Par Sébastien Lecomte, stagiaire aux Jeunes FGTB
Dans un contexte marqué par une crise sociale persistante, la Belgique fait face à une montée inquiétante des inégalités et de la précarité. Malgré l’existence de dispositifs d’aide sociale, de nombreuses personnes vulnérables (sans-abri, familles en difficulté, migrants, travailleurs en situation de précarité) s’échinent à trouver des réponses concrètes à leurs besoins fondamentaux. Alors que les politiques gouvernementales semblent de plus en plus déconnectées de la réalité de terrain, ces populations développent leurs propres formes de résistance et de solidarité.
Un système de plus en plus défaillant
Les politiques publiques belges peinent à répondre aux besoins des personnes en situation de précarité. Malgré des aides sociales comme le revenu d’intégration sociale (RIS) ou les allocations de chômage, 11.5% de la population belge se retrouvent sous le seuil de pauvreté .
L’action du “House Action Day” qui a eu lieu ce 6 avril dernier nous montre que l’accès au logement est devenu un véritable parcours du combattant, avec une offre de logements sociaux insuffisante et des loyers exorbitants dans le secteur privé . En 2024, environ 43 000 ménages étaient inscrits sur les listes d’attente pour un logement public en Wallonie. Cette situation met en évidence un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements abordables. La Région wallonne a entrepris des réformes du Code wallon du logement et de l’habitat durable pour améliorer la situation. Cependant, ces mesures restent insuffisantes face à l’ampleur des besoins. Le Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat souligne la nécessité d’une politique plus ambitieuse, incluant la réquisition des logements vides et une augmentation significative de l’offre de logements sociaux.
Le secteur de la santé n’échappe pas à cette crise : de plus en plus de patients renoncent à se soigner faute de moyens financiers. En 2024, 41 % des Belges francophones ont dû renoncer à au moins un soin de santé pour des raisons financières . Ce non-recours aux soins a des conséquences lourdes : des pathologies physiques ou mentales non traitées peuvent s’aggraver, entraînant des complications médicales plus graves, une baisse de la qualité de vie, voire une perte d’autonomie. Sur le plan psychologique, l’absence de suivi aggrave les troubles anxieux ou dépressifs, et peut mener à l’isolement, à la marginalisation sociale, voire à des conduites suicidaires. En outre, le retard ou l’absence de prise en charge alourdit, à terme, les coûts pour le système de santé, tout en accentuant les inégalités sociales et territoriales en matière de santé.
La solidarité comme rempart
Face aux carences gouvernementales, la société civile prend le relais : associations, collectifs citoyens et initiatives locales se multiplient pour pallier l’inaction des autorités. Des réseaux de distribution alimentaire, des squats organisés, des hébergements d’urgence autogérés, ainsi que des groupes de défense des droits sociaux permettent aux plus démunis de survivre et de lutter pour une meilleure reconnaissance de leurs droits . En revanche, cette mobilisation, aussi admirable soit-elle, révèle une réalité inquiétante : le gouvernement semble s’appuyer de plus en plus sur la solidarité citoyenne pour assumer des responsabilités qui devraient relever de l’action publique. En confiant tacitement à la société civile la prise en charge des urgences sociales, l’État se défausse de missions fondamentales telles que l’accès au logement, à l’alimentation ou à la protection sociale, ce qui remet en question son rôle en tant que garant de l’égalité et de la justice sociale.
Ces résistances ne sont pas seulement matérielles, elles sont aussi politiques. Les manifestations contre l’inaction gouvernementale, les occupations de bâtiments vides ou encore les actions en justice contre des mesures jugées injustes constituent autant de formes de mobilisation visant à transformer les causes structurelles de la précarité. Des collectifs comme Solidarité Grands Froids ou le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté dénoncent régulièrement l’inaction des autorités et exigent des réformes profondes. Il est cependant important de souligner que toutes les formes de solidarité ne se traduisent pas automatiquement par une résistance politique. De nombreuses associations caritatives apportent une aide essentielle, mais sans nécessairement remettre en question l’ordre établi. Or, face à des injustices systémiques, l’action collective et politique devient indispensable. Sans une contestation organisée et visible des défaillances de l’État, le risque est grand que les solutions restent ponctuelles et que les inégalités se perpétuent. La résistance politique permet ainsi non seulement de soulager les symptômes, mais surtout de s’attaquer aux causes.
Un avenir incertain
Si la solidarité et la résistance des personnes précaires et de leurs soutiens permettent de compenser en partie le manque de solutions institutionnelles, elles ne suffisent pas à résoudre le problème de fond. L’absence de volonté politique pour réformer en profondeur le système de protection sociale et de logement en Belgique risque d’aggraver la situation dans les années à venir . Ce blocage s’explique en partie par l’opposition de certains acteurs politiques et sociaux. Le MR freine régulièrement les initiatives visant à renforcer les droits sociaux, par idéologie ou par volonté de réduire les dépenses publiques. Dans le champ médiatique et politique, le discours du MR stigmatisant les “assistés” ou les “profiteurs du système” sape également la légitimité des revendications portées par les associations.
Les revendications sont pourtant claires : une augmentation des allocations minimales au-dessus du seuil de pauvreté, un véritable plan d’investissement dans le logement social, un renforcement des services publics de santé et un accompagnement plus efficace des personnes en difficulté. Tant que ces mesures ne seront pas mises en place, la précarité continuera de croître, et avec elle, la nécessité pour les plus vulnérables de résister et d’inventer leurs propres solutions pour survivre .
Dans ce contexte, notre rôle en tant que syndicalistes est fondamental. D’abord, parce que la lutte contre la pauvreté rejoint directement celle pour des conditions de travail dignes, des salaires justes et une sécurité sociale forte. Ensuite, parce que les syndicats ont les moyens d’amplifier la voix des personnes précaires, souvent exclues des espaces institutionnels de négociation. Soutenir les luttes contre la pauvreté, c’est aussi refuser que la précarité soit normalisée au sein même du monde du travail : travailleurs sans statut, contrats ultra-flexibles, salaires en dessous du seuil de pauvreté. Enfin, c’est en construisant des alliances entre mouvements syndicaux, associatifs et citoyens que nous pourrons imposer un véritable rapport de force face aux logiques néolibérales qui sacrifient les droits sociaux au nom de la rentabilité.
Source:
1. Statbel, 2023
2. Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, 2023
3. RTBF, 2024
4. Fédération des Services Sociaux, 2023
5. Institut pour un Développement Durable, 2023
6. Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, 2023