La grève générale en Belgique

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Par Julien Scharpé, chargé de communication aux Jeunes FGTB

Depuis les élections de juin 2024, le MR et les Engagés racontent, à qui veut l’entendre, que les grèves sont scandaleuses et antidémocratiques. S’appuyant sur le fait qu’ils ont remporté les élections, à leurs yeux, personne ne devrait contester leur accord de gouvernement. Sans surprise, les fédérations patronales leur emboîtent le pas et appellent à mettre un terme aux différentes mobilisations qui secouent l’ensemble des secteurs d’activité. 

Pour la droite, les grèves sont scandaleuses parce qu’elles seraient l’expression d’une gauche « mauvaise perdante » qui refuse la défaite. Pire, ces grèves seraient trop coûteuses pour les entreprises et risqueraient de faire fuir de nombreux investisseurs. Si les travailleur·euses ont le droit d’exprimer leurs désaccords, il ne faudrait surtout pas qu’iels aient la capacité de développer un rapport de force. Ce serait remettre en cause le modèle social en Belgique.

La grève générale est pourtant le socle sur lequel repose la démocratie en Belgique. Qu’il s’agisse du suffrage universel ou de la sécurité sociale, ces droits ont été acquis et s’exercent autour de celle-ci.

À la conquête du suffrage universel

C’est en 1886 que la Belgique connaît sa première grève générale. Alors que le pays est traversé par une crise économique, les travailleur·euses n’ont aucun droit. Le travail des enfants est autorisé, il n’y a pas de limitation du temps de travail et les caisses de solidarité ouvrière sont interdites. Politiquement, le pays est divisé entre libéraux et catholiques qui se partagent le pouvoir sous l’égide de la bourgeoisie qui est la seule à posséder le droit de vote.

Le mouvement de contestation prend sa source à Liège mais ne tarde pas à s’étendre rapidement à l’ensemble du Hainaut. De nombreux affrontements ont lieu à Charleroi, où des ouvriers détruisent les machines qui semblent être l’origine de licenciements collectifs. La ville est déclarée en état de siège et 22.000 réservistes sont mobilisés pour écraser la révolte.

La grève de 1886 est réprimée dans le sang, mais la crainte qu’elle a suscité au gouvernement permet d’obtenir des premières avancées sociales. Un Comité chargé de s’enquérir de la situation du travail industriel dans le royaume et d’étudier les mesures qui pourraient l’améliorer est créé par arrêté royal.

Dès 1893, après que le parlement eut rejeté la proposition d’introduction du suffrage universel, une nouvelle grève générale est organisée par le secrétariat du parti ouvrier belge. La terreur provoquée auprès de la bourgeoisie contraint cette dernière à réaliser des concessions. Bien que le suffrage universel n’ait pas été adopté, les ouvrier·ères gagnent le droit de vote, tempéré par le vote plural. Les puissants propriétaires et les détenteurs d’un diplôme bénéficient de plus de voix, mais perdent leur monopole électoral.

En 1902 et 1913, deux autres grèves pour le suffrage universel masculin sont organisées. Il faudra attendre 1919, alors que les révolutions en Russie et en Allemagne horrifient le monde patronal, pour que le suffrage universel masculin soit enfin instauré dans notre pays.

La naissance de la sécurité sociale

Si la Belgique a déjà connu plusieurs grèves avant 1921, c’est seulement à partir de cette date qu’elles ne seront plus considérées comme infraction pénale. Cette dépénalisation de la grève s’inscrit dans un premier mouvement de progrès social : limitation du temps de travail à 40 heures par semaine, mise en place des premières commissions de négociations entre patrons et syndicats, etc.

Malgré ces premières avancées sociales, la grève générale reste nécessaire pour le mouvement ouvrier. En 1932, les mineurs du Borinage, en Wallonie, se mettent en grève contre la tentative de leurs patrons de diminuer les salaires de 10%. La grève s’étend dans toute la Wallonie et se durcit. La mobilisation et le sacrifice de ces travailleur·euses mène à une victoire qui permet d’empêcher le plan de baisse des salaires.

Le 2 juin 1936, les dockers d’Anvers se mettent en grève pour une augmentation de salaire. Cette grève prend de l’ampleur et s’étend partout en Belgique. Plus de 500.000 travailleur·euses se mettent en grève pour revendiquer des congés payés et pour faire respecter les 40 heures de travail par semaine. Cette lutte aboutit une nouvelle fois à la victoire : les congés payés sont nés.

Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que le pacte social de décembre 1944 soit conclu. Avec lui, c’est la naissance de la sécurité sociale telle que nous la connaissons. Ce pacte articule la concertation sociale autour de 3 grands axes :

·         Instauration d’un système complet de sécurité sociale fondé sur la solidarité ;

·         Mise en place d’un système de concertation paritaire entre patrons et travailleur·euses ;

·         Amélioration du régime salarial

Ce pacte est un compromis politique dans lequel les syndicats et le monde patronal se reconnaissent mutuellement une légitimité dans l’organisation de l’économie et de la redistribution des richesses produites. Il s’agit d’une assurance professionnelle gérée par l’État, les travailleur·euses et les employeurs.

Si la concertation sociale devient légalement codifiée, les partis politiques se sont abstenus d’encadrer le droit de grève. En dehors du secteur de la santé et de l’armée, aucun service minimum n’était, à l’époque, imposé. La liberté du recours à la grève, en vue de peser dans des négociations, fait partie intégrante du modèle social en Belgique.

Lorsque le MR et les Engagés remettent en question l’usage de la grève contre leur accord de gouvernement, ils remettent en question la manière dont le modèle social s’est construit en Belgique. Le fait de présenter l’action syndicale comme anti-démocratique est une insulte pour toutes celles et ceux qui sont à l’origine du suffrage universel et de la démocratie sociale en Belgique ; une insulte envers les syndicalistes. Il serait judicieux de rappeler aux membres de notre gouvernement qu’il y a des années, lorsque les syndicalistes organisaient des grèves pour obtenir le suffrage universel, c’étaient les partis catholiques et libéraux qui donnaient des leçons de démocratie en faisant tirer sur la foule protestataire.

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