Par Hugues Ghenne, collaborateur de la FGTB fédérale au Département politique sociale & Bien-être au travail
Iels travaillent partout, par tous les temps et tout le temps. Durant la crise de coronavirus, iels ont pris tous les risques pour continuer à travailler puisqu’iels n’ont droit à aucune protection sociale. Le phénomène de l’économie de plateforme (re)fait souvent surface dans les médias mais ceux-ci ne prennent que rarement la peine de refléter les réelles conditions de travail et les difficultés du quotidien de ces travailleur·euses. Les problèmes que soulève le fonctionnement actuel de certaines plateformes sont d’ailleurs encore largement méconnus. Il est dès lors devenu urgent de montrer que ces travailleur·euses sont loin d’attendre passivement que leur sort s’améliore de l’extérieur : iels ont déjà conquis de nombreux droits et ce sont ces victoires que nous voulons mettre à l’honneur dans cet article.
Un problème commun mais des ripostes diverses
Le problème est simple : de mauvaises conditions de travail, aucun accès à la protection sociale et l’imposition du statut de travailleur·euse indépendant·e. Le problème est grave : travailler durant un contexte de pandémie sans aucun aménagement des conditions d’exercices du travail ou, plus généralement, sans les protections nécessaires notamment en cas de conditions climatiques dangereuses. Des travailleur·euses ont déjà payé au prix de leur vie cette surexploitation de leur force de travail. Les réponses et les ripostes face à l’exploitation opérée par ces plateformes peuvent prendre des formes très diverses et c’est précisément cette multiplicité des contre-offensives qui nous semble intéressante.
Les travailleur·euses, éternel·les initiateur·rices et acteur·rices du changement
Ce (relativement) nouveau combat nous ramène aux sources du combat des travailleur·euses et des syndicats : l’organisation collective et la création d’un rapport de force embrayant le changement. C’est dans cette optique que nous avons vu fleurir un grand nombre de collectifs (de coursier·ères, de livreur·euses, de travailleur·euses de plateformes, etc.) à travers l’Europe, lesquels possèdent tous leurs propres revendications qu’il nous est impossible de résumer en ces quelques lignes. De même nous constatons une volonté commune des syndicats, à travers l’Europe, d’œuvrer activement à l’amélioration des conditions de travail et à l’accès à la protection sociale de toustes ces travailleur·euses.
Des solutions ǫui coexistent et ǫui se renforcent les unes les autres
En Espagne, un accord entre les syndicats et les employeur·euses a mené à l’adoption en mai 2021 d’une loi qui prévoit une présomption de salariat pour toustes les coursier·ères utilisant les applications de livraison (comme Uber Eats,
Glovo ou Deliveroo). Cette avancée législative fait suite à un arrêt rendu par la Cour Suprême ibérique qui avait statué qu’un·e livreur·euse à vélo employé·e par une plateforme devait être traité·e comme un·e membre du personnel de cette plateforme.
En Grèce, fin septembre 2021, des milliers de livreur·euses de la plateforme efood ont organisé un mouvement de grève afin de dénoncer le risque de voir se transformer leur statut en celui d’auto-entrepreneur·euse. Face à cette forte mobilisation, notamment sur les réseaux sociaux, la plateforme a annoncé vouloir employer l’ensemble des coursier·ères via un CDI.
Au Royaume-Uni, la Cour suprême a décrété que les 70.000 chauffeur·euses employé·es par Uber devaient être considéré·es comme des « workers », un statut intermédiaire entre celui de salarié·e et d’indépendant·e (il s’agit donc d’une avancée partielle puisque ce statut n’est pas aussi protecteur que celui de salarié·e). Fin mai 2021, Uber a signé un accord avec le syndicat GMB permettant à l’ensemble des chauffeur·euses de devenir membre de l’organisation syndicale.
L’Italie a été la première à se prononcer au sujet de l’algorithme, auquel l’on reproche souvent un fonctionnement peu (voire non) démocratique et très opaque. Le tribunal de Bologne a considéré en décembre 2020 que le classement de réputation des coursier·ères, sur base de leurs performances, opéré par Deliveroo, calculé et ordonné par algorithme, est discriminatoire. Il
s’agit d’une avancée sociale importante ouvrant la brèche pour un meilleur contrôle par les travailleur·euses et leurs représentant·es de l’algorithme utilisé par les plateformes.
La Belgique quant à elle n’a pas encore rendu de jugement ou d’arrêt mais nous nous trouvons actuellement au cœur de plusieurs procès, notamment contre Deliveroo et Uber. Ce n’est pas tout. Un ensemble d’acteur·rices luttent et s’organisent actuellement et depuis le début pour améliorer concrètement le sort des travailleur·euses : création de divers collectifs, actions et accompagnement syndical, dépôt de propositions de lois, discussion entre les interlocuteurs sociaux, création d’une consultation publique par le Gouvernement, etc. Il va donc y avoir de nombreux changements dans les semaines et mois à venir.
Enfin, au niveau européen, la Commission européenne a « promis » l’adoption d’une directive européenne qui améliorerait les conditions des travailleur·euses de plateforme. Après deux phases de consultation des interlocuteurs sociaux européens, la promesse tarde à se concrétiser et il y a toujours le risque que le texte proposé n’aille pas dans le bon sens, en raison du très puissant lobby patronal. Affaire à suivre.
Toutes ces victoires notables sont le fait des travailleur·euses et des syndicats mobilisé·es à travers l’Europe, mais le combat est loin d’être fini puisque les entreprises de plateformes répondent bien souvent à ces avancées par des menaces. C’est le cas en Espagne avec Deliveroo qui a annoncé potentiellement pouvoir quitter le territoire si la loi récemment adoptée venait à se concrétiser. Ne cédons rien à ces entreprises peu scrupuleuses et continuons à nous mobiliser, à nous organiser et à soutenir, de quelque manière que ce soit, ces travailleur·euses qui ont « l’insolence » de réclamer des conditions de travail dignes et de pouvoir jouir du système de solidarité qui leur revient de droit.