bâtiment vide appartenant à la Gécamines, l’ancienne société générale des carrières et des mines, qui a joué un rôle actif dans la colonisation du Congo.

Qui sont les habitant·es du bâtiment de la Gécamines, situé à Watermael-Boitsfort ?

Notre groupe s’est constitué il y a maintenant un peu plus de deux ans au Sablon. Ce sont principalement des personnes qui viennent d’Afrique du Nord, d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’ouest. Ce sont majoritairement des mamans seules avec des enfants et quelques personnes isolées.  À la base, on était une cinquantaine – enfants compris. Depuis, trois familles ont été régularisées et ont pu aller vivre ailleurs.

Comment vous organisez-vous pour que la cohabitation se passe bien ?

Les personnes avec des revenus ont cotisé pour acheter une camionnette. Avec elle, on fait de la récup de mobiliers et de nourritures qu’on partage ensuite avec tou·tes les habitant·es. On organise parfois des repas collectifs, surtout lors d’évènements tels que l’anniversaire d’un·e occupant·e. Pour ce qui est de la gestion des conflits, des décisions qui nous concernent tou·te·s ou de gros achats, on organise des réunions tou·te·s ensemble. Au début, elles étaient hebdomadaire mais maintenant on le fait seulement quand c’est nécessaire. On a également une caisse solidaire où chacun·e met selon ses propres moyens, sa situation familiale, l’espace de la chambre qu’iel occupe, etc.

Quelles sont vos relations avec la Gécamines, la commune et le voisinage ?

Avec le propriétaire, c’est compliqué. Il a directement pris un avocat et a entamé une procédure au tribunal de paix d’Etterbeek pour nous expulser. On est toujours en attente du jugement. Heureusement, on a de bons contacts avec la commune : le Bourgmestre nous soutient publiquement et on a de très bons liens avec certain·es conseiller·ères communaux·ales. Les voisin·es nous apportent majoritairement du soutien aussi. C’est super ! Même avec la police communale ça se passe bien.

Quelles sont vos attentes par rapport à cette occupation ?

On ne veut pas se retrouver à la rue alors que ce bâtiment va rester vide encore des années… On espère réussir à négocier une convention de durée illimitée conditionnée à un projet sur le bâtiment. On espère y arriver rapidement car sans stabilité on a du mal à se projeter et à prendre des décisions importantes. Par exemple, les mamans hésitent à changer leurs enfants d’école. Elles ont peur de les inscrire à Watermael-Boitsfort puis qu’on les mette à la rue. Dans un coin de notre tête, il y a toujours cette pression, cette menace de se trouver dehors. Et celle-ci nous empêche de nous poser. Même moi j’ai encore des cartons que je n’ai pas déballés. Je me dis que ça ne sert à rien, que de toute façon on va peut-être bientôt devoir repartir. On peut même rester dix ans : sans convention, psychologiquement, il n’y a pas de stabilité et on ne se sent pas en sécurité.

Quels sont les arguments que vous avez donné à la Gécamines pour rester ici ?

On leur a expliqué à quel point c’était bénéfique pour eux : que notre occupation peut permettre de faire sauter certaines taxes sur le bâtiment, qu’un immeuble de bureaux vide, ça coûte de l’argent car le propriétaire doit gérer le gardiennage, l’entretien des pelouses, de la tuyauterie… et la consommation de charges. Tant qu’on est là, on garantit de prendre soin du bâtiment, de l’entretenir et de prendre à notre coût les charges. Surtout, on garantit de partir le jour où la convention prend fin.

Au-delà de l’occupation qui est déjà en soi un acte politique, participez-vous à d’autres mouvements ?

On participe à toutes les actions qui touchent à la question migratoire et aux mouvements des sans-papiers. L’occupation du Béguinage, par exemple, a été réfléchie et lancée depuis l’occupation du Sablon où nous habitions. On est également impliqué·e dans l’accès à la culture. On a toujours mis dans nos occupations des locaux à disposition d’artistes qui n’ont pas d’endroit où répéter. On partage nos locaux avec des collectifs impliqués autour de la question sociale, comme la Brigade de Solidarité Populaire de Watermael-Boitsfort.

Comment est-ce que tu as vécu la récente grève de la faim ?

Déjà lors de la grève de la faim en 2009, j’avais émis des réserves quant à ce moyen d’action parce qu’on n’en sort pas indemne. Les personnes se mettent en danger pour des papiers. C’est fou. Mais j’ai toujours respecté leur choix et quand il y a besoin d’un coup de main, on est là pour soutenir et aider. Ce sont les politiques qui poussent à ça, et c’est scandaleux d’en arriver à des situations où l’on ignore le fait que des gens mettent leur vie en danger pour avoir accès à des droits.

Concrètement, comment peut-on soutenir l’occupation en cours ici à la Gécamines ?

On a tout ce qu’il faut pour subvenir à nos besoins vitaux, mais on souhaite interagir avec l’extérieur. C’est cela qui nourrit l’occupation. On a besoin de soutiens politiques, militants. Ici, on est que trois à avoir choisi de venir par conviction. Les autres, ce n’est pas un choix. C’est une situation de précarité qui les ont poussé·es à ça. Iels ont d’autres choses à faire que de militer. Une maman seule avec un ou plusieurs enfants passe sa journée à assurer leurs besoins ; elle n’est pas venue en Belgique pour militer. On ne peut pas leur demander ça. On a donc besoin de gens qui nous apportent un soutien militant, qui seront présent·es à chaque fois qu’il y aura des tentatives d’expulsion, qui parlent de nos luttes. [Acal, son bébé de 1 an et deux mois, commence à pleurer]. On a également besoin de gens qui viennent s’occuper de nos enfants, qu’on souffle un peu [rires].

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