Quelle justice féministe voulons-nous ?

Temps de lecture : 5 minutes
Par Lucile de Reilhan, militante de l’Union syndicale étudiante

Depuis quelques mois, une vague de témoignages déferle : agressions sexistes, sexuelles et viols dans les bars, les boîtes… Suite à ce mouvement, des conférences et rassemblements ont lieu au sein de l’ULB. La colère gronde. La cause : l’impunité des agresseurs. Les manifestant·es scandent, entre autres, “Les violeurs au bûcher”, “Les violeurs en prison”.

Il n’est pas question, et il ne le sera jamais, de blâmer les victimes qui entreprennent des démarches judiciaires qu’elle qu’en soit la raison. Il est nécessaire que les agresseurs et violeurs soient tenus responsables de leurs actes !

Cependant, le système répressif tel que nous le connaissons présente de nombreux défauts : reproduction d’oppressions systémiques, récidives, violences symboliques et psychologiques à l’égard des victimes… Nous nous posons la question : quelle est la pertinence d’institutions judiciaires et carcérales reproductrices d’inégalités sociales ? La justice punitive, actuellement présentée comme l’unique solution, est-elle véritablement porteuse de justice ? Ne peut-on pas imaginer d’autres méthodes, potentiellement plus réparatrices et la façon de les mettre en place ?

Victimes de viol, on vous croit

La première étape lorsqu’il y a déclaration d’une agression est de reconnaître qu’une agression a été vécue. La justice, le gouvernement, les médias et mêmes nos propres ami.es ne reconnaissent que très rarement la responsabilité de l’agresseur. Entre domination masculine légitimée et culture du viol culpabilisant les victimes, nous sommes encore loin d’une possibilité de reconnaissance permettant de libérer la parole sur ces actes. C’est ce qui explique la colère qui a émergé des mouvements #balancetonporc, #metoo et #balancetonbar. Sans cette reconnaissance, le processus de reconstruction, de réparation et, éventuellement, de pardon de la personne agressée est plus difficile.

Il est également difficile d’en parler car ces violences, nous les subissons dans nos cercles proches. Pour rappel, 90% des victimes de viols et de tentatives de viols connaissent leur agresseur(enquête de l’INSEE).

Ces faits sont extrêmement répandus par une culture de non-consentement qui, dans un contexte de domination masculine, rend les agressions sexuelles terriblement banales. Toutefois, enfermer une personne qui a commis un viol dans le qualificatif « absolu » de « violeur » en ne l’assignant qu’à ce statut, c’est opérer une réduction simpliste et inefficace.

Il vaudrait mieux parler en termes de situation. Cela nous permettrait de comprendre comment nous en sommes arrivé·es là : comment ces comportements sont banalisés dans des groupes de potes, voire valorisés.

Cela permettrait aussi d’espérer une conscientisation de la part de l’agresseur car c’est aussi cela que nous souhaitons : que la personne qui a commis l’acte ne recommence plus jamais. Cela s’est déjà vu, nous savons que c’est possible : le consentement s’apprend.

La prison n’est pas une solution

On pointe souvent l’impunité dont bénéficient les agresseurs. Les réponses proposées sont souvent punitives.  Mais notre but est-il de punir et d’exclure tous les agresseurs ?

Depuis des décennies de nombreuses féministes, et notamment des afroféministes, dénoncent la prison car celle-ci fonctionne en maintenant des inégalités de classes et de race[1]. Derrière les barreaux, nous retrouvons souvent des personnes pauvres, racisées et peu qualifiées. Les actes criminalisés sont souvent ceux qui remettent en cause les injustices et les inégalités socio-économiques comme le vol, le commerce illégal, etc. A contrario les crimes qui ont des impacts sur le plus grand nombre, comme par exemple la fraude fiscale, ne sont presque jamais pénalisés**. Penser que la prison est nécessaire pour combattre le viol revient à limiter la responsabilité à l’échelle individuelle

Mais quelle société voulons-nous ?

Une société qui fonctionne par la peur de la répression ou une société sans domination masculine ? Voulons-nous être complices d’un système carcéral désuet qui ne fonctionne pas car il empire la récidive et souvent dénoncé pour ses conditions de détention ?

De plus, punir ne signifie pas que l’auteur du crime comprenne pourquoi il est sanctionné et qu’il puisse changer. Punir n’implique pas non plus nécessairement d’apporter à la victime du crime satisfaction, ni l’aide pour se reconstruire. En bref, le fait de punir ou d’exclure les violeurs ne répond en rien au problème sociétal qu’est le patriarcat.
Mais alors, on fait quoi ?
Nous pourrions être tenté·es d’exclure les agresseurs de nos milieux mais nous pensons que cette solution ne fera que reporter le problème. Cependant, nous comprenons que l’exclusion puisse représenter une solution temporaire lorsque la discussion est impossible ou pour écarter un danger.

“A l’échelle individuelle, nous résolvons quotidiennement des conflits sans recourir au pénal, en calmant la colère d’un proche, en demandant à un tiers d’intervenir, en offrant un verre à une personne envers qui on a eu des propos indélicats, etc. Parce que nous les utilisons quotidiennement, nous avons rarement conscience de ces compétences. A l’échelle collective, nous possédons des millénaires d’expérience de résolution de conflits en dehors du système pénal.”***

Il s’agit plutôt d’entendre la souffrance de la victime et d’accompagner la personne qui a agressé dans une réflexion ayant pour but de l’aider à comprendre comment elle s’est retrouvée dans une position dominant·e. L’écoute et le dialogue peuvent occuper une place prépondérante dans ces processus de compréhension et de reconstruction : faire appel à un·e médiateur·ice ou investir massivement dans des outils de sensibilisation peuvent représenter des pistes à creuser. Nous ne voulons pas dire par là que, grâce à l’éducation, les hommes accepteront de sortir de leur position de dominants. Ce serait nier une réalité sociale dont les hommes tirent bénéfice et profitent sur de nombreux plans. Nous ne pensons cependant pas pour autant que la répression soit une solution.

Une justice transformatrice, c’est à dire qui s’intéresse aux causes profondes et aux résultats globaux, qui cherche à transformer plutôt qu’à taire, est ce vers quoi nous voulons tendre.

Et n’oublions pas que c’est en s’organisant collectivement contre les structures (et non les individus) qui produisent et reproduisent ces dominations que nous viendrons à bout de ce système qui exploite sans répit.

Notre féminisme est anti-carcéral, car il est avant tout anti-capitaliste et révolutionnaire

*Vanneste Charlotte, « Pauvreté, précarité et prison : des liens de proximité inéluctables ? »

**https://laclac.org/2020/11/06/pourquoi-faut-il-en-finir-avec-les-prisons-brochure/

*** Gwenola Ricordeau, Femmes contre la prison.


[1] Bien que nous sachions aujourd’hui qu’il n’existe pas de races au sens biologique du terme, nier l’existence de races d’un point de vue sociologique contribue à invisibiliser l’oppression raciste et donc le traitement différentiel infligé aux personnes non-blanches. Nous utilisons donc ce terme au sens sociologique et rappelons que la race est socialement construite par les projections des personnes blanches sur les personnes racisées. C’est ce qu’on appelle le processus de racialisation.

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