Charlotte Casier, déléguée syndicale CGSP à l’ULB
Entretien par Miguel Schelck, animateur Jeunes FGTB Bruxelles et retranscription partielle par Raphaël D’Elia, chargé de communication aux Jeunes FGTB
Quels enjeux pose la féminisation de l’emploi qui a eu lieu ces dernières années ?
La problématique régulièrement mise en avant est l’inégalité salariale en expliquant peu les raisons de celles-ci ; c’est plus compliqué que « les méchants patrons qui paient moins les femmes ». Il faut se demander ce qu’est la structure de l’emploi derrière, on remarque que les emplois qui sont mal rémunérés et considérés sont les métiers du soin, du nettoyage, du commerce, etc. C’est souvent des temps partiels, souvent subis et parfois choisis. Et même lorsqu’ils sont choisis, c’est parce que les femmes doivent combiner leur travail salarié avec du travail domestique ou de soin. Pour toutes ces raisons, elles ont des revenus moins élevés ou discontinus, donc plus de risques de tomber dans la pauvreté. Cela a par ailleurs une incidence sur leurs droits sociaux comme la pension ou le chômage.
Il faut donc porter des revendications liées aux allocations pour que les personnes qui ne travaillent pas à temps plein et doivent s’occuper du travail domestique puissent vivre décemment grâce à des allocations. C’est valable pour la pension également : beaucoup de femmes n’ont pas de pension complète à cause des pauses qu’elles ont dû faire dans leurs carrières pour s’occuper du foyer.
Parallèlement, Il est nécessaire de prêter attention aux revendications qu’on porte pour le travail rémunéré en réfléchissant aux incidences sur le travail domestique (et vice versa). Quand on défend des horaires flexibles par exemple, il faut penser aux difficultés que ça met sur la garde des enfants. Plus généralement, il faut défendre une société où on a le temps d’effectuer le travail reproductif parce que celui-ci est central. Pour qu’on ne se retrouve pas avec des journées de travail délirantes qui résultent du cumul du temps de travail salarié et domestique. Une des pistes intéressantes est la réduction collective du temps de travail. Il faut également investir massivement dans les infrastructures collectives et des emplois de qualité qui permettent le soutien au travail reproductif[1] : aide aux personnes âgées, suffisamment d’infirmier·ères, crèches, etc.
Par rapport à ces enjeux, quel est le rôle des syndicats ?
L’archétype du travailleur est souvent l’homme blanc ouvrier à temps plein travaillant dans une usine mais on a du mal à prendre en compte les emplois plus précaires et plus flexibles comme les coursier·ères, les chômeur·euses, etc. Il faut s’intéresser à la question des femmes déjà pour les défendre en tant que travailleuses mais aussi pour avoir une vision plus large de ce qu’est le travail. C’est d’autant plus nécessaire qu’on est dans une phase de précarisation généralisée et de détricotage progressif du statut de salarié·e temps plein. Plus le syndicalisme va s’intéresser à ces questions, plus il sera inclusif et plus il défendra de personnes. S’intéresser au travail féminin, c’est s’intéresser à la situation de plus de travailleurs et travailleuses.
Par exemple, lorsque je militais à l’Union syndicale étudiante, nous menions une campagne inspirée d’un collectif québécois qui luttait pour la rémunération des stages. Il s’agissait d’une lutte féministe car les étudiant·es avaient constaté que les stages non-rémunérés se faisaient surtout dans des secteurs dits féminins. Evidemment toustes les stagiaires ne sont pas des femmes mais cette lutte amène donc des améliorations pour toustes les travailleurs et travailleuses. En adoptant un point de vue féministe ça permet de mieux comprendre la réalité et d’adapter les revendications.
Est-ce que les hommes ont un rôle à jouer dans les luttes féministes et si oui, lequel ?
Ça dépend de la vision que l’on a des luttes féministes. Si on voit le patriarcat comme quelque chose d’indépendant du capitalisme et du racisme, il n’y a en effet pas d’intérêt à y inclure des hommes car ils sont les ennemis. Mais si l’on considère que le patriarcat et le capitalisme sont liés, des alliances peuvent se créer. C’est ma vision des choses. Après c’est une chose de le dire et une autre de l’appliquer car à court ou moyen terme il y a parfois des intérêts divergents. Les hommes gardent quand même souvent une position élevée dans l’échelle sociale et peuvent donc invisibiliser les luttes des femmes. Il faut donc toujours être vigilant·e pour que la parole des femmes soit prépondérante. Malgré ça, les hommes ont, selon moi, un rôle à la fois de soutien et un rôle actif à jouer. Puis il y a des luttes « masculines » à mener d’un point de vue féministe. Notamment le fait que des hommes puissent participer au travail reproductif : revendiquer un congé parental conséquent, par exemple ou encore lutter pour une contraception masculine.
Peux-tu nous expliquer les origines de la grève du 8 mars ?
On va d’abord sortir un peu de Belgique. Le mouvement a commencé initialement en Amérique du Sud par rapport aux violences faites aux femmes, avec des revendications qui mêlaient déjà féminisme et anticapitalisme. En 2016, la grève a aussi été portée en Espagne et a été massive avec des millions de femmes en grève. En Belgique, les actions du 8 mars n’étaient jusque-là pas assez ambitieuses par rapport aux enjeux. Avec quelques copines féministes on s’est inspirées des mobilisations à l’international et on s’est donc organisées dans le but de faire aboutir cette grève. nous avons procédé sur base d’AG démocratiques et indépendantes de toute organisation. Progressivement, de plus en plus de groupes locaux ont émergé et le mouvement est très décentralisé aujourd’hui alors qu’il avait commencé à Bruxelles. En 2019 il y a eu une grosse attention médiatique même si on n’a pas bloqué le pays et on a organisé la plus grosse manif’ féministe depuis 20 ans. En 2020, on a réitéré la chose avec deux journées de grève car le 8 mars tombait un dimanche : on a donc fait grève dimanche et lundi pour justement visibiliser le travail des femmes effectué en-dehors de l’emploi.
Quel était le rapport avec les syndicats ?
Le mouvement s’est structuré de manière indépendante mais n’a jamais fermé la porte à une collaboration avec les syndicats. En effet, les questions du préavis de grève, de la protection juridique et de l’indemnisation se posaient très rapidement. On avait donc une « commission syndicale » qui s’occupait des rapports avec les syndicats. Les rapports étaient d’abord compliqués car le collectif 8 mars était une organisation non-syndicale. Les syndicats ont donc dans un premier temps mal pris cette initiative car ils ne voulaient pas se faire dicter une ligne de conduite par un collectif extérieur. Puis la grève du 8 mars impliquait une grève du travail « non-rémunéré » donc un secteur méconnu pour les syndicats.
Quelques centrales nous ont quand même rapidement suivies telles que la Centrale générale de la FGTB ou la Centrale nationale des employés de la CSC. En 2020, la FGTB a déposé un préavis général de deux jours ce qui est quelque chose de très rare. Je dois dire qu’on était heureuses mais le travail de mobilisation par les syndicats n’était pas énorme. Ces préavis de grève sont le résultat du travail de la commission syndicale du collectif mais aussi du gros travail en interne de la part de délégué·es et de responsables syndicaux·ales.
Aujourd’hui le 8 mars est devenu incontournable et il est inscrit à l’agenda syndical : c’est une victoire.
L’entretien dans son entièreté est à retrouver bientôt dans la série de podcast lancée par les Jeunes FGTB Bruxelles, suivez leur Facebook et Instagram pour vous tenir au courant de la sortie !
[1] A ce sujet, retrouvez l’article sur le travail reproductif