Le futur gouvernement belge et la Palestine : à quoi s’attendre ?

Temps de lecture : 6 minutes

Par Florian Gillard, animateur aux Jeunes FGTB

Alors que, sous le gouvernement précédent, les actions de la Belgique envers la Palestine ont été largement insuffisantes au regard de l’ampleur du génocide en cours, que peut-on attendre sous la prochaine législature ? S’il n’est évidemment pas possible de prédire avec exactitude les mesures que la Belgique adoptera dans le futur, nous pouvons cependant nous permettre quelques projections pour les 5 prochaines années. Regardons comment se positionnent les potentiels cinq futurs partis de la majorité fédérale.

Le MR : résolument anti-palestinien ou résolument contre le droit international ?

De tous les partis de l’ancienne majorité Vivaldi, le MR est de loin celui ayant le plus soutenu la fureur génocidaire d’Israël. Bloquant d’abord les demandes d’un cessez-le-feu et ensuite la mise en place d’un embargo militaire et de sanctions contre Israël ou même une (trop) tardive reconnaissance de l’Etat palestinien, le parti libéral n’a cessé de relayer la propagande et les éléments de langage israéliens. 

En effet, dans le questionnaire pré-électoral de l’Association Belgo-Palestinienne, le MR coche toutes les cases du mauvais élève en matière des demandes du peuple palestinien. Le parti ne reconnait par exemple pas l’apartheid mis en place par Israël, alors que cela a été maintes fois dénoncé par des organisations comme Amnesty International, et plus récemment par la Cour Internationale de Justice. Le MR s’oppose également à toutes sanctions contre Israël s’il n’y a pas de violations du droit international. Ces violations, pourtant documentées depuis des années, ne semblent pas être arrivées aux oreilles du parti libéral.

Le bilan d’Hadja Lahbib comme ministre des Affaires Etrangères signe également une mauvaise volonté politique de faire appliquer les engagements de la Belgique comme signataire de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et comme membre des Nations unies, qui oblige ses Etats à appliquer les recommandations de la Cour Internationale de Justice. Depuis la décision de cette Cour début 2024 préconisant un embargo militaire, nombreuses ont été les interpellations citoyennes à l’égard de Mme Lahbib pour lui demander de l’appliquer entièrement. En se cachant derrière le faux argument que l’embargo militaire relève de compétences régionales et non fédérales, la ministre a permit à Israël de se fournir en matériel militaire pendant des mois. 

Les Engagés : des positions incohérentes

Comme le reste de leur programme, les positions des Engagés sur la Palestine sont contradictoires et témoignent au mieux de fortes dissensions dans le parti, au pire une méconnaissance du sujet, faisant craindre une incapacité à tenir leurs positions les plus progressistes lors de négociations avec les autres acteurs gouvernementaux. Voyons quelques exemples.

Tout en déclarant vouloir l’exclusion des marchés publics des entreprises impliquées dans les colonies ainsi que le démantèlement de celles-ci, le parti s’oppose au boycott du commerce avec les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie. Il faudra expliquer comment est-il possible de dissocier les deux positions, alors qu’elles sont éminemment liées et que l’une et l’autre se renforcent mutuellement dans leurs effets.

De même, “Les Engagés” se posent en faveur d’un embargo militaire si Israël ne respecte pas le droit international. Pourquoi alors ne pas pousser la logique plus loin et imposer des sanctions économiques et diplomatiques à un Etat coupable d’apartheid et qui commet, a minima, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ? Affaiblir la puissance économique d’un pays ne diminue-t-elle pas sa capacité à se fournir en matériel militaire ?

La NV-A : un tournant pro-Israël

Lors de l’époque de la Volksunie, les mouvements nationaux de libération de la Palestine comme l’OLP bénéficiaient du soutien de bon nombre de politiques flamands, dans une certaine cohérence avec leurs idées nationalistes. La NV-A, héritière de cette formation politique aujourd’hui disparue, a pourtant effectué un tournant pro-israélien, loin de ses soi-disant idéaux de lutte contre les Etats oppresseurs. Ainsi, son président Bart de Wever, affirmait le 10 octobre 2023 : « Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul camp à choisir : c’est le côté d’Israël. Le côté de la démocratie, le côté de la lumière ». Bien que des dissensions existent au sein de la NV-A sur le sujet, le risque est fort de voir le premier parti flamand rester inflexible dans son soutien à Israël.

Ce tournant conservateur et pro-Israël se matérialise par des prises de position contre l’UNRWA et un manque de soutien aux procédures judiciaires engendrées par l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice. Fin janvier 2024, Israël accusait sans preuve concrète l’UNRWA d’avoir joué un rôle dans l’attaque du 7 octobre et demandait son démantèlement. La NV-A épouse totalement ce narratif en appelant à suspendre le soutien financier belge envers le plus grand organe humanitaire pour les réfugié·es palestinien·nes. Une telle prise de position, alors que l’aide humanitaire était (et est toujours) bloquée par Israël, signifie un abandon total de plusieurs millions de Palestinien·nes à travers le monde et en particulier à Gaza. 

De même, la NV-A a refusé que la Belgique se joigne à la plainte de l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice pour que celle-ci enquête sur le risque de génocide à Gaza. Sous couvert de maintenir des liens diplomatiques avec Israël, le parti flamand préfère donc ne pas contrarier un Etat commettant des crimes de guerre plutôt que de se placer du côté du peuple subissant ces crimes, pourtant documentés.

Le CD&V : une surprise initiale, mais peu efficace

Le CD&V a certainement provoqué une surprise générale dans le monde politique en s’alliant à la gauche sur une proposition de loi pour boycotter les produits en provenance des territoires occupés. Ce boycott, un strict minimum au regard du droit international, ne doit toutefois pas être confondu avec un boycott économique de l’Etat d’Israël dans son entièreté, qui s’impose pourtant comme une nécessité pour les Palestinien·nes. 

Sur ce sujet, le CD&V se montre plus prudent, bien que plus avant-gardiste que d’autres partis de droite. En mars 2024, le parti chrétien-démocrate, avec l’Open VLD, a annoncé examiner la possibilité d’un boycott d’Israël coordonné avec d’autres pays européens, mais sans y engager toute l’Union Européenne au vu des positions unilatéralement pro-israéliennes de pays comme l’Allemagne. Si cette annonce est un pas dans la bonne direction, nous pouvons déplorer un certain attentisme dans l’attitude du CD&V : à force d’attendre de rassembler des alliés, le boycott d’Israël n’est toujours pas une réalité au niveau de la Belgique. Résultat, le gouvernement a changé de composition et le CD&V se retrouve sans l’Open VLD au parlement flamand. De quoi trouver de nouveaux alliés face à la droite radicale ? Rien n’est moins sûr…

Le Vooruit : peut mieux faire

Demandes de cessez-le-feu immédiat, soutien aux enquêtes de la Cour Pénale Internationale et de la Cour Internationale de Justice, étiquetage clair des produits venant des territoires occupés et interdiction des importations de produits issus des colonies, soutien financier à l’UNRWA, reconnaissance de l’Etat palestinien… Sur le papier, le Vooruit semble bien être le parti le plus à même de porter des revendications conformes au droit international au sein du potentiel futur gouvernement fédéral. 

Cela sera-t-il suffisant pour mettre fin au génocide et aux violations constantes des droits des Palestinien·nes, notamment via la colonisation et le système d’apartheid ? Sans doute pas. Le discours du Vooruit s’axe fortement sur la nécessité d’apporter de l’aide humanitaire aux Gazaoui·es, notamment via la ministre à la Coopération et au Développement Caroline Gennez et son bilan fortement mis en avant. Pourtant, il faudra mettre en place des mesures plus fortes à l’encontre d’Israël que celles énoncées plus haut pour ouvrir la voie à la liberté des Palestinien·nes. Il est par exemple regrettable de voir que les demandes du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement Sanctions) ne sont pas rencontrées dans les positions des socialistes flamands.

En conclusion

Le futur gouvernement belge n’annonce pas grand-chose de bon pour le peuple palestinien. Les positions des partis les plus progressistes sont largement insuffisantes en regard de l’ampleur du génocide soutenu par l’axe occidental mené par Israël et les Etats-Unis. Un embargo militaire total (comprenant le matériel militaire et non seulement des armes) n’est toujours pas effectif et son application dépendra du bon vouloir des ministres compétents. Les demandes du mouvement BDS, la plus large coalition de la société civile palestinienne, sont loin d’être prises en compte par les acteurs gouvernementaux.

Il en incombe à nous, syndicalistes et membres de la société civile, de redoubler d’efforts pour forcer le gouvernement à prendre des mesures concrètes et adéquates pour mettre fin à la machine de guerre israélienne. Les cinq prochaines années s’annoncent riches en luttes syndicales, féministes et antiracistes au vu de la victoire de la droite. Dans cette atmosphère de régression sociale, n’oublions pas la Palestine.

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