Vaincre le déni colonial et faire converger nos luttes

Temps de lecture : 6 minutes

Interview de Aliou Baldé du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations

Peux-tu te présenter, raconter rapidement ton parcours et présenter le Collectif ?

Mon nom est Aliou Baldé, je suis militant du Collectif Mémoire Coloniale depuis 7 ans. Je m’y occupe principalement de tout ce qui est espace public et par conséquent des visites décoloniales que l’on organise depuis 9 ans maintenant.

L’objectif de départ des militant·es qui ont créé le collectif était de faire le lien entre colonisation et racisme, du fait du constat à l’époque qu’il n’y avait pas d’organisation qui faisait ces liens ou s’en occupait spécifiquement.

Iels se sont dit qu’il fallait créer un ensemble d’outils là-dessus. Les visites sont arrivées comme ça mais pas que : on a fait beaucoup de conférences, de formations et on en fait encore. Beaucoup de lobbying politique aussi. L’idée est de pousser à ce que la question soit dans l’agenda politique et médiatique.

Avec des hauts et des bas, on a quand même constaté que cette question est devenue un incontournable avec le temps donc ça c’est plutôt positif. Il faut être vigilant·es là-dessus parce qu’on n’est pas à l’abri des récupérations et il y en a déjà eu beaucoup.

C’est un euphémisme: la colonisation est peu abordée dans les programmes scolaires comme au sein des institutions culturelles. Pourquoi à ton avis ? Y a-t-il encore aujourd’hui des pressions pour ne pas en parler ?

Il est plus correct de dire que ce n’est plus abordé maintenant. Au temps de la Belgique coloniale et un peu après les années 60, cette question était enseignée dans les écoles. Mais c’était évidemment du point de vue du colonisateur et sous forme de propagande. Après les années 60, c’est devenu un peu une espèce de tabou petit à petit parce que la Belgique n’avait pas préparé l’indépendance qui fut vécue comme très brutale pour certain·es.

C’est vraiment une grosse frustration pour beaucoup et petit à petit, on a enfermé la thématique dans des petits cercles d’anciens coloniaux qui montaient des associations et qui transmettaient à leur niveau. Il y a cependant toujours eu des institutions comme le Musée de Tervuren qui, lui, a quand même fonctionné pendant longtemps avec cette propagande pro coloniale et qui perdure d’une certaine façon aujourd’hui.

Donc aujourd’hui si on n’en parle plus, c’est parce qu’il faut installer le déni par rapport à la question. Il faut quand même souligner les évolutions au niveau de l’enseignement francophone : il y a une réforme qui est en cours à ce sujet mais elle se fera dans le secondaire inférieur. Pour moi, ça doit commencer dès la maternelle et aller jusqu’à l’université. Il faut aussi inciter les gens à faire des activités extra-scolaires sur ces questions.

On a évidemment lutté contre ce déni parce qu’il y a 10 ans encore, c’était une question vraiment peu posée et donc l’idée c’était de la faire remonter en surface et de montrer ce qu’on a subi en 75 ans de colonisation et que ce n’est pas juste une question qu’on peut oublier et enterrer.

Ensuite il y a des groupes de pression, notamment une association pro-coloniale qui s’appelle “Mémoire du Congo”, qui fait régulièrement des conférences. Il y a à contrario toutes les familles coloniales qui ont encore des réseaux via certains politiques et qui poussent à ce que ces questions ne soient pas abordées.

On a aussi la famille royale. Il faut le dire parce que récemment, sur la question des excuses, c’était un secret de polichinelle que la famille royale a appelé certain·es parlementaires pour éviter que le mot “excuse” ne soit prononcé parce qu’il ouvre la voie à beaucoup de choses comme toucher à leurs finances personnelles. D’où la formulation du Roi Philippe disant qu’il exprime des « profonds regrets », termes juridiquement nuls et donc dont on ne peut rien tirer.

Pour nous la question des réparations, notamment financières, devra se poser tôt ou tard.

On remarque que même lorsque la question est abordée, on ne nous parle jamais des faits de résistance des peuples colonisés. Peux-tu nous en dire plus et donner quelques exemples pour les colonies belges ?

Tout a été fait pour présenter les peuples colonisés de manière générale comme étant des peuples passifs ou en tout cas des peuples sauvages qui attendaient qu’on vienne les civiliser.

Concrètement, c’est comme ça que l’image a été mise en place et donc il faut surtout éviter de parler de cette question de résistance parce que ça voudrait dire que les gens sur place n’étaient pas d’accord avec le système. Tout simplement !

Je suis récemment passé devant une plaque rue Montoyer qui est en hommage à Unilever, anciennement “Les huileries du Congo belge”, qui produisent notamment le savon Sunlight. Cette société a énormément bénéficié d’expropriations de terres au Congo et elle a d’ailleurs fait face à la plus grande résistance qu’il y ait eue, en 1931. On l’appelle souvent la « révolte des Bapende » mais nous évitons ce terme parce que ça fait croire que c’était spontané alors que c’était quelque chose de bien pensé, organisé, etc.

Lorsqu’on parle de résistance, on ne parle souvent que de résistance armée mais ce sont d’autres choses aussi : les travailleur·euses dans les mines qui ralentissent leur travail, faire des régimes drastiques pour maigrir pour ne pas être recruté·e, la fuite des zones d’exploitation, etc.

Quel a été le rôle des femmes dans cette résistance ?

Une figure très connue est Maman Marie Muilu Kiawanga Nzitani qui était la compagne de Simon Kimbangu, un leader spirituel et politique. Elle a mené la résistance lors de la détention de son mari (qui a durée 30 ans, jusqu’à sa mort). On peut également citer Kimpa Vita, grande leadeuse de la résistance anticoloniale, qui remonte à l’époque du Royaume du Kongo.

Est-ce que le colonialisme belge appartient vraiment au passé ou est-il encore bien présent ? Quel est encore le rôle d’acteur·trices belges, privé·es comme publics, dans les anciennes colonies ?

On nous dit souvent que le colonialisme appartient à l’histoire, mais il n’appartient pas au passé.

Au niveau de la manière dont sont traitées les populations noires par la Belgique, on remarque qu’il y a encore beaucoup d’aspects coloniaux. Au-delà de ça, la Belgique a perdu beaucoup de son influence par rapport à des pays comme les États-Unis, la France ou plus récemment la Chine mais il faut rappeler qu’aujourd’hui encore il y a des intérêts belges au Congo. On a la fameuse “expertise de la région des Grands Lacs” qui concerne par exemple les minerais et qui se matérialise dans le Musée de Tervuren.

Est-ce qu’on peut également parler d’un développement économique des pays colonisés par la Belgique ?

Ça c’est vraiment le discours de propagande. C’est imaginer que la famille royale aurait investi de sa poche pour que d’autres en bénéficient. Toustes les biographes de Léopold II reconnaissent que c’était un personnage extrêmement capitaliste, mégalomane et radin dans sa manière de fonctionner. Jamais on aurait pu imaginer que, y compris en Belgique, il ait fait quelque chose au bénéfice des gens. Il y avait toujours des intérêts économiques cachés derrière. Il y avait des liens très forts entre Léopold II et le monde des capitalistes, de la finance.

À ton avis, comment construire la convergence entre le syndicalisme et les collectifs décoloniaux/antiracistes ?

Il y a grandement besoin de convergence mais elle ne va pas arriver comme ça parce que le syndicalisme est assez classiste et, personnellement, je le trouve un peu raciste. Il y a certaines revendications décoloniales qui sont difficilement portées par les syndicats. Dans un autre sens, c’est important qu’ils portent ces thématiques parce qu’ils représentent une grande force ; ce sont eux qui mobilisent, ils ont énormément d’influence.

Quand je parle de classisme, je veux dire qu’il y a beaucoup de syndicalistes qui viennent plutôt de milieux bourgeois et qui ne comprennent pas toujours les préoccupations des travailleur·euses. Ça s’applique à la gauche de manière générale. À droite, c’est pire évidemment.

En caricaturant un peu, selon beaucoup de militant·es de gauche : lorsque le capitalisme tombera, il n’y aura plus de problèmes de racisme… On pense que c’est faux et qu’il faut intégrer un antiracisme conséquent dès maintenant.

À ton avis, à quoi devrait-on travailler en tant que syndicalistes pour avancer sur ces questions ?

Je pense qu’il faut déjà travailler cette question dans les entreprises, connaître et analyser leurs liens avec la colonisation par exemple. Comment est-ce qu’elles ont fait fortune et quels actes concrets de réparation peuvent-elles mettre en œuvre ? Comment les conditions de travail peuvent-elles être améliorées grâce notamment à cette mise en question ?

L’idée c’est vraiment de les pousser à ce que ces questions soient reconnues ; on pourrait par exemple attaquer Unilever sur ses bénéfices énormes qui sont liés au colonialisme.

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