Par Juliette Léonard, militante aux Jeunes FGTB
Lors de l’événement “Les classes de lutte” organisé par les JFGTB ce 15 octobre, une cinquantaine de jeunes se sont réuni·es autour de la thématique de l’extrême droite afin de mieux la comprendre pour mieux la combattre. Durant cette journée, différents ateliers ont eu lieu dont un intitulé “Ecologie et extrême droite”. Ce numéro de « Camarade » est l’occasion de revenir sur celui-ci. En effet, si instinctivement ces sujets ne semblent avoir que peu en commun, il existe pourtant une histoire commune, des convergences et une possible appropriation de l’écologie par l’extrême droite.
Commençons par préciser que majoritairement, l’extrême droite se caractérise plutôt par son hostilité envers l’écologie politique : absence du sujet dans les programmes électoraux (RN, Reconquête), moquerie voire haine envers les “écolos-bobos”, climatoscepticisme (Trump), politiques destructrices (Bolsonaro)… Les exemples sont nombreux. Pourtant, il existe à l’extrême droite une autre branche, minoritaire, qui se revendique d’une écologie identitaire.
Celle-ci s’appuie sur des arguments que l’on retrouve aussi dans les milieux écologistes. Tous ces arguments ne portent pas forcément en eux la marque du fascisme, et ne sont pas uniquement diffusés par des fascistes, mais ils sont une possible porte d’entrée vers les idées réactionnaires. Explorons ceux-ci.
1) Une approche démographique de l’écologie
Un premier argument, d’inspiration malthusienne, est celui de la surpopulation comme cause du dérèglement climatique. Cet argument, en plus de viser les populations “du Sud” pour leur plus fort taux de natalité, se construit sur une vision erronée des ressources. En effet, le problème n’est pas le manque de ressources mais leur mauvaise répartition causée par le capitalisme. À la place, cet argument est chargé de racisme et véhicule une image pessimiste de l’humain comme “parasite”.
2) Le retour à la nature
L’appel à “la nature” peut être utilisé par les franges réactionnaires des écologistes afin de naturaliser les rapports sociaux inégalitaires et de les rendre acceptables. Par exemple, Pierre Rabhi prônait la “complémentarité entre les genres” plutôt que l’égalité et s’inquiétait du caractère “contre-nature” de l’homoparentalité. Cet argument de la primauté de la nature permet également de rejeter des pratiques telles que la PMA, l’avortement, l’euthanasie… qui ne seraient pas “naturelles” – et de s’opposer aux combats féministes et LGBT+.
Notons par ailleurs qu’il n’est pas si aisé de définir ce qu’est “la nature”, les définitions divergeant selon les lieux et les époques. De plus, d’un point de vue purement scientifique, la distinction entre ce qui serait “naturel” et ce qui serait “chimique” ou “non naturel” – sur laquelle se base notamment le label bio – est floue et artificielle : le terme chimique désigne ce qui est relatif à la chimie et en ce sens, une fraise est chimique. Ajoutons que ce qui est non transformé n’est pas forcément bon pour la santé : il est par exemple déconseillé de manger des amanites phalloïdes. Cette vision de “la nature” ouvre la porte à de nombreux discours confusionnistes.
Nous retrouvons dans cette idée un rejet de la “modernité” (qui peut se définir selon ce qui nous arrange), propre à l’extrême droite, qui viendrait corrompre une “nature” bonne par essence.
3) Romantisation d’un “passé mystifié”
En lien avec ce rejet de la modernité, nous retrouvons le fameux “c’était mieux avant” cher à l’extrême droite que partagent certain·es écologistes, fantasmant une période où nous polluions moins. Ce discours s’accompagne souvent d’un rejet de la technologie alors que celle-ci pourrait être émancipatrice dans une société non-capitaliste.
4) La tentation autoritaire
Au vu de la situation climatique, il peut être tentant pour certaines personnes d’en appeler à une “dictature verte”, la démocratie étant perçue comme incapable de répondre à une telle situation. Nous avons également assisté en France à l’inquiétante revendication d’un “état d’urgence climatique”. Rappelons qu’un régime autoritaire est une composante de l’extrême droite et à l’heure de la montée des extrêmes droites européennes, nous devons être doublement vigilant·es.
5) La vision apocalyptique
La collapsologie et sa principale idée d’un effondrement imminent se sont énormément diffusées ces dernières années, notamment parmi les écologistes. Pourtant, ce concept est régulièrement mis en cause en raison de ses aspects millénariste, fourre-tout, et eurocentré ainsi que pour les solutions individuelles et de repli prônées par ses défenseur·euses – plutôt que des solutions collectives et égalitaires.
Au-delà de ces critiques, il est aisé pour l’extrême droite de s’accoutumer de ce discours effondriste. En effet, l’idée d’un déclin civilisationnel est central à l’extrême droite depuis sa constitution. Certain·es reprennent à leur compte cette idée d’effondrement en lui ajoutant une dimension culturelle. Iels articulent cette vision avec celle du choc des civilisations et certain·es, comme Guillaume Faye, théorisent l’accélération du grand remplacement en raison de la crise climatique. Cette idée d’effondrement alimente également un imaginaire de guerre civile et du survivalisme d’extrême droite.
6) Rejet de la science
Ce rejet de la science ne concerne évidemment pas toutes les franges écologistes et de nombreux·euses scientifiques alertent chaque année sur la situation climatique. Néanmoins, force est de constater qu’au sein de certaines franges il existe un rapport compliqué aux arguments scientifiques : nucléaire, label bio, ésotérisme, vaccins…
Or, ce rejet de la science est une composante essentielle de l’extrême droite qui s’est constituée en opposition aux idées des Lumières, prônant le “bon sens” plutôt que la raison. Notons tout de même que les idées des Lumières sont critiquables à de nombreux égards, notamment en raison de leur caractère colonial.
Rappelons, à l’instar des autres arguments exposés, qu’une méfiance envers “la science” n’amène pas de manière automatique vers l’extrême droite. Néanmoins, il s’agit d’être vigilant·es et les manifestations anti-masques et antivax ont démontré que l’extrême droite pouvait facilement s’approprier ces thématiques.
7) Le localisme
Un des points phare de l’écologie est la promotion du “consommer local”. Il est plus qu’urgent de définir ce que nous entendons par “consommer local” afin de fermer la porte à l’extrême droite qui appelle également à une revalorisation du local et des produits français pour des raisons identitaires.
Certain·es identitaires affirment même qu’il existe un lien naturel, quasi mystique, entre une terre et son peuple. Ce localisme identitaire prône la protection des particularismes de la civilisation européenne, entendez par là la protection contre le métissage.
L’écologie identitaire promeut ainsi la préservation des espaces de vie nationaux, la défense de la civilisation européenne, un retour aux valeurs ancestrales et naturelles et fantasme l’image du·de la paysan·ne enraciné·e. Dans cette logique, certain·es à l’extrême droite prônent l’achat de fermes ou la création de communautés telles que les ZID (zones identitaires à défendre), comme c’est le cas de Youtubers·euses tels que Papacito, Baptiste Marchais, Alain Soral…
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Ces différentes positions sont autant de points de passage potentiels entre écologie politique confuse et extrême droite. Ajoutons que bien que les mouvements écologistes identitaires soient minoritaires et que cette tendance ne soit pas encore la norme à l’extrême droite, il ne faut pas minimiser leur dangerosité. En effet, deux attentats ont déjà été perpétrés par des hommes se revendiquant de l’écofascisme et les observatoires du terrorisme dénoncent un mouvement qui se développe. Les tenant·es de cette tendance ont également des liens avec les partis d’extrême droite et certains de leurs théoricien·nes, notamment de la “Nouvelle droite”, peuvent être une source d’influence pour des Youtubers·euses tels que Thais d’Escufon ou encore Julien Rochedy.
Historique
Ces accointances entre les idées réactionnaires et l’écologie ne sont pas nouvelles et puisent leur source dans une longue tradition qui remonte au romantisme allemand (le parti nazi possédait d’ailleurs une “aile verte” qui théorisait déjà ces liens entre peuple et terre). À ce sujet, nous vous invitons à lire l’article de « Reporterre » cité précédemment.
Diffusion en dehors des sphères réactionnaires
De par leur caractère confus, ces idées se diffusent au-delà des sphères d’extrême droite. D’une part, il est évident que nous trouvons certaines de ces idées réactionnaires dans les sphères ésotériques – qui, par ailleurs, se frayent un chemin vers nos lieux de travail à travers, notamment, des pratiques motivationnelles et de développement personnel utilisées par les RH. D’autre part, nous pouvons également retrouver la diffusion de tels argumentaires au sein de mouvements sociaux et même dans nos propres rangs. La crise du COVID a été l’occasion d’une alliance particulière entre certaines composantes d’extrême droite avec certaines franges écologistes. Nous avons pu y entendre des discours malthusiens, eugénistes et antisémites.
Ces idées ont également pu être diffusées, de façon minoritaire, par des individus au sein de certains partis politiques tels que Ecolo et EELV.
Enfin, ces différents arguments réactionnaires se retrouvent au sein de groupuscules anarchistes actifs sur les ZAD et dans les manifestations climat à l’instar de DGR. Certains de ces groupes “technocritiques” rejettent par exemple “l’industrie médicale” et tant pis pour les personnes non valides, trans et les femmes qui souhaiteraient avorter.
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En conclusion et face à ce risque d’appropriation des idées écologistes par les mouvements fascistes, voire à une recomposition du mouvement fasciste, il est plus qu’urgent de politiser notre discours écologique afin de ne pas laisser la possibilité pour l’extrême droite d’exploiter des arguments confusionnistes. Nous ne pouvons nous contenter d’un discours de façade “plus inclusif” avec des postures morales : il est plus que temps de mettre au cœur du débat écologique la question des rapports de production, plutôt que celle de la consommation. Imposons le débat autour de la production, à l’intérieur et en dehors de l’entreprise : de quoi avons-nous collectivement besoin et comment le produisons-nous ? Battons-nous pour plus de démocratie au sein de l’entreprise, ainsi qu’en dehors, afin de détourner la production des intérêts du patronat.
Continuons également à nous former et à former nos délégué·es afin de comprendre les différentes composantes de la pensée réactionnaire, leurs transformations et complexités.
Notre syndicat a un rôle primordial à jouer face à la situation climatique et il doit continuer à prendre et à affirmer ce rôle, de manière nationale comme internationale.