Par Julien Dohet, secrétaire politique SETCa Liège-Huy-Waremme, participant au Front antifasciste de Liège, auteur de plusieurs études sur l’extrême droite et l’antifascisme. Dernier livre publié : L’antifascisme, collection « dis c’est quoi ? », Waterloo, Renaissance du livre, 2022
Quinze jours seulement après sa relance le 30 janvier 2019, le Front antifasciste de Liège passe à l’action directe en bloquant la venue à Verviers de Théo Francken, alors secrétaire d’état NVA à la migration. Cette « conférence littéraire » organisée par « une simple citoyenne » était en fait un meeting mis en place par une militante passée par le Parti Populaire et qui regroupait l’ensemble des composantes de l’extrême droite belge francophone en perspective des élections de mai 2019. Si les éternels débats sur la « liberté d’expression » et l’usage de la « violence » ont été agités par les médias, le bilan de cette première action est très positif : en quelques jours la diversité antifasciste (gilets jaunes, syndicalistes, autonomes, ultras du standard, membres de partis progressistes et d’associations pluralistes…) s’est mobilisée et a empêché l’alliance électorale de l’extrême droite qui se présentera en ordre dispersé quelques mois plus tard aux élections. L’occasion pour les militant·es du Front antifasciste de continuer la stratégie consistant à ne laisser aucun répit à l’extrême droite via un travail de sabotage systématique de son affichage électoral, épuisant rapidement le peu de moyens humains et financiers à sa disposition et entretenant la zizanie interne.
Ces premières actions (auxquelles on ajoutera Gilly contre le Parti National Européen) confirment le Front antifasciste de Liège dans son analyse : tout en travaillant à la construction d’une perspective de modification profonde des conditions économiques et sociales, véritable terreau du développement de l’extrême droite, au-delà de l’analyse des discours et d’un travail d’éducation populaire, une action directe contre les structures d’extrême droite est nécessaire. Elle doit être faite tant que ces structures sont embryonnaires pour tuer les initiatives dans l’œuf. L’empêcher d’occuper le terrain, de faire des réunions publiques lui permettant de recruter, continuer à la stigmatiser comme étant hors du jeu démocratique apparaissent donc comme indispensables dans une stratégie antifasciste plus large.
Dans cette logique, la mobilisation contre le meeting du nouveau parti d’extrême droite « Chez Nous » annoncé « en région liégeoise » le 27 octobre 2021 a été organisée. C’est le travail essentiel de veille (principalement sur les réseaux sociaux et sur Internet) qui permet d’avoir connaissance de la volonté de « Chez Nous » de se réunir en meeting en présence de Jordan Bardella (président et député européen du Rassemblement National de Marine Le Pen) et de Tom Van Grieken (président et député à la chambre du Vlaams Belang). La pression antifasciste jamais relâchée oblige les organisateur·rices à indiquer que le lieu exact du meeting ne sera transmis aux participant·es, qui se sont inscrit·es de manière payante, que 3 heures avant le début de la réunion (une précaution déjà utilisée, sans succès, pour la « conférence » de Francken) ce qui limite déjà la participation éventuelle. Dès cette information connue, et tout en activant les moyens de renseignements afin de connaitre le lieu de la réunion à l’avance, un travail d’information et de mobilisation commence auprès de l’ensemble des participant·es du Front antifasciste, notamment les structures comme les syndicats. La FGTB va rapidement répondre, comme à chaque fois, positivement et envoyer un courrier à l’ensemble des bourgmestres pour les prévenir de la possible tenue d’un meeting d’extrême droite sur leur commune. La CSC fera de même. Cet important travail, dont une grosse partie est imperceptible, portera ses fruits. D’une part une mobilisation importante, y compris d’antifascistes bruxellois·es, hennuyer·ères, anversois·es… confirmera la possibilité de mettre un rapport de force suffisant pour empêcher la tenue du meeting. Ce dernier sera au dernier moment annulé, le lieu ayant été connu (La Fabrik à Herstal) et les autorités communales ayant décidé de l’interdire. Une concentration sera alors organisée à Liège, regroupant toute la diversité des personnes s’étant mobilisées, pour marquer le coup et rester prêt à une surprise de dernière minute qui n’aura pas lieu.
Comme l’indiquera le Front antifasciste dans son bilan : « Notre action, qui aurait dans tous les cas empêché la tenue de ce meeting, a permis de faire perdre du crédit à la formation « Chez Nous », ainsi qu’à ses partenaires et sympathisant·es. Elle leur a également fait perdre du temps, de l’énergie et de l’argent. En les obligeant à nous consacrer de l’attention, en leur imposant la crainte d’une réaction de notre part, en inspirant chez elleux un sentiment d’impuissance et d’humiliation, nous permettons que ces formations perdent de leur dynamisme, de l’énergie et des soutiens éventuels. De par nos mobilisations, nous les empêchons de se structurer, de s’organiser ou de recruter. Ainsi, nous empêchons toute volonté de constituer de nouvelles formations d’extrême-droite et poussons les formations existantes à la marginalité. Par ailleurs, il faut souligner la piètre qualité de la conférence de presse remplaçant le meeting et l’amateurisme politique prégnant de « Chez Nous », limitée à une pauvre démagogie sans grande originalité. ». Depuis on n’a plus entendu parler de ce parti, preuve que l’action directe antifasciste est efficace. Mais reste un travail à sans cesse recommencer, une vigilance à ne jamais relâcher. No Pasaran.