par Julien Scharpé, chargé de communication aux Jeunes FGTB
Adrien Rosman a été professeur de français avant de devenir coordinateur du syndicat de l’enseignement libre au sein du SETCa. Il nous a accordé une interview avant la manifestation du 27 janvier qui a réuni 35.000 enseignant·es, une première depuis les grandes grèves des années ’90. La question est de savoir comment va réagir la majorité MR-Les Engagés après cette mobilisation historique. Va-t-elle comprendre qu’elle doit revoir sa copie en profondeur ? Ou va-t-elle prendre le risque d’un durcissement du mouvement ?
Peux-tu nous expliquer le contexte politique ayant provoqué une aussi grosse mobilisation au sein de l’enseignement ?
Cela fait maintenant près de quatre ans, après le COVID, que le front commun enseignement a tiré la sonnette d’alarme sur plusieurs éléments. La situation dans les écoles est devenue extrêmement tendue. Les enseignant·es endurent une charge administrative de plus en plus lourde et des exigences de travail de plus en plus difficiles ; le tout dicté par des plans de pilotage initiés par le Pacte pour un enseignement d’excellence. Ce secteur, présenté comme essentiel pendant le COVID, est particulièrement malmené depuis.
Le fait est que nous sommes dans un contexte de pénurie aggravée et structurelle. Elle provoque sur le terrain, et particulièrement dans les écoles les plus défavorisées, une situation catastrophique en matière d’encadrement des élèves et de prise en charge des apprentissages.
À cela s’ajoute, après le 9 juin, une déclaration de politique communautaire qui mène une attaque frontale contre les enseignant·es, les personnels et plus largement contre le système éducatif. C’est une brutalité sans nom que l’on n’avait plus vue depuis longtemps. Ce qui explique pourquoi le mouvement syndical est bien suivi à l’heure qu’il est.
Dès le début du mouvement, le président du MR s’est appliqué à dénigrer les enseignant·es et les syndicats. Que cherche-t-il à masquer ?
On est dans des provocations habituelles de la part du Mouvement Réformateur. On fait face à une mise en cause, une décrédibilisation des organisations syndicales et plus largement des interlocuteur·trices dans le cadre de la concertation sociale. Le fondement même de la concertation sociale est aujourd’hui remis en cause.
Je pense que le MR cherche à allumer des contre-feux et attirer l’attention sur de faux problèmes. Le fait qu’il y ait un taux de syndicalisation proche de 75 % dans l’enseignement ne les arrange pas. Avec 120 000 membres du personnel, tous niveaux et réseaux confondus, le calcul est vite fait : les syndicats ont une force de frappe non négligeable.
Si les syndicats ne représentaient plus personne, on observerait une érosion de notre base syndicale. Or, depuis le mois de septembre, c’est très clairement l’inverse qu’on observe. Il y a une véritable prise de conscience des membres du personnel qui étaient parfois très éloignés du monde syndical et qui s’adressent à nous en disant : ‘Mais qu’est-ce qu’on est en train de faire avec notre métier, avec notre système éducatif, avec nos élèves, et les générations de demain ?’
Ces tentatives de provocations du MR vont de pair avec une stratégie de brutalisation qu’iels opèrent depuis le 11 juillet, lorsqu’iels ont publié leur déclaration politique générale.
Quelles sont les inquiétudes que les enseignant·es vous communiquent le plus ?
L’attaque est tellement brutale et massive que c’est difficile de citer seulement quelques éléments, mais je vais essayer d’être concis.
L’attaque contre le statut de la fonction publique, qui est une manière de protéger contre l’arbitraire des employeurs, est un premier élément. Dans l’enseignement libre confessionnel, avant le début des années ‘90, l’absence de statut permettait de se séparer rapidement des membres du personnel qui ne répondaient pas ou plus « aux spécificités de l’enseignement catholique ».
Ainsi a-t-on vu des enseignant·es divorcé·es mis·es sous pression et invité·es à aller voir ailleurs. Cette situation pouvait également être rencontrée par des enseignant·es qui étaient d’une nature affective ne correspondant pas à une vision hétéronormée de la famille chrétienne. Mais ces dérives ne concernent pas que l’enseignement confessionnel, sans nomination, il serait tout à fait possible que des enseignant·es soient mis·es à la porte parce qu’iels n’auraient pas la bonne carte de parti. Imaginons ce que pourraient subir demain, des militant·es FGTB dans une ville comme Mons en pire…
Les enseignant·es s’inquiètent également des attaques contre les publics les plus faibles. En mettant sur pause l’extension de la gratuité scolaire et l’inspection relative aux frais scolaires, en renvoyant les élèves majeurs de l’enseignement qualifiant vers d’autres opérateurs de formation, en mettant un coup d’arrêt à la mise en place de chambres de recours pour les élèves exclu·es de l’école ou à la lutte contre le décrochage scolaire – mesures pourtant prévues par le Pacte – la Ministre répond à une demande de classe qui favorise les plus riches. Demain, ce sont les publics les plus fragilisés qui seront les premières victimes des mesures budgétaires et idéologiques mises en place.
D’ailleurs, la mobilisation des élèves de l’enseignement technique est particulièrement impressionnante. Peux-tu nous expliquer ce qu’iels risquent de perdre avec ce gouvernement ?
Cette mobilisation est une réelle note d’espoir pour l’enseignement. Contrairement à ce qu’affirme une certaine presse, il n’y a pas d’instrumentalisation des élèves. Celleux-ci sont particulièrement conscient·es des risques que représente une baisse des moyens alloués à l’enseignement qu’iels fréquentent.
Le gouvernement a prévu de retirer 3% du financement alloués à l’encadrement dans l’enseignement qualifiant. Quoiqu’en dise Valérie Glatigny, cela correspond à 500 équivalents temps-plein qui vont disparaître dès la prochaine rentrée.
Mais ce n’est pas tout, la Ministre prévoit également de renvoyer les élèves majeur·es dans l’enseignement pour adultes. Elle utilise le prétexte de trop grands écarts d’âge dans les classes, où des élèves de 16 ans peuvent avoir cours avec des élèves de 20 ans. Mais sa logique en est complètement boiteuse puisque ces élèves de 20 ans devront dès lors étudier avec des adultes qui ont 40, 45 ou 50 ans. Si Glatigny considère que l’écart ne pose pas de problème dans ce cas, c’est qu’elle se moque du monde.
Une autre arnaque mise en place par la ministre Glatigny est que l’enseignement pour adulte garantirait la même qualité de diplôme. Son raisonnement repose sur le fait que c’est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui organise cet enseignement. Pourtant, certains cours disparaissent des grilles d’enseignement, comme l’éducation physique et à la citoyenneté. A cela s’ajoute que pour organiser de nouvelles options et répondre à la fermeture des 7TQ, l’enseignement pour adultes devra en fermer d’autres. Par ailleurs, la manière de mener les apprentissages et d’évaluer diffèrent fortement. Enfin, on quitte aussi l’enseignement gratuit, c’est par principe un problème concernant le droit à l’éducation.
Le fait que gouvernement veuille renvoyer vers des filières qui sont plus chères est potentiellement une première étape vers une marchandisation de l’enseignement et de la certification. C’est aussi une étape vers la régionalisation d’un pan de l’enseignement qu’il faut combattre.
Quelle suite le mouvement va-t-il prendre ?
Tout dépendra de la volonté des travailleur·euses à se mobiliser et à poursuivre le combat. Il y a quelque chose d’historique dans le mouvement auquel on assiste : nous sommes toustes concerné·es ! C’est le message que nous adressons à l’ensemble des différents acteurs du monde de l’enseignement : associations de parents, écoles de devoirs, organisations étudiantes, etc.