La question de la Belgian Pride

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Par Miguel Schelck, animateur Jeunes FGTB Bruxelles

Cette année encore, Bruxelles accueille la Belgian Pride. Si cet événement populaire rassemble environ 100 000 personnes autour de la lutte contre toutes les formes de discrimination[1] touchant la communauté LGBTQIA+, il est également vivement critiqué par une partie de celle-ci.

D’ordinaire, les Jeunes FGTB Bruxelles organisent et animent un char lors de la Belgian Pride. Cette année iels ont décidé de se mettre en retrait afin de prendre en compte les critiques d’une partie la communauté LGBTQIA+ et d’entamer une réflexion[2] sur la pertinence ou non de leur présence à la Pride. Cette réflexion – dont l’aboutissement sera retranscrit ici – est d’autant plus importante qu’avec la montée de l’extrême-droite partout en Europe, les droits acquis par cette communauté sont menacés – comme en Pologne ou en Hongrie. La participation aux luttes LGBTQIA+ est donc essentielle pour les années à venir, tant sur le lieu de travail que dans les autres sphères de la société.

Une petite histoire de la Pride                                     

A la fin des années ’60, aux U.S.A, très peu d’établissements tolèrent la présence de personnes homosexuelles et de nombreux interdits pèsent sur elleux, notamment concernant la vente de stupéfiants. La police organise alors régulièrement des « descentes » dans les endroits réputés pour être fréquentés par des personnes LGBTQIA+ afin de les réprimer dans la violence.

Le 28 juin 1969, la police fait une descente dans le bar new-yorkais de Stonewall Inn – très populaire auprès des personnes marginalisées au sein de la communauté LGBTQIA+. S’ensuivent des affrontements entre les habitué·es de Stonewall, rapidement soutenu·es par une partie de la population, et la police. Ceux-ci dureront 6 jours au total. Ces émeutes, où les femmes trans travailleuses du sexe ont joué un rôle important, deviennent alors pour beaucoup le point de départ de la lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+.

L’année suivante, le 28 juin également, des manifestations sont organisées à New-York, Los Angeles et San Fransisco : c’est la naissance de la Pride.  En Belgique, le 1er « gay day » est organisé par le collectif féministe Rooie Vlinder à Gand le 18 mars 1978. Depuis 1996, l’événement a lieu chaque année au mois de mai à Bruxelles.

Syndicalisme et LGBTQIA+

Aujourd’hui encore, les personnes LGBTQIA+ sont discriminées à dans de nombreux contextes, notamment au travail[3].  Elles subissent des discriminations à l’embauche, des mauvaises évaluations injustifiées, des dénis de droits, des licenciements abusifs, des refus de promotion, des mises à l’écart, du harcèlement, des violences verbales et/ou physiques, des écarts salariaux (pour les hommes homosexuels), du outing, … En conséquence, elles doivent souvent dissimuler leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre, ce qui provoque un mal-être au travail. Cela a également pour impact de restreindre leurs choix d’emplois aux secteurs/entreprises réputés « LGBTQIA+ friendly » ou se tournent vers l’entreprenariat pour échapper aux discriminations.

Si ces discriminations ont lieu, c’est aussi du fait de leur rôle au sein du capitalisme. En effet, on remarque historiquement que lors de crises économiques et de périodes de hausse du chômage, la concurrence entre les travailleur·euses augmentent. Les pratiques discriminatoires servent alors à affaiblir la position de certaines catégories de travailleur·euses sur le marché du travail. Les périodes de crises sont donc vectrices de discriminations et de division au sein des classes travailleuses.

En tant que syndicat socialiste, nous luttons pour l’émancipation des groupes sociaux discriminés – ce qui passe par la solidarité entre travailleur·euses. En effet, en maintenant les personnes LGBTQIA+ hors du marché de l’emploi ou dans des sous-statuts, les travailleur·euses risquent toustes de voir leurs conditions de travail se détériorer. Au même titre que les femmes ou les personnes racisées, il est donc indispensable de soutenir les travailleur·euses LGBTQIA+ dans leurs luttes pour l’accès au travail et l’égalité de traitement dans toutes les sphères de la société. Cela passe par la formation des délégué·es à ces problématiques, par la mise à disposition d’outils et de moyens pour organiser et soutenir les travailleur·euses concerné·es, mais aussi par la présence aux mobilisations organisées par ces dernier·ères.

Un événement contesté à gauche

La Belgian Pride fait partie de ces mobilisations. Elle en est d’ailleurs la plus populaire puisqu’elle mobilise environ 100 000 personnes chaque année à Bruxelles.  Elle permet aux personnes LGBTQIA+ de se rassembler en communauté, de rompre l’isolement et de se sentir soutenu·es. Plus qu’une parade, elle représente l’occasion d’amener des revendications sur la place publique et de visibiliser les personnes LGBTQIA+ dans un espace habituellement régi par des normes hétérosexuelles.

Pour autant, à gauche, des groupes LGBTQIA+ s’organisent chaque année pour dénoncer certains aspects de la Belgian Pride. Parmi ceux-ci, quatre sont particulièrement ressortis dans les témoignages que nous avons reçus : la dépolitisation, le pink washing, les méthodes organisationnelles et le manque de soutien aux militant·es plus radicaux·ales.

Un événement dépolitisé

Beaucoup remettent en question le caractère trop festif de l’événement au détriment du caractère militant. Pour eux, la Pride est devenue une parade consensuelle sans message politique fort et sans aucune conflictualité avec le gouvernement. Le partenariat avec la ville de Bruxelles et la région conduit également à la dépolitisation de cet événement puisque cela revient à s’organiser avec des politiques dont les mesures prises ne sont pas à la hauteur des exigences d’une partie des militant·es LGBTQIA+. Finalement, pour certain·es, au lieu d’incarner l’esprit revendicatif et militant duquel est née la Pride, celle-ci est devenue un outil de promotion touristique.

Du PinkWashing

On reproche également à la Belgian Pride de permettre la participation des partis politiques, en particulier des partis aux discours homonationalistes comme la NV-A, ainsi qu’à d’autres qui nuisent ou refusent de rendre prioritaires les droits des LGBTQIA+ dans les politiques publiques les précarisant d’autant plus. Les partis politiques sont ainsi accusés, outre de participer à la folkorisation de la parade, d’être là pour des raisons électorales : ce jour-là, les institutions politiques affichent leur façade arc-en-ciel. Or, les militant·es LGBTQIA+ ne connaissent que trop bien l’inaction de ces mêmes partis sur ces questions.

Il en va de même pour la participation des entreprises. Beaucoup regrettent la commercialisation de la lutte et sont dégouté·es par l’appropriation capitaliste des enjeux LGBTQIA+ en vue de faire du profit. On reproche aussi à la Pride le fait que les frais de participation soient onéreux. Pour les militant·es, la Pride mène une politique néolibérale de visibilité à travers la marchandisation (comme le fait de payer pour avoir un char). Cela implique une visibilité accrue aux plus fortuné·es et une invisibilisation des personnes les plus précarisées et marginalisées de la communauté.

Des méthodes organisationnelles autoritaires

La Pride est organisée annuellement sous la coupole de la ville de Bruxelles et de trois organisations nationales actives autour des problématiques LGBTQIA+ qui sont dites représentatives d’associations locales et régionales. On lui reproche son organisation verticale et descendante qui ne laisse pas la place aux mouvements autogérés, ni en son sein (pour, par exemple, planifier l’événement ou décider de la thématique de l’année), ni pendant le cortège. Plus largement, la participation à l’organisation de l’événement se limite au rôle de bénévole le jour même ou les jours qui précèdent/suivent. Cela ne permet pas aux groupes LGBTQIA+ organisés de peser sur les positions politiques et les grandes décisions qui concernent la Pride. Ils se sentent dépossédés d’un événement censé appartenir à toutes les personnes LGBTQIA+ et regrettent le monopole de certaines organisations sur cet événement.

La pacification des rapports sociaux et le manque de soutien aux militant-e-s

Si certain·es reprochent à la Pride d’accepter une trop grande diversité d’opinion en son sein (on rappelle que certains partis nuisibles aux luttes des personnes LGBTQIA+ y participent), d’autres critiquent le rôle qu’elle joue dans la pacification des rapports sociaux. Pour ces militant·es, les organisateur·rices ni ne permettent ni ne soutiennent les actions intentées par certain·es organisations ou collectifs durant la parade. Pire : en s’alliant avec la ville de Bruxelles et sa police, iels acceptent que cette dernière réprime les militant·es les plus démonstratif·ves. Ainsi, en 2019, alors que le collectif Reclaim The Pride proteste contre la récupération politique et commerciale de la Pride, iels sont exclu·s du cortège puis gazé·es et nassé·es par la police. Aucun char ne s’arrêtera en soutien à ces manifestant·es. Pour ces militant·es, il s’agit d’une démonstration de l’inclusivité et de la diversité de façade de la Pride : la diversité d’opinion n’est tolérée que lorsqu’elle est exprimée dans le cadre prévu par les organisateur·rices et seules les personnes les « plus acceptables » au sein de la communauté reçoivent de la visibilité.

Une participation critique ?

Ces éléments nous permettent de mettre en évidence ce qu’une frange de la gauche LGBTQIA+ reproche à la Belgian Pride. Si leurs arguments sont pertinents et leurs actions légitimes, une interrogation demeure encore : faut-il se couper d’un événement populaire où nos affilié·es nous attendent pour se joindre aux actions d’organisations et de collectifs LGBTQIA+ plus radicaux·ales ?

En effet, si la Pride est critiquable, elle n’en demeure pas moins un événement où toutes les personnes LGBTQIA+ – peu importe le degré de politisation – peuvent se réunir, faire communauté et remettre en question l’hétéronormalisation au sein de l’espace public. Pour beaucoup, il s’agit d’un événement permettant de rassembler également les personnes isolées ou « dans le placard » et de les sortir de leur mal-être le temps d’un instant. Surtout, la Pride reste un canal pour les institutions qui en ont les moyens de diffuser massivement un message politique – dans le cadre posé par les organisateur·trices et la police certes.

Les prochaines années, devons-nous alors nous couper des masses en participant à des actions « coup de poing » minoritaires ou participer à la Pride dans le cadre posé par ses organisateur·rices ? Pour les Jeunes FGTB Bruxelles, il n’y a pas nécessairement de contradiction : on peut être présent·es sur un char à la Pride, tout en manifestant notre soutien aux actions plus militantes des personnes LGBTQIA+. La participation des Jeunes FGTB Bruxelles se devra néanmoins d’être critique, visible, politique et solidaire – quitte à arrêter le char pour rejoindre les actions en cours.

Ainsi, les Jeunes FGTB Bruxelles pensent qu’iels ont ici un rôle complémentaire à jouer aux autres organisations et collectifs plus radicaux. Comme le souligne Erik Olin Wrigth[4], la transformation sociale viendra de l’action conjointe des organisations de gauche qui acceptent à certains égards la participation à la démocratie libérale et des groupes révolutionnaires qui luttent dans la conflictualité contre les systèmes d’exploitation. Alors camarades, convergeons !


[1] Fait de traiter de manière distincte une personne par rapport à une autre, dans la même situation, et ce en raison d’un critère protégé par la loi.

[2] A cet égard, les Jeunes FGTB Bruxelles ont pu enrichir leurs réflexions à l’aide des militant·es LGBTQIA+ des Jeunes FGTB, de l’Union syndicale étudiante et d’autres organisations qui ont accepté de nous donner leurs avis sur la Belgian Pride.

[3] http://www.fgtbbruxelles.be/publications/non-a-lhomophobie/

[4] Erik Olin Wright, « Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle », La Découverte, 2020.

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