Se détourner de l’extrême-droite

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Par Juliette Léonard
// militante aux jeunes FGTB

Cet article résume une étude publiée par le CVFE en septembre 2024. Dans cette étude, nous nous sommes posées la question « peut-on se détourner de l’extrême droite ? ». Afin de répondre à celle-ci, il nous a semblé primordial de d’abord réfléchir aux facteurs qui poussent ces électeurs et électrices à se tourner vers ces partis. Ces facteurs sont nombreux et il n’existe pas une seule explication qui permettrait de saisir un vote, qu’il soit pour l’extrême droite ou autre. S’il existe un mythe libéral de l’électeur rationnel qui vote en ayant pris connaissance de tous les programmes, qui sait se situer sur une échelle gauche/droite, etc., la réalité en est pourtant bien loin. En effet, cela fait des décennies que les études sur le vote démontrent que

celui-ci n’est pas la traduction des opinions des citoyen·nes. D’ailleurs, plus l’électorat est populaire, moins son vote correspond à ses idées. Par ailleurs, un même vote peut refléter des motivations diverses : l’un·e peut voter par conviction, un·e autre par dépit ; certain·es apprécient un aspect particulier du programme, tandis que d’autres aiment la manière d’être du candidat… De plus, le poids de l’entourage ou la volonté d’intégration au groupe majoritaire sont également non négligeables. Seules des études qualitatives peuvent mettre en lumière ces motivations.

Il en va de même pour l’électorat d’extrême droite. Les enquêtes de terrain démontrent que les votes pour l’extrême droite cachent différentes interprétations, significations et que ces partis font pencher vers eux des personnes aux profils et opinions variées. Par exemple, au sein d’une même section RN, il est possible de rencontrer une personne qui remettra en question l’État social, tandis qu’une autre personne ne le remettra pas en question, mais décrira la compétition pour accéder à ses ressources. Nous avons également vu que, loin de l’image de fanatiques, les électeurs et électrices d’extrême droite ne démontrent pas une adhésion totale au parti pour lequel ils votent. Leur vote est accompagné de doutes, craintes, peut s’alterner avec des votes pour d’autres partis et est bien souvent émis sans enthousiasme. Le vote pour l’extrême droite est loin d’être immuable.

Néanmoins, si les motivations de cet électorat ne peuvent être réduites à du racisme, ne nous y trompons pas : les personnes qui votent pour les partis d’extrême droite démontrent plus de stéréotypes racistes que le reste de la population et perçoivent très négativement l’immigration. D’ailleurs, 54% des votant·es RN se définissent eux-mêmes comme racistes. Mais ce constat ne doit pas nous limiter dans la compréhension de cet électorat, ni nous amener à faire un lien direct entre un vote pour l’extrême droite et le racisme. Par ailleurs, le racisme est multiforme et imprègne d’autres groupes sociaux ainsi que notre division du travail, la spatialisation de nos villes, etc. et ne saurait être réduit aux stéréo- types de cet électorat.

De cette étude, retenons que ces électeurs et électrices ne peuvent être réduit·es à des beaufs, des personnes non éduquées, des imbéciles, etc. tant une diversité de raisons, micro et macro, expliquent ce vote. Il nous faut d’ailleurs également pointer un contexte sociétal qui est favorable à la montée de l’extrême droite. Ces partis et leur électorat ne sont pas isolés du reste de la société et leur ascension ne se fait pas seule : soulignons, par exemple, la trop grande place qui leur est réservée dans différents médias, la complaisance de certains partis politiques à leur égard. Et, in fine, la compréhension de ce phénomène est à situer dans un contexte néolibéral de mise en concurrence pour nos ressources publiques qui crée de l’insécurité sociale et attise la haine de l’autre.

Avec ces constats en tête, nous nous rendons compte que poser la question de la possibilité de se détourner de l’extrême droite vers des partis progressistes peut paraître naïf tant l’adhésion n’est pas totale. Si ces changements de bord politique sont statistiquement rares, nous croyons, particulièrement en tant que travailleuses d’éducation permanente, que ceux-ci peuvent se produire. Nous sommes persuadées que la lutte contre l’extrême droite passe par nos méthodes d’éducation populaire et le travail de nos associations. Via notre travail de terrain et notre maillage associatif, nous pouvons empêcher les idées d’extrême droite de s’installer dans les sociabilités du quotidien où elles prospèrent. Il est essentiel de maintenir la vivacité de notre société civile, de ne pas laisser de vides politiques se créer et, plus que jamais, de se battre pour de nouveaux droits sociaux. Car c’est en luttant pour une société égalitaire et solidaire et en démontrant qu’il existe des alternatives que nous arriverons à lutter contre ces partis réactionnaires.

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