Entretien avec Mona Malak, militante Jeunes FGTB
Propos recueillis par Raphaël D’Elia, chargé de communication aux Jeunes FGTB
Qu’est-ce que le travail reproductif ?
Le travail reproductif, ou travail de reproduction, est le travail qui permet d’assurer la survie et la reproduction de la force de travail (les travailleur·euses) dite productive (salariée/à l’emploi). Le travail reproductif peut également être qualifié de travail de soins, ou care, et concerne notamment le travail domestique, le travail d’éducation via l’école et les soins de santé. Celui-ci, quel que soit le lieu où il est exercé, est le plus souvent endossé par les femmes et ce de manière gratuite et invisible.
Le travail domestique, par exemple, est encore aujourd’hui inégalement réparti au sein des couples hétérosexuels et réalisé majoritairement par les femmes, qu’elles aient un emploi rémunéré en parallèle ou non[1]. Pour les femmes qui en ont les moyens, ce travail est externalisé et relégué à d’autres femmes, migrantes et/ou précaires. Les femmes à l’emploi qui n’ont pas la possibilité de s’en débarrasser sont alors soumises à ce que la sociologue française Christine Delphy appelle la « double journée de travail ».
Quelle est sa place et son importance dans la société capitaliste contemporaine ?
La société capitaliste ne pourrait pas fonctionner sans le travail de reproduction largement sous-estimé et sous-valorisé. La crise du covid a permis de mettre en relief plusieurs failles de la société, depuis longtemps dénoncées par les mouvements féministes. Notamment que ce travail reproductif est essentiel et ne peut être mis à l’arrêt, même en plein confinement. La crise a montré que certains métiers ne peuvent être exercés en télétravail et ne peuvent être remplacés par une intelligence artificielle. Faire tourner un hôpital nécessite non seulement des médecins et des infirmier·ères mais également, entre autres, des personnes pour nettoyer et stériliser les lieux. Le personnel d’une maison de repos ne pouvait pas non plus s’arrêter de travailler et abandonner ses résident·es. On assiste aujourd’hui à une crise du care, due en partie au vieillissement de la population et à une baisse de la natalité. Le soin aux autres est donc un des enjeux contemporains les plus fondamentaux.
Qu’as-tu à répondre à celleux qui disent que c’est un constat secondaire, que le plus important c’est le combat entre les travailleur·euses et les patrons ?
D’abord que les deux ne sont pas incompatibles, notamment lorsque le travail reproductif est également salarié. Le mouvement féministe pose des questions plus globales qui permettent de réfléchir à notre vision de la société. Quelles valeurs souhaitons-nous produire en tant que société et par quels moyens ? Qu’est-ce qui constitue du travail et qu’est-ce qui constitue du loisir ? Qui décide de ce qui est de l’ordre du travail ou pas ? Comment voulons-nous prendre soin les uns des autres ?
Ensuite, redéfinir le travail de reproduction et plus précisément le travail domestique constitue une première étape à repenser nos modes de production. En effet, considérer par exemple que les étudiant·es, les femmes au foyer et les sans-emploi produisent également de la valeur suppose un élargissement de la classe des travailleurs et des travailleuses et donc un potentiel accroissement de sa capacité d’agir. D’un point de vue syndical, il y aurait beaucoup à puiser de cette capacité d’agir et de nombreuses solidarités à construire.
Quelles revendications amènent les constats liés au travail reproductif ?
Il existe de nombreuses revendications liées au travail reproductif proposées par les différents courants du mouvement féministe (féminismes marxiste, matérialiste/radical, intersectionnel, etc). Pour en citer quelques-unes, nous pouvons évoquer la rémunération du travail gratuit (salaire à vie, salaire ménager, revenu d’autonomie, …), la revalorisation salariale et sociétale des métiers de soins, l’individualisation des droits sociaux, la socialisation et la dénaturalisation du travail domestique via la création ou l’extension de crèches publiques, de cantines sociales, de maisons du peuple, etc.
En outre, n’importe quelle revendication syndicale peut être réfléchie sous le prisme du travail reproductif, comme le congé parental ou la réduction collective du temps de travail. Dans l’idéal, le syndicat continuerait de s’emparer de ces questions-là en s’investissant dans les mouvements féministes existants et en renforçant les combats féministes en son sein. Pour finir, il est utile de rappeler que le travail de reproduction, bien qu’assigné unilatéralement et historiquement aux femmes, est l’affaire de toutes et tous.
[1] https://plus.lesoir.be/142242/article/2018-02-26/taches-menageres-les-hommes-belges-en-font-de-moins-en-moin