Il n’y aura pas de lutte des classes sans décolonisation

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Par Florian Gillard, militant aux Jeunes FGTB

Les évènements du 7 octobre 2023 en Israël ont provoqué un tollé à l’échelle internationale. La réaction israélienne, toujours en cours à l’heure où nous écrivons ces lignes, est d’une extrême violence : l’armée a ainsi tué plus de 11 000 personnes dont près de 4 500 enfants dans la bande de Gaza . La Cisjordanie fait face à un déchainement inhumain de la part des colons israéliens, soutenus par l’armée, avec plus de 115 tué·es, 2 000 blessé·es et près de 1 000 Palestinien·nes déplacé·es de force[1].

Cet article propose de mettre en avant les conditions des travailleur·euses palestinien·nes. Cette réalité est rarement abordée dans les débats sur la Palestine, alors que l’exploitation des travailleur·euses constitue un pilier du colonialisme. Nous pencher sur ces conditions de travail nous permet de comprendre les mécanismes de l’apartheid tel qu’il est appliqué en Israël/Palestine et de trouver des pistes de solidarité internationale.

Quelques chiffres

En 2018, le territoire palestinien affichait le taux de chômage le plus élevé du monde avec 40,8%[2]. À Gaza, ce chiffre culmine à près de 50%, dû aux bombardements israéliens détruisant régulièrement les infrastructures. La situation a empiré depuis le 7 octobre, 61% des emplois ayant été perdus sur cette partie du territoire et 390 000 emplois l’ont été en Cisjordanie[3]. Les femmes souffrent encore plus de ce chômage, leur accès au marché du travail étant plus difficile.

Ainsi, près de 30% des palestinien·nes vivent sous le seuil de pauvreté, dont 50% de la population gazaouie[4]. Le revenu moyen est 19 fois plus élevé en Israël qu’en Palestine et le salaire moyen des Palestinien·nes travaillant dans des entreprises israéliennes est inférieur de moitié à celui des Israélien·nes[5].

De nombreux·seuses palestinien·nes de Cisjordanie sont contraint·es d’aller en Israël pour trouver du travail, notamment dans les colonies où 66,3% d’entre eux sont dans le secteur de la construction, réputé pour son bilan de santé et de sécurité déplorable[6]. 18 500 travailleur·euses gazaoui·es étaient également détenteur·ices d’un permis de travail en Israël jusqu’au 7 octobre, dans des secteurs ouvriers et dans lesquels de nombreux observateurs dénoncent le plus grand mépris des vies humaines[7].

Malgré un non-respect du droit du travail et une non-reconnaissance des syndicats palestiniens, des syndicats existent et luttent pour les droits des travailleur·euses mais également pour la fin de l’occupation. Le taux de syndicalisation y est de 19,3%[8].

L’exploitation comme mécanisme intrinsèquement colonial

Cette situation est un effet direct de l’occupation et de la colonisation. Selon la sociologue Elia Zureik, dans un régime colonial l’expansion capitaliste intensifie l’exploitation de classe et la domination raciale[9]. À travers plusieurs mécanismes de contrôle (du territoire, de la monnaie, des déplacements, etc.), Israël est parvenu à empêcher toute forme de développement économique autonome en Palestine. Ainsi, par la ségrégation institutionnelle et résidentielle des palestinien·nes et leur dépendance économique au marché du travail israélien (via la monnaie commune et un système de patronage forçant les travailleur·euses palestinien·nes à payer des intermédiaires israéliens pour trouver du travail), la classe ouvrière palestinienne est dépossédé des moyens de production.

Le régime colonial israélien s’appuie sur une main d’œuvre palestinienne souvent peu qualifiée et sur l’appropriation des ressources naturelles des territoires occupés pour maintenir et accroître sa richesse. Depuis la récente attaque du Hamas, Israël n’autorise plus les palestinien·nes à travailler sur son territoire, et cherche à remplacer cette main d’œuvre par des travailleur·euses venant d’autres pays, comme l’Inde[10].

En empêchant le développement économique palestinien et en exploitant sa main d’œuvre, l’État d’Israël contient la classe ouvrière palestinienne dans des conditions de vie rendant la lutte contre le système colonial particulièrement difficile. L’invasion récente de la bande de Gaza par Tsahal et les discours de l’extrême droite israélienne appelant au nettoyage ethnique du peuple palestinien fait craindre une nouvelle étape dans la colonisation de la Palestine, à savoir l’élimination de son peuple, comme le notait l’historien Patrick Wolfe[11]. Si Israël n’a plus besoin de s’appuyer sur le prolétariat palestinien, il ne lui reste que les ressources du territoire à exploiter.

Quelle solidarité internationale pour les syndicats ?

Dans ce contexte, comment, en tant que syndicalistes, marquer notre soutien au peuple palestinien ? En plus de l’urgence humanitaire chaque jour plus pressante qui nécessite un cessez-le-feu inconditionnel, au moins trois types d’action peuvent être mises en place.

D’abord, suivre l’appel du mouvement BDS et boycotter les produits israéliens ainsi que les entreprises et institutions (académiques et étatiques) partenaires ou représentantes de l’Etat d’Israël.

Il est également plus que nécessaire d’appliquer un embargo militaire envers Israël afin d’affaiblir son dispositif meurtrier. Nous saluons le récent appel des syndicats belges allant dans ce sens et espérons qu’il sera suivi sur le terrain.

Enfin, la solidarité internationale doit s’atteler à soutenir l’autonomie économique et énergétique des palestinien·nes, afin de ne plus dépendre du bon vouloir d’Israël. Des partenariats visant à renforcer les syndicats palestiniens tels que celui de la Centrale Générale avec le syndicat PGFTU sont de bons exemples[12].


[1] https://www.geo.fr/geopolitique/en-cisjordanie-la-hausse-des-violences-des-colons-israeliens-contre-les-palestiniens-fait-craindre-le-pire-217363

[2] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2020/03/13/le-rejet-du-droit-des-palestiniens-a-un-travail-decent-et-la-complicite-de-leurope/

[3] https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_901173/lang–fr/index.htm

[4] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2020/03/13/le-rejet-du-droit-des-palestiniens-a-un-travail-decent-et-la-complicite-de-leurope/

[5] https://www.ferc-cgt.org/IMG/pdf/brochure_bds_syndical.pdf

[6] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2020/03/13/le-rejet-du-droit-des-palestiniens-a-un-travail-decent-et-la-complicite-de-leurope/

[7] https://www.contretemps.eu/travailleurs-palestiniens-gaza-disparition-israel/

[8] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2020/03/13/le-rejet-du-droit-des-palestiniens-a-un-travail-decent-et-la-complicite-de-leurope/

[9] https://www.jstor.org/stable/3990820?seq=2

[10] https://bdsmovement.net/Palestinian-Trade-Unions-Call-On-Indian-Workers

[11] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2022/11/16/la-lutte-palestinienne-pour-la-liberte-est-aussi-une-lutte-de-classe/

[12] https://www.accg.be/fr/actualite/20210525-bilan-du-partenariat-avec-la-pgftu-en-2020

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