Le centre Jean Gol fait la part belle à Javier Milei à la Foire du Livre

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Par Charlie Gelaesen, animateur des Jeunes FGTB Verviers

Dans le cadre de la Foire du Livre 2025, le centre d’étude du MR organisait une conférence intitulée « Javier Milei va-t-il sauver ou plomber l’Argentine ? » et dans la promotion de l’évènement, a demandé « Qu’est-ce que la situation argentine peut nous apprendre en Europe ? », comme s’il fallait s’en inspirer. Cette attitude est alarmante compte-tenu de la situation socio-économique actuelle en Argentine. Rappelons pourquoi l’économie ne peut pas primer sur la condition humaine.

La situation économique

Rendons à César ce qui appartient à César. L’économie Argentine a énormément souffert de la corruption à répétition de ses précédents gouvernements. Le système en place était bénéfique uniquement pour un petit nombre de personnes influentes dont les différents régimes avaient besoin pour se maintenir au pouvoir. Javier Milei a hérité d’un pays dont l’infrastructure manquait d’investissement, et arrive au pouvoir dans une situation d’hyper-inflation avec un taux dépassant les 200%. Que fait-il ensuite ? Il démantèle les services publics, vire les fonctionnaires, lève les régulations de la majorité des marchés. L’inflation continue de prendre de l’ampleur jusqu’en avril 2024, atteignant presque les 300% avant de commencer à chuter progressivement. (Source :  Instituto Nacional de Estadística y Censos). Le FMIa depuis divisé par trois le taux de risque de l’Argentine et prévoit un taux de croissance de 5% pour 2025.

Ça, c’étaient les chiffres. Mais qu’en est-il de l’humain ?

Une catastrophe sociale

Ne perdons pas de vue que même si certains chiffres indiquent une claire amélioration de l’économie argentine sur le papier, d’autres sont significatifs d’une baisse drastique de la qualité de vie des argentins. L’indice de pouvoir d’achat est passé de 100 à 80 en quelques mois. Le seuil des 50% d’argentins sous le seuil de pauvreté a été dépassé en juin 2024. Une personne sur deux est pauvre et presque une sur cinq ne peut pas se payer un panier de course lui apportant le seuil minimum d’énergie. D’après l’UNICEF, plus d’un million d’enfants doit sauter des repas, et un ménage sur deux contenant des enfants a diminué sa consommation de produits alimentaires. Des chiffres plus récents communiqués par la BBC News Mundo annoncent que ce sont sept enfants sur dix qui ne voient plus leurs besoins fondamentaux comblés. De plus, le pouvoir exécutif, qui gouverne par ordonnances, a bloqué le renflouement des banques alimentaires dans l’ensemble du pays.

L’augmentation de la pauvreté s’explique par l’hyper-inflation, mais aussi par le licenciement de la quasi-totalité  des fonctionnaires de l’État, alors que le montant des allocations de chômage est dérisoire face au coût de la vie. La dérégulation des marchés, notamment celui de l’agro-business, est un autre facteur qui entre en jeu. La vision économique à long terme de Milei n’est pas en faveur de sa population mais en faveur du capital. Il ne veut pas augmenter la consommation dans le circuit national mais préfère relancer l’exportation et l’économie spéculative. Cela implique de mettre la productivité et la compétitivité au premier plan, quitte à diminuer les salaires.

Les mouvements sociaux contre-attaquent malgré la répression

La population ne se laisse pas faire pour autant. En parallèle à sa survie, elle s’organise.  Le 12 juin 2024, jour du vote du package de réformes voulues par Milei, des manifestations ont lieu à Buenos Aires. La police, ainsi que des fauteurs de troubles mandatés par le régime, s’assurent que la violence monte rapidement. Résultat : 600 blessés dont 5 députés de l’opposition, et 35 arrestations dont 4 directement envoyées dans une prison fédérale de haute sécurité.

La répression est immédiate, brutale, et les fichages sont volontairement réalisés de façon évidente pour effrayer et démobiliser.  Ces méthodes sont utilisées à répétition et  de façon exacerbée depuis début mars 2025. Une manifestation contre l’austérité, à laquelle ont participé de nombreux retraités, a viré au drame quand ces derniers ont été tabassés par les forces de l’ordre. Les images de manifestants tentant de protéger une dame âgée au sol, le crâne ouvert, sont  insoutenables. Des scènes semblables se produisent lors de la marche de soutien à la communauté LGBTQIA+ peu de temps après. Et le 24 mars, la marche commémorative du coup d’État de 1976, qui a mobilisé un nombre record de personnes sous la pluie, a viré en manifestation anti-Milei.

Ce dernier tente de réécrire l’histoire et de minimiser les crimes de la junte militaire qui a pris le pouvoir suite au putsch. Pour rappel, ce sont 30.000 personnes qui ont été tuées, enlevées, incarcérées et torturées. Il s’agissait principalement de syndicalistes et d’activistes. Le coup était soutenu par le tyran chilien Pinochet, ainsi que la CIA. Milei a  paralysé les sites commémoratifs des crimes d’État en licenciant 250 fonctionnaires du Secrétariat des Droits de l’Homme. Rappelons également que les méthodes utilisées lors de la « guerre sale » ayant suivi le coup jusqu’au retour de la démocratie en 1983 ont été qualifiées de génocidaires et ont mené à des procès pour crimes contre l’humanité.  Rien d’étonnant pour un président qui soutient et est soutenu par d’autres gouvernements et personnalités d’extrême-droite.

Et cette conférence, ça a donné quoi ?

Bien heureusement, il n’a pas été question de faire campagne pour appliquer des  mesures similaires de notre côté de l’Atlantique.  Cependant, la souffrance humaine causée par ces mesures dont l’efficacité économique a été louée, a été quasi entièrement effacée. De la même façon, Milei a été qualifié de « Margaret Thatcher punk » par l’économiste Nathalie Janson, insultant la culture punk et cautionnant un gouvernement britannique ayant également engendré une immense souffrance sociale dans un même souffle. Là où les intervenants ont fait preuve de mesure quant à la possibilité d’importer ces méthodes en Belgique, le manque d’attention accordé à leurs conséquences humaines est tout simplement inacceptable. Que les libéraux revendiquent du changement, oui et c’est leur droit. Mais pas à n’importe quel prix, et certainement pas celui-là.

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