Témoignage d’Angélique Hercot, militante syndicale chez Makro

Temps de lecture : 6 minutes

Déléguée SETCa[1] chez Makro[2] et plus déterminée que jamais malgré la situation difficile au sein de l’entreprise, plus jamais convaincue de l’indispensabilité du syndicalisme. Entretien réalisé par Sylvain Michiels, animateur Jeunes FGTB.

Peux-tu nous rappeler ton parcours syndical et pourquoi tu t’es engagée comme militante active ?

Il y a quinze ans, la direction de Makro Lodelinsart m’a enfermée dans un bureau afin de me faire avouer une bévue que je n’avais pas commise, accompagnée de ma déléguée CNE[1]. Mon C4 était préparé, prêt à signer. Interdiction de téléphoner, de manger, boire ou sortir du bureau. J’ai tenu bon 2 heures, en démontant tous les prétextes qu’ils avançaient pour me virer. J’ai réussi à envoyer discrètement un sms au délégué SETCa. A son arrivée, tout s’est calmé. Ils m’ont laissé quitter le bureau. J’ai compris qu’avoir un bon délégué dans une entreprise est très important.

Je me suis présentée aux élections sur la liste CPPT[2] ; j’ai été élue comme suppléante pendant 2 mandats dont un en DS[3]. En 2020, je me suis présentée sur les listes CE[4] et j’y ai été élue effective ainsi qu’en DS.

J’ai dû un peu jouer des coudes pour avoir ma place au sein de la délégation. Il n’est pas facile pour des délégué·es en place depuis quasi 20 ans de laisser la place. Les ayant dépassé·es en voix préférentielles, les travailleur·euses comptaient sur moi pour changer certaines choses et ai donc revendiqué ma place.  Durant la pandémie du Covid, j’ai dû tenir un peu le bateau seule : toustes les autres délégué·es étaient malades. J’ai mis en place un groupe Messenger pour passer toutes les informations aux affilié·es. En temps partiel, c’était la seule solution pour que tout le monde reçoive le même message ; l’information étant le pouvoir, on allait la donner à toustes les travailleur·euses ! Ce groupe a d’ailleurs bien servi pour toutes les grèves menées pendant 2 ans.

Ce fut assez compliqué car la direction a profité de la pandémie pour installer un dictat appliquant les règles de distanciation à sens unique. D’un côté, le/la client·e pouvait t’approcher à 20 cm, aucun contrôle du nombre de client·es au mètre carré. De l’autre interdiction d’organiser une assemblée syndicale, aucune règle mise en place pour que le personnel se sente en sécurité…

Il a fallu montrer les dents et les menacer de grèves. Si nous devions suivre des règles, eux aussi !   

Quelle(s) expérience(s) retiens-tu en tant que déléguée ? As-tu eu l’impression de mener plusieurs combats en tant que femme ?

Le SETCa a toujours favorisé la parité, en théorie. En pratique, c’est une autre histoire. Nous vivons encore dans un monde très patriarcal. Le problème se pose plutôt vis-à-vis de la direction de l’entreprise et parfois même avec les collègues de travail masculins. Certains heureusement ; pas tous ! J’ai souvent eu l’impression qu’en tant que femme syndicaliste, la direction ne me prenait pas au sérieux, du moins au début de mes mandats en tant que déléguée effective. Si on lève le ton, on nous traite tout de suite d’hystérique, on doit se calmer, … Je me souviens qu’une fois, le directeur m’a aboyé dessus comme si j’étais une gamine à réprimander. Il a cru m’impressionner ; ça n’a pas marché. Il a alors trouvé plus facile de discuter avec le délégué principal, d’homme à homme. Étrangement, le problème qui semblait si compliqué avec moi a été réglé. 

Peux-tu évoquer le combat mené dernièrement lors de la liquidation/mise en faillite de Makro ?

La faillite, au départ une PRJ (procédure de réorganisation judiciaire), a été une période de quatre mois très difficile. Je ne souhaite à aucun·e délégué·e d’entreprise de vivre ça.

Les travailleur·euses ont alors en tête un plan Renault avec préavis, prime de sortie, … La PRJ permet de le contourner. Pendant ces quatre mois, j’ai vraiment eu l’impression de ne servir qu’à expliquer à mes collègues qu’iels n’auraient droit qu’à un fonds de fermeture plafonné à 30500€ brut ainsi qu’une prime de fermeture de l’ONEM et donc par la collectivité.

J’ai dû consoler mes collègues, qui sont parfois des ami·es : iels perdaient leur boulot, souvent le seul qu’iels aient connu, leur vie sociale, leurs habitudes. Ce n’est pas facile à vivre de voir pleurer des personnes qu’on connaît depuis 25 ans.

As-tu le sentiment que la structure syndicale t’a été utile pour mener ce combat ? Que retiens-tu de positif ? Que t’a-t-il manqué ?

La structure syndicale était présente mais de façon dramatiquement insuffisante pour les travailleur·euses. Face aux entourloupes financières et juridiques, le monde du travail est totalement désarmé. Il nous a manqué de la solidarité interprofessionnelle et un plan de riposte conséquent.

Pour moi, il n’y a rien de positif à retenir de cette période puisque dans une PRJ, les structures syndicales ne peuvent rien négocier. Nous avons pu constater le coma végétatif du monde politique de droite comme de gauche, un silence assourdissant face à la violence de la classe dominante.

Nous avons pu, grâce au concours de certain·es journalistes tel·les que Hugues De Caluwé, Maïté Warland et Pascal Lorent, dénoncer la PRJ dans quelques médias… pendant que RTL-TVI ne proposait que des reportages montrant le désespoir et les pleurs du personnel de Makro.

Pourquoi les jeunes ont-iels raison de s’engager syndicalement ? Quel(s) conseil(s) donnerais-tu pour que leurs luttes s’inscrivent dans la durée ?

Les jeunes DOIVENT s’engager syndicalement ! Plus iels seront formé·es, plus iels auront conscience de vivre dans une société capitaliste dans laquelle on ne leur demande pas de s’exprimer, où iels ne louent que leur force de travail et que ce n’est QUE par l’action militante collective des travailleur·euses qu’iels peuvent défendre leurs intérêts face au patronat. Ensemble, être un outil pour modifier le rapport de force dans une entreprise et dans la rue, contre les politiques libérales.

Donc, mes conseils sont que seul·e et sans soutien des travailleur·euses, un·e délégué·e, ne sert à rien, n’a aucun pouvoir. Lorsque le patron voit son magasin se vider parce que 85% du personnel est dehors malgré la pluie, il réfléchit à deux fois. J’ai souvent dit à mes collègues que je ne pouvais pas leur promettre qu’une grève allait tout changer MAIS qu’on pouvait au moins essayer de faire plier le patron et ramener un peu de calme au sein de notre lieu de travail. Le plus important pour moi : ne jamais mentir à ses camarades de travail et essayer de les conscientiser, d’abord aux différents points de CE/CPPT de l’entreprise pour aller crescendo vers un militantisme de base et plus si affinités.

Il ne faut jamais garder les informations pour soi, il faut les communiquer le plus possible. C’est en partageant un maximum que les affilié·es se sentent impliqué·es et qu’on peut compter sur elleux. Sans ça : pas de délégué·es, pas de contre-pouvoir. 

Avec mon compagnon Sandro Baguet, délégué FGTB chez Avery Dennison, j’ai appris aussi que pour tenir une grève, il est important que les travailleur·euses viennent à la grève et surtout qu’iels y restent ! Ça semble simple dit comme ça mais au début, les grèves chez Makro Lodelinsart c’était « je passe 1/4 d’heure, je remplis vite mon papier pour toucher mon indemnité et puis je rentre tranquillement chez moi ». Sandro m’a fait comprendre qu’il fallait que ce soit un moment de partage pour créer des liens. Dès la seconde action, on a prévu boissons chaudes, viennoiseries et ça a fonctionné ! Les travailleur·euses voulaient être ensemble, discuter, partager autre chose que leurs transpalettes. 

Souhaiterais-tu faire passer un message dans le cadre de ce mois de mars dédié aux luttes pour les droits des femmes ?

Il est encore utile en 2023 d’affirmer que les femmes ne sont pas de petites choses fragiles qui ne comprennent rien au monde qui les entoure. On doit s’engager pour la fin de la précarité du monde du travail et également pour mettre fin à la domination des femmes par les hommes. Lutter contre cette double oppression : le capitalisme et le sexisme. Inégalités en droit et inégalités sociales (temps partiel, violences familiale/patriarcale, taux de chômage, écarts salariaux, division sexuelle du travail, …). Maintenant, nous devons viser un féminisme de classe. Une patronne m’exploite autant qu’un mec plein-aux-as. La course aux bénéfices et le vol des richesses produites n’ont pas de sexe.


[1]             Equivalent chrétien du SETCa.

[2]             Comité pour la prévention et la protection au travail.

[3]             Délégation syndicale.

[4]             Conseil d’entreprise.


[1]             Syndicat des employé·es, technicien·nes et cadres au sein de la FGTB.

[2]             Makro est une chaîne de magasins de libre-service de gros belge, d’origine néerlandaise.

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