Par Florian Gillard, animateur aux Jeunes FGTB
Comment expliquer que des figures de l’extrême droite, historiquement et toujours antisémite, soutiennent Israël, un Etat créé pour les Juifs ? Qu’est-ce qui rapproche Israël de ce bord politique ?
Le fait que plusieurs hauts-dirigeants israéliens, comme Benyamin Netanyahou, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, soient issus de partis d’extrême droite est un début de réponse, mais ne suffit pas à expliquer ce phénomène à lui seul. Il est surtout important de se pencher sur l’idéologie sioniste ainsi que la création de l’Etat d’Israël en 1948 et notamment le concept de “guerre de civilisation”, afin de mieux comprendre comment Israël s’est attiré les sympathies d’une grande partie de l’extrême droite dans le monde et plus particulièrement dans les pays impérialistes. Nous verrons ensuite en quoi le gouvernement israélien se fiche bien des positions antisémites de ces partis, tant qu’il bénéficie de leur soutien.
1948 : La création d’Israël et le nettoyage ethnique des Palestiniens
Le projet sioniste, qui a donné lieu à la création de l’Etat d’Israël en 1948, tient ses origines de la fin du XIXème siècle : alors que les juif·ves d’Europe subissaient les horreurs de l’antisémitisme, les pogroms et la mise en ghettos, des intellectuel·les juif·ves mettent en avant l’idée de la création d’un État essentiellement juif pour ne plus subir les violences des persécutions en Europe. Ce projet est soutenu par de nombreux antisémites qui s’accommodent bien de voir les Juif·ves émigrer en dehors d’Europe. Ce projet est porté par une frange des chrétiens les plus religieux, considérant que le retour des Juif·ves en Palestine allait accélérer la deuxième venue du Christ. Le mouvement sioniste fait pourtant débat au sein de la communauté juive, notamment chez les laïques et les orthodoxes, qui voyaient d’un mauvais œil la création d’un Etat juif pour des raisons religieuses ou nationalistes. Notons également que le choix de la Palestine comme “terre d’accueil” fut adopté lors du mandat britannique au Moyen-Orient, d’autres régions ayant auparavant été envisagées par les penseurs sionistes.
Des débats portaient également sur la forme que devait prendre le sionisme : le point central se situait sur la place donnée aux Arabes (Palestiniens) déjà présents sur le territoire du futur État juif. Fallait-il les intégrer (jusqu’à une certaine mesure) ou fallait-il les expulser ? Le débat fut tranché après la seconde guerre mondiale et l’Holocauste, où le mouvement sioniste prit de l’ampleur et l’immigration juive en Palestine s’accéléra. Sous l’égide de David Ben Gourion, c’est le courant du sionisme visant à “transférer” les Palestiniens hors de leur terre et créer un État à majorité juive qui fut adopté. Ainsi, de 1947 à 1949, les dirigeants politiques et militaires mirent en place un nettoyage ethnique de la Palestine et expulsèrent dans la brutalité 750 000 Palestinien·nes de chez eux – pour ne plus jamais y revenir. Les milices sionistes tuèrent près de 150 000 Palestinien·nes et détruisirent des centaines de villes et de villages, pour y reconstruire par la suite des habitations et des infrastructures pour les Israélien·nes. Ces exactions étaient réfléchies, pensées par des hauts dignitaires du régime sioniste naissant, et motivées par la soi-disant “menace existentielle” que représentaient les Palestinien·nes pour Israël. Cette Nakba ne fut jamais reconnue par les différents gouvernements israéliens.
Depuis 1948, le mouvement sioniste n’a pas dévié de sa forme coloniale, nationaliste et raciste. Les Palestinien·nes ont vu leur territoire se réduire au fil des ans au profit des Israélien·nes, dans l’indifférence quasi totale des États occidentaux. Le projet de création d’un État majoritairement, voire entièrement juif, tel qu’il a été matérialisé, a continué de prospérer dans le plus grand mépris des vies humaines et du Droit International. Ce processus a atteint une nouvelle étape de sa réalisation l’année dernière avec le génocide des Palestinien·nes.
Israël et la “guerre de civilisation”
Un autre point de convergence entre Israël et l’extrême droite se trouve dans la désignation de l’Islam comme principal ennemi de l’Occident. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’imaginaire fasciste de la “guerre de civilisation” a pris de l’ampleur. Cette idée, qui sous-tend la théorie du grand remplacement chère à l’extrême droite, consiste à opposer le monde arabo-musulman, “peuple des ténèbres” comme dirait Benyamin Netanyahou, au monde occidental civilisé et démocratique, “peuple de la lumière”.
Israël se voit comme la seule démocratie du Moyen-Orient dans une région hostile aux “valeurs occidentales” et se présente comme la première ligne de défense du “monde civilisé” face aux “barbares” de l’Orient. C’est dans cette optique que l’extrême droite soutient Israël : entre guerre coloniale menée contre le peuple palestinien d’un côté et fermeture des frontières de l’autre (et autres déclarations et politiques racistes), le pont est vite franchi.
Un antisémitisme disparu ?
Sur le continent américain, Donald Trump est l’un des plus fervents supporters d’Israël. Dans la récente campagne présidentielle aux États-Unis, un de ses angles d’attaque face au camp démocrate fut celui d’un trop faible soutien à Israël, alors que le président Biden n’a pourtant cessé de fournir Israël en armement pour son génocide. Trump a promis un soutien inébranlable à Israël, dans la droite lignée de ses précédents engagements. Durant son mandat en 2017-2021, le Républicain avait, par exemple, déplacé l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem et reconnu cette dernière comme capitale d’Israël, alors même que la ville est sous occupation militaire illégale. Il avait également reconnu la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien occupé, ce territoire conquis par Israël en 1967 et dont l’annexion n’a jamais été reconnue par la communauté internationale.
Ce soutien est également électoral : Trump cherche à maintenir le soutien des évangéliques, ces chrétiens fondamentalistes qui soutiennent l’immigration des Juif·ves en Israël pour que le Messie revienne sur Terre, mais aussi que les Juif·ves non converti·es au christianisme subissent les conséquences de l’Apocalypse. L’ex-président d’extrême droite du Brésil Jair Bolsonaro s’était également fait élire grâce au soutien de ces extrémistes religieux, antisémites jusqu’à la moelle.
Du côté européen, les soutiens à Israël ne manquent pas non plus de la part de l’extrême droite. En France, le Rassemblement National, parti fondé par des anciens Waffen-SS, a depuis 2011 commencé à afficher son soutien à Israël, tentant de mettre sous le tapis l’antisémitisme et le négationnisme du clan Le Pen. Eric Zemmour, qui a notamment déclaré que Pétain avait sauvé des Juifs français durant la seconde guerre mondiale, n’hésite pas non plus à affirmer son soutien à Israël, par exemple en reprenant la rhétorique du “combat civilisationnel” dans le contexte des massacres israéliens à Gaza.
Même rengaine dans les pays d’Europe de l’Est, où les partis d’extrême droite glorifient des figures collaborationnistes et négationnistes : Viktor Orban en Hongrie qualifiant le collabo Miklos Horty “d’homme d’Etat exceptionnel” ; le parti roumain Alliance pour l’unité des Roumains glorifiant l’ancien leader du pays Ion Antonescu, responsable de la mort de 400 000 Juif·ves ; ou encore le parti Droit et Justice, criminalisant la critique de la collaboration polonaise avec le IIIème Reich. Ces différents chefs d’État et formations politiques entretiennent tous des relations plus que cordiales avec Israël, que ce soit à travers des visites de courtoisie ou bien la participation à un congrès organisé par le Likoud qui a rassemblé une alliance des partis européens d’extrême droite.
Notons d’ailleurs que Filip Dewinter et Frank Creyelman, tous deux issus du Vlaams Belang, ont participé à ce congrès alors que leur parti milite pour l’amnistie des collaborateurs flamands avec le nazisme.
Conclusion
C’est à travers la forme du sionisme qui s’est imposée de 1948 à aujourd’hui qu’Israël réalise certains fantasmes de l’extrême droite. D’abord par le projet en lui-même : celui de former un ethno-État, vidé de ses disparités culturelles et ethniques et aujourd’hui motivé par un racisme anti-arabe. Ensuite par les moyens mis en place, à savoir des processus coloniaux, un système d’apartheid et une occupation militaire (doublés depuis un an d’un génocide). Une nation forte militairement, combattant un ennemi intérieur ainsi que ses voisins arabes, motivée par un système idéologique religieux et se considérant comme l’avant-poste de la civilisation au Moyen-Orient, c’en est assez pour obtenir l’admiration et le plein soutien de l’extrême droite.
Avec l’extrême droite, la haine du musulman ne remplace pas celle du Juif, elle s’y superpose de façon à la masquer – jusqu’à un certain point. Mais ne nous y trompons pas, l’extrême droite est, et restera, toujours antisémite.