Review de Florian Gillard, animateur aux Jeunes FGTB
C’est avec ce titre provocateur que la chercheuse en droit Aurélie Lanctôt constate que les politiques néolibérales mises en place au Québec portent en elles une dimension sexiste, en plus d’être vectrices d’inégalités sociales. À travers plusieurs exemples sur la manière dont l’austérité détruit plusieurs secteurs principalement féminins et essentiels à la société, l’autrice montre comment la lutte contre ces politiques est un enjeu féministe crucial.
“Les libéraux sont pourtant bien souvent en faveur des droits des femmes” pourrait-on rétorquer. En théorie, oui. En opposition aux réactionnaires, les libéraux se posent souvent en défenseurs des libertés individuelles et cela inclut par exemple le droit à l’avortement, un meilleur accès à la contraception, plus de droits pour les personnes LGTB, la dénonciation du racisme, etc. La mise en place d’une égalité de droits leur tient à cœur, et à raison. Mais derrière ce progressisme de façade se cache une augmentation des inégalités sociales, dont les femmes en sont les premières victimes.
En effet, les politiques économiques d’austérité portées par le gouvernement libéral de Philippe Couillard au Québec en 2015, mouvement déjà amorcé à la fin des années 2000, ont fortement attaqué les services publics de la santé et de l’éducation, secteurs dont la majorité des travailleur·euses sont des femmes. Sous couvert d’un “contexte budgétaire difficile”, les libéraux ont décidé de réduire les “dépenses” publiques, tout en injectant de l’argent dans le secteur privé afin de relancer l’économie1. Le manque de financement des services publics et sociaux a doublement impacté les femmes : en tant que travailleuses et comme usagères. En faisant le choix du privé au détriment du public, les libéraux font un bond en arrière dans le chemin vers l’égalité hommes/femmes.
Écoles, crèches, hôpitaux publics, services sociaux, maisons de jeunesse, banques alimentaires ; tout y passe ou presque. Ces services, considérés comme non-rentables, ne sont vus par les libéraux que comme des chiffres à équilibrer et non comme des piliers indispensables à la société dans son ensemble. La gratuité (ou presque) de ces services s’efface pour donner place à une hausse des frais pour leurs bénéficiaires, accompagnée d’un manque de personnel dû au dé-financement structurel mis en place pour réduire les dépenses publiques. Les garderies coûtent plus cher, les salles de classe sont de plus en plus remplies, l’accès à l’avortement est restreint, les postes dans les hôpitaux sont supprimés et les centres pour femmes battues disparaissent. Doit-on expliquer les effets délétères de ces politiques sur la grande partie de la population qui n’a pas les moyens d’accéder au privé et sur l’explosion des inégalités sociales qui en découle ? Doit-on également s’étendre sur le danger de confier la santé et l’éducation à des entreprises obéissant à la loi du profit ?
En se cachant derrière des arguments techniques et impersonnels, les libéraux essaient de faire passer leur programme politique comme la seule solution possible, rappelant le célèbre TINA (“There is no alternative”) de Margaret Thatcher. Pourtant, les politiques d’austérité sont bien le fruit de choix politiques et idéologiques et non d’une soi-disant rationalité mathématique que la droite instrumentalise à ses fins.
Afin de justifier ces attaques faites aux femmes et aux pauvres, les libéraux mettent donc également en avant leur vision du féminisme : celle d’une politique de réussite et d’émancipation personnelle. L’obstacle majeur de l’égalité hommes/femmes se situerait dans le fait qu’il n’y ait pas assez de femmes dans des postes à responsabilité et qu’elles ne soient pas encouragées à avoir de l’ambition … Bref, un féminisme centré autour de la self-made woman. S’il est clair que la sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilité est symptomatique d’une société encore traversée par des structures patriarcales, cette vision du féminisme fait fi de l’immense majorité des femmes qui n’ont pas accès aux lieux où se passent les “vraies affaires”.
De plus, cette représentation du féminisme s’inscrit dans l’idée néolibérale du capital humain, consistant ici à déplorer le manque de femmes dans les directions d’entreprises car elles seraient tout autant de talents non exploités à leur juste valeur. Pour les libéraux, le féminisme n’a lieu d’être que s’il est rentable et non car il est porteur d’égalité et d’émancipation collective.
En Belgique, comme dans nombre de pays où les recettes libérales ont été appliquées, le tableau n’est pas plus gai que celui dépeint dans ce livre. Les revendications et observations du Collecti.e.f 8 maars pour la grève de 2024 montrent bien la nécessité de se battre contre les politiques mises en place par les gouvernements libéraux successifs :
- Un réinvestissement majeur dans les crèches et les services publics ;
- Un salaire minimum élevé et une meilleure rémunération des secteurs féminisés ;
- Plus de budget pour la prévention des violences sexistes et sexuelles envers les femmes et les enfants.
Pour terminer sur une note d’espoir, citons l’autrice de ce livre que nous ne pouvons que recommander : “Les libéraux veulent des “battantes”. Ils auront des femmes qui se battent.”
- Notons que ces secteurs privés concernent ceux de la construction et de l’exploitation des matières premières, dont la main-d’œuvre est essentiellement masculine et lieu de travail hostile aux femmes. Entre 2011 et 2014, après un développement économique rapide sur la Côte-Nord au Québec, le nombre d’agressions sexuelles a presque doublé et les cas de violences conjugales ont triplé dans la région. ↩︎