Par Bertil Munk // militant aux Jeunes FGTB
L’élection de Donald Trump à la présidence en 2016 avait donné à l’extrême droite européenne une légitimité supplémentaire, notamment sur les aspects migratoires et protectionnistes. Huit ans plus tard, le corpus idéologique du milliardaire reste sensiblement le même à l’exception d’une chose : le voilà meilleur ami avec les libertariens les plus cinglés. Le nouvel axe de l’extrême droite autoritaire outre-Atlantique partage un amour fou pour les crypto-actifs. De Javier Milei en Argentine en passant par Nayib Bukele au Salvador, ce fanatisme pour ces monnaies parasitaires et spéculatives symbolise une recomposition possible du projet fasciste du 21e siècle tout aussi capable de s’importer dans le paysage politique européen.
L’extrême droitisation de la Silicon Valley
L’évolution de la polarisation politique au sein des cadres exécutifs des entreprises de la Silicon Valley1 en dit long sur cette mutation récente. Au début des années 2000, ces derniers s’identifiaient encore au parti Républicain, à l’époque de la droite modérée. Pendant vingt ans, leur positionnement s’est progressivement réorienté vers un soutien au parti démocrate. A contre-courant total de cette constante progression, un retour massif vers le parti républicain, pour le coup extrême-droitisé, s’observe depuis la sortie de crise du COVID-19.
Le « trumpisme » est devenu un idéal politique pour nombre de barons des nouvelles technologies. Plus grande richesse mondiale, Elon Musk promeut le « trumpisme » à coup de dizaine de millions de dollars et à travers une transformation de Twitter en arme réactionnaire. JD Vance, colistier de Trump pour la vice-présidence, est lui l’enfant prodige du fondateur de Paypal Peter Thiel et assure ce nouveau lien organique entre Silicon Valley et premier cercle « trumpiste ».
Le parrainage de ces milliardaires est bien entendu corrélé aux politiques fiscales accommodantes du Parti républicain. Les démocrates, davantage enclins à soutenir les syndicats, à taxer les grandes entreprises et à s’attaquer aux monopoles privés représentent logiquement une menace pour leur accumulation capitaliste démesurée. Beaucoup plus préoccupant, la mégalomanie de certains de ces magnats s’illustre par des affiliations idéologiques douteuses. Musk souscrit au long-termisme. Ce courant philosophique met en équivalence toute vie humaine présente avec celles du futur lointain. L’objectif est alors de défendre la civilisation humaine sur le temps très long, postulant que celle-ci serait mise en danger par une décadence occidentale ainsi qu’un Etat omnipotent qui rendrait sur plusieurs générations les individus trop paresseux.
Sans y faire référence, ces postulats délirants ont des traits communs avec l’imaginaire, non moins effrayant, du millénarisme hitlérien. La différence notoire avec le siècle passé est que nous vivons dans une ère de techno-féodalisme, où la propriété des outils digitaux est accaparée par un nombre très limité de personnes qui en tirent des rentes astronomiques. L’intelligence artificielle devient clé ; seules OpenAI et une poignée d’entreprises concurrentes travaillant déjà sur le sujet seraient capables d’encadrer ces technologies pour éviter l’asservissement de l’humanité. L’unique verni démocratique de ce long termisme qui se marie si bien au projet d’extrême droite libertarien réside dans le monde des cryptos.
Allier déclassement et financiarisation
Alors que les plus grands groupes financiers sont acquis par l’investissement dans ces actifs spéculatifs, les fervents soutiens des monnaies cryptos continuent à être convaincus de leur esprit subversif. Ces monnaies/actifs spéculatifs ont été développés pour créer une alternative aux banques centrales, jugées responsables de la crise de 2008. Très loin d’une critique progressiste de la financiarisation de l’économie, l’objectif principiel des cryptos réside dans l’hostilité contre l’intervention étatique dans la production monétaire. Les adeptes cryptos ont de multiples profils : certain·es purement utilitaristes, d’autres convaincus de l’avenir futuriste du projet et les plus fanatisés deviennent même des gourous en ligne. Le point commun reste une critique terriblement simpliste du monde de la finance et des banques centrales, qui a historiquement toujours été une porte d’entrée vers le fascisme.
Une partie substantielle des nouvelles générations tombent dans le piège.
En France, plus d’un jeune sur 8 possède des actifs cryptos. Les mécanismes de solidarité collectifs sont sous attaque constante. Nous traversons une crise du coût de la vie et beaucoup se distancient des projets d’émancipation collective au profit d’espoirs individuels. Certain·es se fient alors à des conseils d’investissements ésotériques, sous-estimant le caractère hasardeux de l’investissement crypto. La peur du déclassement a toujours représenté un terreau fertile pour l’extrême droite. Les projets fascistes se masquent sous des vernis populaires avant de se greffer à certaines préoccupations propres au patronat national. Melinda Cooper qualifie le fascisme comme une tentative d’éviter les menaces déflationnistes (ralentissement économique, chômage, etc.) sans menacer substantiellement la distribution de richesse et de revenu. Le projet crypto est alors un outil capable d’aller dans ce sens, protégeant un ordre établi inégalitaire en donnant des gages de changement. La présence d’un Trump à la convention Bitcoin annuelle à Nashville, où la visite d’un Zemmour auprès d’une Start up du secteur sont plus que des épiphénomènes. Ils sont le penchant économique d’un programme liberticide pour l’ensemble de la classe travailleuse internationale. L’arrivée progressive du projet libertarien sur le continent par le biais des cryptos, amène deux nouvelles inquiétudes.
Premièrement, certains partis d’extrême droite européens se sont normalisés grâce à un positionnement tolérant vis-à-vis de l’État social. Cette ligne leur aliène les indépendant·es ainsi que les classes supérieures. Maintenant que le terrain politique leur est favorable, s’attaquer plus frontalement à l’État social peut devenir une nouvelle stratégie de conquête du pouvoir, déjà symbolisée en France par un « Macrono-Lepénisme » naissant.
Enfin, pour la première fois à grande échelle, les 18-35 ans ont voté en masse pour l’extrême droite durant les élections européennes. Alors que jusqu’à présent cette catégorie d’âge était hermétique à ces idées, la dynamique s’inverse. Parmi ces jeunes, beaucoup sont des petits porteurs d’actifs cryptos. Ils représentent une bombe à retardement, car qui sait comment ils réagiront lorsque la prochaine bulle financière éclatera, et que l’ensemble de leurs réserves économiques disparaîtra.
À lire
No crypto, comment Bitcoin a envoûté la planète Nastasia Hadjadji, édition divergence, 2023
- Zone de Californie qui symbolise les nombreuses innovations technologiques américaines de ces trente dernières années. ↩︎