Par Miguel Schelck, permanent Jeunes FGTB Bruxelles
La lutte contre le racisme est une dimension importante du combat syndical. Au quotidien, nos délégué·es se battent dans l’entreprise pour défendre les travailleur·euses issu·es de l’immigration. La FGTB participe également à des campagnes nationales contre le racisme et la division des travailleur·euses sur base de leur religion ou de leur ethnie car seule une classe unie dans un même mouvement de masse est capable de se débarrasser du capitalisme.
Néanmoins, pour unir la classe travailleuse et mener des luttes efficaces contre le système raciste, il est nécessaire d’être guidé par une théorie prenant en compte les divisions et hiérarchies qui traversent nos sociétés, les raisons de celles-ci et leurs effets sur l’ensemble de la classe travailleuse.
Cette théorie, nous pouvons aller la chercher chez celui qui a durablement marqué le mouvement ouvrier depuis la fin du 19ème siècle : Karl Marx. En effet, si la lutte contre le racisme est secondaire dans son œuvre, il a néanmoins participé de son temps aux luttes antiracistes et construit de nombreuses réflexions sur les fonctions du racisme dans la société. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les luttes de libération nationale qui ont marqué l’Asie, les Amériques ou l’Afrique durant le 20ème siècle ont été influencées par le marxisme et soutenues par les régimes socialistes se revendiquant de Marx.
Racisme et capitalisme : les deux faces d’une même pièce
Un des apports de Marx à la lutte antiraciste a été de montrer à travers sa théorie de l’accumulation primitive du capital la manière dont le capitalisme a construit le racisme comme système.
Dans Le Capital, section VIII du livre I, Marx développe cette théorie. Il cherche alors à comprendre le passage du féodalisme au capitalisme entre le 15ème et le 18ème siècle ; le processus historique qui a permis la transformation d’une économie agricole et artisanale en une économie commerciale et industrielle, la privatisation des terres par la bourgeoisie et la prolétarisation des paysans.
Pour Marx, ce processus historique est le fruit de l’accumulation primitive du capital, soit la concentration et la centralisation de la richesse aux mains de la bourgeoisie à travers des méthodes violentes comme la spoliation des terres, la colonisation, l’expropriation, … Ainsi, chez Marx, l’esclavage et la colonisation des peuples autochtones d’Amérique, d’Asie et d’Afrique par les puissances impérialistes de l’époque ont permis d’accumuler les richesses nécessaires au développement économique et technologique des sociétés. Cette accumulation de richesse est donc considérée par Marx comme la base nécessaire à la formation du capitalisme moderne.
Mais pour ce faire, il a fallu à la bourgeoisie de l’époque légitimer tous ces crimes, c’est-à-dire construire un système idéologique légitimant la hiérarchisation entre différentes catégories d’individus. Ainsi, le capitalisme a participé à la systématisation et l’institutionnalisation d’un système raciste dans notre société. Se battre contre le racisme implique donc de se battre également contre le capitalisme qui le produit, et vice-versa.
Les fonctions du racisme :
Chez Marx, le racisme n’a pas pour unique fonction de légitimer l’esclavage, les spoliations, les ethnocides commis à l’égard de certaines catégories de travailleur·euses et, plus largement, leur prolétarisation. En fait, à travers son œuvre, on peut noter l’existence de trois grandes fonctions du système raciste.
La fonction économique du racisme :
Le racisme a un rôle économique important dans le capitalisme. Comme tous les autres processus de division et de hiérarchisation des travailleur·euses, le racisme permet d’accroitre la concurrence entre elleux en payant moins et dotant de moins de droits sociaux certaines catégories de population. Une des fonctions du racisme consiste donc à faire pression vers le bas sur les droits et les salaires de la classe travailleuse.
La fonction politique du racisme :
Le racisme a également une fonction politique importante chez Marx. D’abord, il permet de diviser le prolétariat et de détourner celui-ci de la lutte des classes. Le nationalisme défendu par l’extrême-droite par exemple peut être analysé comme une manière d’unir les classes sociales en conflit contre un ennemi fantasmé afin de subordonner la lutte des classes à la lutte des races.
Ensuite, le racisme permet de justifier le néo-colonialisme et les guerres qui permettent aux puissances impérialistes de conquérir de nouveaux marchés, de nouvelles ressources et une main-d’œuvre à moindre coût.
La fonction idéologique du racisme :
Enfin, on retrouve chez Marx l’idée que le racisme permet de nuire à la construction d’une conscience de classe, notamment en développant dans la classe travailleuse un sentiment de supériorité par rapport à une « sous-classe ». Cela aurait pour rôle de faciliter à une partie du prolétariat leur assimilation à la bourgeoisie.
Notre mission historique :
Le socialisme ou la barbarie :
Aujourd’hui, nous sommes face à deux possibilités : soit nous poursuivons sur la voie que nous semblons prendre, c’est-à-dire vers un néolibéralisme de plus en plus autoritaire, ultra-nationaliste et raciste ; soit nous poursuivons la lutte pour une société égalitaire. En soi, le socialisme ou la barbarie. La lutte antiraciste est donc essentielle en cette période sombre, et Marx nous éclaire quant aux chemins à prendre dans celle-ci
En effet, sur base de son œuvre, des luttes qu’il a menées et de ses prises de position, on comprend que la lutte contre le racisme passe principalement par la lutte contre les bases matérielles dont il est le produit, et donc contre le capitalisme. Toutefois, à l’inverse de ce que laissent croire les interprétations trop mécanistes de la pensée de Marx, nous devons également lutter contre le racisme en tant qu’idéologie car la lutte des idées peut aussi peser sur la lutte des classes et, donc, sur les rapports de production. Outre cette vision mécanique, il est temps que certain·es marxistes en finissent avec leur opportunisme de droite qui consiste à éluder les questions de racisme tout en évitant de tomber dans son extrême-opposé : une posture gauchiste qui vise à assimiler toutes les personnes ayant des pratiques ou discours racistes à des fachos.
Les luttes antiracistes à mener :
A l’aune de la pensée de Marx, on peut considérer que les luttes à mener contre le racisme doivent s’axer autour de trois phénomènes.
D’abord, il faut mener la lutte contre le capitalisme lui-même à travers les luttes sociales qui, en plus de participer à l’amélioration immédiate des conditions matérielles de la classe travailleuse, permet de travailler consciemment à l’unité. Tout est fait pour diviser l’agent révolutionnaire qu’est la classe ouvrière. Notre rôle doit être de participer au développement d’une conscience de classe. En tant que syndicat implanté et ayant un impact dans le prolétariat, il est de notre devoir de lutter pour faire reculer le racisme en rappelant ce message « prolétaires de tous les pays, unissez-vous ».
Ensuite, nous devons lutter contre toutes les manifestations que prend le racisme aujourd’hui. C’est-à-dire aussi bien contre les discriminations à l’emploi, au logement, à l’école, etc. que pour l’égalité des droits et, ainsi, la fin du dumping social. En effet, notre rôle est de montrer l’intérêt que l’ensemble de la classe travailleuse aurait à l’égalité. C’est également notre rôle de prendre en compte et de lutter contre les violences et discriminations présentes au sein de l’institution policière·e, d’autant plus que nous sommes représenté·es en son sein et disposons donc d’un moyen de former et d’agir auprès des policier·ères syndiqué·es chez nous.
Enfin, nous devons nous lancer plus en avant dans la lutte idéologique contre le racisme. Cela implique de nous positionner plus souvent dans l’espace public et médiatique sur le racisme, de continuer les formations spécifiques sur cette thématique auprès des délégué·es et, plus largement, de notre public : la classe travailleuse.
Finalement, n’oublions pas que les conquis sociaux ne s’obtiennent que lorsque nous sommes uni·es en mouvement de masse : femmes, hommes, employé·es, ouvrier·ères, blanc·ches et personnes racisées. Les luttes contre le racisme, tout comme contre le sexisme, sont donc essentielles à la victoire.