Pour l’amour et la survie du métier d’enseignant·e

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Guillaume, délégué syndical CGSP Enseignement à Bruxelles

Depuis quand es-tu prof ? Quelles matières enseignes-tu ? Depuis quand es-tu délégué syndical et quels sont tes mandats ?

Ça fait 6 ans que je suis prof en fin de primaire où j’ai commencé et dans le degré inférieur de l’enseignement secondaire. J’y donne les mêmes matières, philosophie et citoyenneté, un cours assez neuf qui a 6 ans et qui remplace les 2 heures de morale et de religion.

Je suis délégué syndical depuis 2 ans ; il n’y avait plus de délégué·es syndicaux·ales dans mon école depuis un sacré paquet d’années. Des élections ont donc été organisées dans l’école et étant le seul candidat, j’ai été élu. Etant donné mes deux fonctions, je ne suis délégué que pour le secondaire. Dans l’école primaire, il s’agit d’une beaucoup plus petite équipe et il n’y a pas de délégation, tout se fait plus en cogestion avec la direction.

Je siège au Conseil Communautaire de Base (CoCoBa) qui touche à l’organisation du travail dans l’école (horaires, candidatures, attributions, etc.)

Mon engagement syndical ne date pas de mon entrée dans le monde professionnel. Celle-ci a même marqué un temps d’arrêt car on m’a déconseillé d’être délégué syndical avant d’être nommé. Finalement, je l’ai fait en n’étant toujours pas nommé mais, effectivement j’ai été délégué syndical quand j’étais étudiant (à l’Union syndicale étudiante) et finalement l’essentiel de ma formation de base vient de là. Je pense par exemple à l’exercice de la réunion et du mandat, à la lecture de textes juridiques, etc. Ça permet notamment de ne pas tout le temps faire appel aux permanent·es sachant qu’iels ont déjà beaucoup de travail.

Pourquoi les récentes mobilisations ?

L’année passée on a eu un plan d’action même s’il était un peu trop étendu, il n’y avait pas assez d’événements successifs. On faisait une manif puis on attendait 3 mois pour une autre dans une autre ville. C’était très difficile de mobiliser pour juste faire une marche alors que le coup d’envoi de ce plan d’action était extrêmement positif :  un rassemblement statique à Surlet de Chokier où on était tellement en nombre qu’on a débordé sur tout le quartier ; la circulation était bloquée. Ceci en sachant qu’il drachait, ce qui démotive souvent les militant·es.

On est passé·e après ce rassemblement statique à des manifestations dans les fiefs des différentes représentations politiques : on est allé·es à Mons, à Namur, etc. C’était à chaque fois une petite réussite mais ce n’était jamais grandissant et parfois il y avait même peu de monde. C’était donc difficile de garder les forces vives mobilisées, de convaincre ses collègues de se bouger trois fois en 9 mois pour exactement le même sujet. Ce que je dis vaut surtout pour le public bruxellois qui, on le sait, est toujours difficile à déplacer dans d’autres villes.

On arrivait quand même à mobiliser plus largement que d’habitude. Les collègues venaient aux assemblées syndicales et on sentait un gros ras-le-bol général. Les raisons sont que les profs de l’enseignement francophone sont comparativement mal payés, les classes sont surpeuplées, les bâtiments sont vétustes, etc.

On a vu « écoles en lutte ». C’est venu d’où ? Cela précède la réforme de l’évaluation ou est-ce un point de départ ?

C’était un peu au moment de « santé en lutte », « agriculteurs en lutte », « travail social en lutte », etc. Ça précède donc très largement les récentes mobilisations. Ce sont des profs politisé·es[1], pas toujours syndiqué·es, mais fondamentalement de gauche qui se sont rassemblé·es pour pouvoir s’exprimer, d’une manière qui ne soit pas consensuelle : on veut défendre un enseignement pas seulement égalitaire mais surtout émancipateur. L’idée n’est pas du tout de contester les syndicats mais simplement de porter un discours sur l’enseignement qui n’est actuellement pas porté publiquement.

Pourquoi est-ce que vous vous opposez à la réforme de l’évaluation ? Est-ce que le système actuel d’évaluation est selon toi suffisant ?

C’est une nouvelle proposition du cabinet ministériel qui répond à une exigence générale du contrôle. Il est de bon ton dans une société néolibérale de contrôler et d’évaluer le travail. Quand l’évaluation est négative, après des possibilités de renforcement du·de la travailleur·euse, on renvoie la personne.

La première chose qui m’a fait réagir est que cette réforme serait basée sur l’idée qu’on n’est jamais contrôlé·e. Ce qui est absolument faux, même si notre hiérarchie fait difficilement son boulot : le service d’inspection est aujourd’hui à l’agonie complète. Il y a peu de renouvellement et les inspecteur·rices sont affecté·es à d’autres tâches.

Il y a en fait une réelle volonté d’un côté de centraliser la décision tout en décentralisant complètement le contrôle et la punition. L’idée est de décharger sur les administrations des écoles la nécessité de contrôle du personnel enseignant. Alors que les inspecteur·rices sont d’ancien·nes profs de la matière insepctées ; ce n’est pas nécessairement le cas de la direction.

Ce système d’évaluation vient donc remplacer l’inspection et est aussi une manière d’économiser sur le personnel tout en surchargeant encore davantage les directions d’établissements. L’administration se décharge de plus en plus de toutes les charges qui lui incombent et le personnel éducatif et de direction doit progressivement s’en charger. C’est un mauvais calcul car on économise sur des postes, certes coûteux car hautement qualifiés, mais d’autres personnes vont être surchargées, vont craquer et plus personne ne voudra faire ce boulot pour finir. Or il y a déjà des pénuries…

L’autre problème c’est que ça met sur un pied d’égalité des profs nommé·es et les profs temporaires dans l’évaluation. Le Décret va tenter de gommer les différences qu’il y a entre ces deux statuts mais vers le bas. Tout le monde sera finalement sur la sellette et plus personne n’osera contester des choix ou lancer l’alerte par rapport à des situations en interne.

Est-ce que cette réforme rentre dans le cadre du pacte d’excellence ?

Oui et non. Techniquement non, mais oui parce que c’est la continuation pure et simple dans ce que le cabinet McKinsey prévoit pour l’enseignement.

Pour celleux qui ne voient pas qui ils sont, il s’agit d’un cabinet de consultance Donc des gens qui ne sont pas d’une société mais viennent y expliquer qu’iels travaillent mal en échange de sommes astronomiques. À l’époque, c’était pour le cabinet de Joëlle Milquet et ça a continué au fur et à mesure des législatures. La ligne de fond idéologique de ce qui est proposé par McKinsey est de libéraliser complètement l’enseignement. Le paravent est d’essayer de diminuer les inégalités et de renforcer l’excellence de l’enseignement.

Pour McKinsey, personne dans la société ne devrait avoir un CDI. Il faut que tout le monde soit en permanence sur la sellette pour pouvoir mieux performer dans son travail. McKinsey a un intérêt à voir la société changer ; l’ancien Président de McKinsey Belgium a par exemple fondé « Teach for Belgium » qui donne des formations aux enseignant·es dans la pure idéologie néo-libérale.

Est-ce que sur le terrain le pacte d’excellence amène quelque chose de positif ? Les plans de pilotages sont-ils effectivement réalisés par les équipes éducatives ?

D’une certaine manière oui parce que ça nous a permis de nous forcer à nous réunir en tant que profs pour discuter de notre école. Pour essayer de voir les problèmes et essayer de détecter où une évaluation et une amélioration pouvaient être faites. Mais fondamentalement on n’avait pas besoin de tout le package du pacte d’excellence pour se dire que c’était une bonne pratique.

Et on a certainement pas besoin du pacte d’excellence pour commencer à financer sur fondspropres les changements dans l’école qu’on veut apporter parce que, actuellement, rien n’est suivi. Les contrats d’objectifs que les écoles prennent, on nous demande que ce soit non-coûtant. C’est difficile de rendre une cour de récré plus agréable sans avoir un petit peu de sous pour repeindre un mur ou mettre un banc. Donc c’était positif dans le sens où pendant quelques années on a pu dégager du temps horaire pour bosser là-dessus mais, dans un futur proche, il ne sera plus possible de dédier des journées pédagogiques pour ça. Ce sera donc sur notre temps libre.

Quelles perspectives pour la lutte dans l’enseignement obligatoire ?

À l’heure actuelle celle qui ressort le plus dans mon école est que la régularisation énergétique de l’école va être très violente. Comme notre Pouvoir Organisateur ne peut pas lever l’impôt et qu’on fonctionne sur enveloppe fermée, la thune il n’y en a pas. Si rien n’est fait pour financer massivement l’enseignement, il faudra fermer des écoles.

Ce que je redoute c’est qu’on risque donc de se retrouver avec des coupes financières drastiques. Il y a notamment l’idée de financer l’officiel à 70% comme c’est le cas du libre. Ou encore l’idée que le personnel ouvrier des écoles serait en fonds propres et deviendrait donc une variable d’ajustement lors d’économies.

Il va aussi falloir se battre pour garder notre statut. Moi ce que j’aimerais c’est qu’on se batte pour gagner des trucs et pas se battre pour ne pas en perdre… Ce dont on a surtout besoin ce sont des engagements en plus, plus de moyens pour gérer des élèves à besoin spécifiques, des meilleurs salaires pour attirer plus de profs (ou des avantages comme dans le reste de la fonction publique).

Un mot de la fin ?

En réalité, malgré la situation, on est encore quand même plein à gueuler dans la rue ou en assemblée syndicale. C’est qu’on est nombreux·euses à adorer notre métier et on n’est pas résigné·es.

J’aime mon métier et j’ai envie de pouvoir l’aimer, j’ai envie que les conditions de travail de mes camarades et celles de mes élèves, parce que c’est du travail, soient tout simplement décentes.


[1] Dans le sens premier du terme, donc pas nécessairement des personnes qui sont membres de partis.

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