Karim Brikci-Nigassa (CGSP ALR) : « Il faut renouer avec un syndicalisme de lutte et de changement de société »

Temps de lecture : 25 minutes

Depuis le déclenchement de la crise sanitaire, les travailleur·euse·s de la santé sont en première ligne pour combattre la pandémie. Mais elles et ils ont aussi été les premier·e·s à dénoncer la gestion néolibérale de la crise par le gouvernement et revendiquer de meilleures conditions de travail. Rencontre avec Karim Brikci-Nigassa, délégué-permanent CGSP ALR pour l’Hôpital Brugmann où il travaille comme brancardier depuis quinze ans. Il est également l’un des organisateurs du collectif « La Santé En Lutte ».

Est-ce que tu peux décrire la situation dans le secteur de la santé avant la crise et en quoi cela a évolué avec la crise ?

Je vais le dire clairement, la situation est catastrophique dans les soins de santé et dans l’ensemble des services publics de manière générale et ce depuis très longtemps. La crise a permis de mettre en lumière les secteurs dits « essentiels ». C’est d’ailleurs intéressant de voir que ce sont tous les métiers qui sont en général les moins valorisés dans la société. Dans le secteur de la santé, il n’a pas fallu attendre la crise Covid, en tout cas du côté des travailleur·euse·s, pour dénoncer les conditions de travail et les économies budgétaires absolument brutales qui ont été faites ces dernières années, quels que soient les gouvernements qu’on a pu avoir.

A l’échelle de mon hôpital par exemple, un an et demi avant la crise, on s’était déjà mobilisés assez massivement. Le manque de personnel, le manque de moyens pour assurer des soins de qualité à toutes et tous était un problème crucial de société déjà bien avant la crise Covid. C’est clair que la crise a permis de mettre en lumière et de faire comprendre plus largement qu’il y a un souci profond qui nous concerne toutes et tous, pas seulement les travailleur·euse·s du secteur. Ça c’est, entre guillemets, l’avantage de la situation au vu du cauchemar que l’on vit aujourd’hui au quotidien.

La CGSP ALR est un secteur qui se mobilise beaucoup. Comment faites-vous au quotidien pour mobiliser les collègues sur le terrain ?

Le constat que l’on tire c’est que face aux enjeux de société et à la réalité du monde du travail, on est beaucoup de Camarades de la CGSP ALR à penser qu’il faut renouer avec un syndicalisme de lutte, un syndicalisme qui met en avant la lutte de travailleur·euse·s comme seule solution pour obtenir des avancées. Un syndicalisme qui s’inscrit aussi dans une perspective de changement de société parce que ce système nous mène droit dans le mur.

C’est pourquoi, il y a un peu plus de deux ans, en septembre 2018, on a lancé une campagne avec la CGSP ALR sur la question des bas salaires dans notre secteur.

Notre postulat de départ était le suivant : quel type de campagne doit-on mettre sur pieds pour essayer de sensibiliser et mobiliser le plus largement possible ? Après débats dans nos structures, il a été décidé de mettre sur pied une campagne autour de la revalorisation salariale qui est un sujet qui touche largement et sur lequel on pensait pouvoir mobiliser.

Evidemment on ne s’est pas limité à cette question. Toute une série d’autres points ont été mis sur la table comme l’amélioration du bien-être au travail et des conditions de travail avec de l’engagement de personnel supplémentaire parce que l’ensemble des services publics a vécu des coupes dans le personnel sur les dernières années. On a aussi abordé la question de la réduction collective du temps de travail qui est pour nous une revendication historique du mouvement syndical mais qui malheureusement a été un petit peu mise de côté. On pensait, au contraire, qu’il fallait clairement remettre cette revendication en avant comme solution pour l’amélioration de nos conditions de travail et de bien-être mais aussi comme seule et unique solution à la lutte contre le chômage et le fait que l’on laisse des centaines de milliers de personnes à Bruxelles dans la précarité.

C’était donc une campagne de sensibilisation qu’on a liée à toute une série d’actions pour construire un rapport de force. On a réfléchi à un plan d’action sur le long terme parce qu’on estime que faire juste une manifestation qui vise à faire lâcher la vapeur et espérer que les employeurs se mettent autour de la table, c’est une illusion qui a peut-être trop imprégné nos organisations syndicales.

Ça fait deux ans qu’on est occupé avec cette campagne et aujourd’hui on a obtenu quelques petites avancées (restauration d’une petite prime de fin d’année dans les hôpitaux et remboursements de l’abonnement STIB, une prime dans les communes et CPAS et le début d’une négociation sur une revalorisation salariale). Mais ce qu’on a obtenu avant tout – et c’est le plus important – c’est la capacité à remettre les travailleur·euse·s dans la rue que ce soit dans des actions sur les lieux de travail ou dans des manifestations sectorielles plus larges sur base de revendications offensives. Cela signifie, qu’à un moment, le mouvement syndical doit arrêter de toujours être sur la défensive, de toujours ne faire que réagir à des attaques brutales du gouvernement ou d’un employeur. A un moment c’est notre rôle aussi de mettre en avant des revendications positives et offensives en partant des besoins des travailleur·euse·s du secteur.

Concernant la démocratie syndicale, c’est aussi un autre aspect que j’estime crucial. Il y a une défiance par rapport aux organisations syndicales et je l’estime justifiée jusqu’à un certain point. Cela  fait environ trente ou quarante ans que la « concertation sociale » est le leitmotiv de nos directions syndicales. Cela signifie que tout se discute dans des bureaux fermés entre représentant·e·s syndicaux et employeurs, ce qui exclut du processus l’ensemble de nos affilié·e·s et des travailleur·euse·s. Je ne dis pas qu’au niveau de la CGSP ALR, on a dépassé ces limites mais on pense clairement que la concertation sociale sans rapport de force n’existera jamais.

Ce qui est important pour nous dans le cadre d’une lutte, que ce soit au niveau local ou au niveau régional, c’est que tout soit discutée à chaque étape avec les travailleur·euse·s concerné·e·s. Ce sont elles et eux qui discutent, débattent, prennent la confiance et peuvent à un moment donné se dire que cette lutte leur appartient. Les travailleur·euse·s doivent pouvoir s’exprimer par rapport à ça et imposer des mandats aux responsables syndicaux.

Je suis permanent syndical de la CGSP Brugmann. Dans les quelques grèves qu’on a connu ces dernières années, ce sont les travailleur·euse·s en grève qui décident quand on part en grève, ce sont elles et eux qui décident si les revendications les satisfont ou pas, si on doit continuer la grève ou pas, … A aucun moment je n’estime avoir la légitimité de décider au nom des collègues que je représente face à l’employeur. C’est quelque chose qui permet de renforcer une lutte.

Le bilan que j’en tire, c’est que quand les travailleur·euse·s rentrent en lutte, ils sont clairement la plupart du temps plus combatif·ve·s et plus persévérant·e·s que ne peuvent l’être les responsables syndicaux qui subissent évidement une certaine pression de la part des patrons (moi y compris). Souvent ces dernier·e·s sortent des négociations avec l’idée que « c’est déjà pas mal ce qu’on a sur la table » et leur rôle serait alors de retourner vers les travailleur·e·s et de leur vendre l’accord obtenu. Moi personnellement, je me refuse à faire ça. Je vais restituer les faits clairs de ce qu’on a pu obtenir dans la négociation et ce sont les travailleur·e·s qui estiment si ces avancées sont suffisantes ou pas. Et donc on pense que c’est hyper important de laisser la place aux travailleur·e·s dans le cadre de la lutte sociale et d’organiser dans le cadre de nos mobilisations des Assemblées Générales démocratiques et décisionnelles. C’est aux travailleur·euse·s de prendre les décisions…

Une organisation syndicale doit pouvoir proposer des mots d’ordre et des stratégies syndicales. Jusqu’à un certain point, il y a des choses qui peuvent venir du sommet syndical, la question est plutôt de comment les mettre en débat et comment laisser l’espace pour que les travailleur·e·s se se les approprient et comprennent les perspectives. Pour ça il faut donc qu’il y ait une perspective et pas des mots d’ordre déconnectés de ce qui est vécu sur le terrain. En tout cas, on ne prend pas assez le temps de discuter ou d’organiser des Assemblées Générales comme outil principal de mobilisation dans le cadre d’une lutte.

Peux-tu dire un mot sur les mardis des blouses blanches qui ont précédé dans le secteur et la création de La Santé en Lutte et sur la négociation du fonds blouses blanches ?

Par rapport à l’exemple des mardis des blouses blanches, je remets un cadre rapidement parce que j’ai entendu beaucoup de choses dans tous les sens.

Tout d’abord, au printemps 2019 il y a des grèves qui éclatent dans certains hôpitaux bruxellois à l’initiative des travailleur·euse·s de terrain. C’est assez exceptionnel dans notre secteur parce qu’on n’est pas un secteur à haut taux de syndicalisation ou à tradition de lutte. Evidemment, il y a une médiatisation assez importante de ces petits conflits que ça soit à l’Hôpital Brugmann, à Saint-Pierre ou à d’autres endroits. Suite à cette mobilisation certaines organisations syndicales, pour ne pas en citer une en particulier, voient que ça bouge et le 3 juin 2019, il y a une grève de l’ensemble des hôpitaux publics du Réseau Iris pour revendiquer plus de personnel, plus de salaires et de meilleures conditions de travail. Mobilisation qui est un succès en soi, mais qui est surtout un succès parce qu’elle est la continuité de petits conflits locaux, avec l’aide des organisations syndicales mais surtout à l’initiative des travailleur·euse·s elleux-mêmes.

Quand les travailleur·e·s se sont réapproprié cette mobilisation, ça a entrainé un succès de mobilisation que les organisations syndicales n’auraient pas été capables d’organiser d’elles même, sans cette motivation, cet enthousiasme et cette colère pour se mobiliser. Sur base de l’impact médiatique qui a précédé et de la grève du 3 juin à Iris, une organisation syndicale appelle au « mardi des blouses blanches » dès le lendemain.

Je n’ai aucun problème avec le fait qu’ils ont saisi le contexte intéressant pour le faire, c’est d’ailleurs la position qu’on a eue dans les hôpitaux publics alors que c’est un mot d’ordre lancé du privé. Nous au niveau des hôpitaux publics on a évidemment rejoint l’appel de partir sur ces actions récurrentes tous les mardis. Pour la boutade nous on l’a pratiqué tout l’été alors que les mardis de blouses blanche ça n’a duré que trois semaines.

Tout ça pour dire qu’il n’y a pas une organisation syndicale qui a pris le bon mot d’ordre au bon moment : ce sont les travailleur·euse·s de terrain qui ont exprimé leur colère, ce qui a aussi permis de rouvrir les négociations avec un gouvernement qui a méprisé pendant quatre ans les représentant·e·s syndicaux. En effet, la concertation sociale pour De Block, ça n’existait pas et il y a pas mal de haut·e·s responsables syndicaux qui vivaient mal ce mépris que nous on vit tous les jours sur nos lieux de travail par rapport à nos directions. Evidemment, le gouvernement a été mis sous pression pour enclencher des discussions, il y a eu une proposition au parlement du « fonds blouse blanche » qui quelques mois auparavant était rejetée en bloc par quasi tous les partis politiques. Evidemment, les discussions sur le fond blouses blanches et les avancées à ce niveau-là, c’était une manière pour le gouvernement de calmer les travailleur·eu·s de terrain.

Je vais même aller plus loin, le « fonds blouses blanches » peut sembler une somme importante mais dans la pratique ça ne règle en rien les problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Pour donner un exemple, pour de gros hôpitaux ça représente quelque chose comme quinze à vingt équivalents temps plein supplémentaires qui sont les bienvenus mais aujourd’hui pour soigner correctement les patient·e·s, ce n’est pas avec ça qu’on y arrivera. Et encore faut-il les trouver vu qu’aujourd’hui les conditions de travail repoussent énormément de personnel infirmier ou autres à retravailler dans les hôpitaux. En plus, ça ne concerne que les hôpitaux, ça ne concerne pas les maisons de repos, les maisons médicales et tout ce qu’on pourrait appeler la médecine de première ligne.

Suite à la crise Covid, on a eu beaucoup de mobilisations dont la « haie déshonneur » à Saint-Pierre qui a remis un coup de pression symbolique mais très fort auprès du fédéral. Suite à cette initiative de travailleur·euse·s de terrain, les directions syndicales sont reconvoquées durant les mois de juin et juillet 2020 pour négocier un accord au niveau des soins de santé. Et là aussi, il y a 600 millions d’euros qui sont mis sur la table. Nouvelle somme qui semble être extraordinaire, sauf que remis dans un contexte, le « fonds Blouses Blanches » plus ces 600 millions, c’est moins que ce qui a été économisé dans le secteur sur les quatre dernières années par le gouvernement De Block.

Dans le meilleur des scénarios, ils nous rendent ce qu’ils nous ont pris sur les quatre dernières années mais pratiquement ça ne se concrétise par aucune avancée. Face à la deuxième vague, on est encore moins bien préparés qu’au mois de mars. En plus de ça, la fatigue s’est accentuée, les collègues sont en train de tomber comme des mouches et donc en fait les représentant·e·s politiques n’ont absolument rien anticipé et ne nous ont donné aucun renfort.

Certaines organisations syndicales ont affirmé qu’on avait obtenu un accord historique au mois de juillet et que par conséquent la lutte était finie. A un moment, cette mobilisation est à l’initiative des travailleur·euse·s de terrain, affilé·e·s ou pas, de quelconque organisation syndicale et ce qui est vécu aujourd’hui sur le terrain, c’est que la lutte on doit la continuer, que ce n’est pas suffisant. C’est une preuve de ce que je disais au tout début : la combativité et la volonté d’améliorer les choses sur le terrain me semble beaucoup plus élevée que certain·e·s responsables· syndicaux veulent bien entendre.

Même si d’un côté, je critique l’insuffisance du « fond blouses blanches » – ce que beaucoup de collègues terrain pensent – en même temps on revendique que c’est une victoire ! On y voit le côté positif mais sans pour autant y voir une fin en soi. Il faut lire ça comme « c’est possible en luttant d’obtenir quelque chose » et donc il faut traduire ça dans une volonté de continuer la mobilisation et la lutte.

Peux-tu expliquer la création de La Santé en Lutte ?

De février à juin 2019 on a vécu toute une série de mobilisations dans les hôpitaux publics à Bruxelles, mais il y a aussi eu des soubresauts ailleurs dans d’autres institutions de soins, avec cette grève du 3 juin en front commun syndical dans les hôpitaux Iris, par exemple. A la fin de cette journée de grève, on se réunit en Assemblée Générale où on discute de la suite à donner à la mobilisation. Lors de cette discussion plusieurs questions sont soulevées.

On était en front commun syndical ce jour-là et l’ensemble des organisations du secteur public soutenaient la mobilisation, mais s’est rapidement posé la question de comment se fédérer entre travailleur·euse·s syndiqué·e·s ou non-syndiqué·e·s de l’ensemble des hôpitaux publics du Réseau Iris.

Lors de cette journée de grève, il y avait aussi des collègues du privé qui étaient venus par solidarité, et rapidement s’est posé la question d’élargir cette mobilisation à d’autres institutions de soins, en sachant que travailleur·euse·s du public et du privé ont les mêmes intérêts, le même vécu au travail.

Lors de cette discussion, les travailleur·euse·s expriment la volonté d’élargir la mobilisation à d’autres secteurs comme la CGSP ALR l’avait déjà fait précédemment en appelant les organisations du privé à se mettre autour de la table et mettre sur pied un plan d’action de l’ensemble du secteur. Malheureusement ces invitations, pour la plupart, sont restées sans réponse.

Mais du coup, les travailleur·euse·s de terrain se sont approprié l’idée. Sur base de cette discussion fut décidé de lancer une nouvelle Assemblée Générale trois semaines plus tard vers la fin juin pour laquelle on mobiliserait plus largement. Lors de cette assemblée on s’est retrouvé avec des collègues du privé, des maisons de repos, de maisons médicales, …  Et très rapidement s’est posé la question d’élargir la lutte, à laquelle les organisations syndicales dans leurs structurations actuelles ne sont pas capables de répondre. Pas capable parce que les structures des fois peuvent être un frein, ou parce que certains responsables syndicaux ne veulent pas en entendre parler, soyons clairs.

A cette AG, on décide de mettre sur pied La Santé En Lutte en tant que collectif de mobilisation du personnel soignant, dans lequel on veut pouvoir intégrer tous les travailleur·euse·s – quelle que soit leur affiliation syndicale, leur affiliation à une association professionnelle ou autres – dans le cadre d’une mobilisation large pour un refinancement des soins de santé. Voilà d’où ça vient, les militant·e·s de la CGSP ALR, que ça soit de l’hôpital Brugmann ou de Saint-Pierre, sont pleinement partie prenante de ce processus.

Ce qui est d’ailleurs assez étonnant, de notre point de vue, ce sont les critiques que l’on peut entendre en interne de nos organisations syndicales qui affirment que La Santé En Lutte est antisyndicale, qu’elle serait proche de tel ou tel groupuscule d’extrême gauche ou autre. Je tiens à clarifier dans cette interview que La Santé En Lutte est un collectif de soignant·e·s, avec des travailleur·euse·s syndiqué·e·s ou non, des militant·e·s syndicaux impliqué·e·s dans la structure syndicale et d’autres travailleur·euse·s qui n’ont jamais mené une grève de leur vie. Pour nous l’important c’est d’être capables de s’unifier et d’élargir la mobilisation.

Je pense que sur la dernière année, cette stratégie s’est montrée efficace simplement en étant capables d’être les porte-voix de la souffrance sur nos lieux de travail et de sensibiliser plus largement par rapport à notre communication sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la concrétisation avec la manifestation du 13 septembre 2020 pour laquelle on avait appelé l’ensemble des structures syndicales à se mobiliser. Triste constat de se rendre compte que malgré la période Covid, beaucoup de responsables syndicaux ont tergiversé ou n’ont même pas répondu à notre invitation.

Certain·e·s estimaient d’ailleurs que cette manifestation arrivait au mauvais moment, comment expliques-tu cela ?

Je pense qu’à partir du moment où il y avait des négociations avec le cabinet De Block en juin et juillet, et qu’on était sorti de là avec « un accord absolument extraordinaire », je suis ironique, certain·e·s n’avaient absolument pas pour idée de mobiliser mais voulaient utiliser cet accord – dans le contexte des élections sociales –  pour retourner vers les travailleur·euse·s et dire « regardez ce que l’on a obtenu ».

Deux choses là-dessus. D’abord, ce qu’on a obtenu, c’est grâce à la mobilisation de terrain. Cela serait bien que les responsables syndicaux n’oublient jamais ça ! Ensuite, on le dit avec La Santé En lutte et je le dis aussi au nom de la CGSP ALR, ou des travailleur·euse·s des soins de santé des hôpitaux de Bruxelles, cet accord dit « historique » est loin d’être suffisant et avec La Santé En Lutte et toutes les organisations syndicales qui le souhaitent, il faut continuer la mobilisation pour un refinancement des soins de santé et plus largement de la sécurité sociale. Cet enjeu ne concerne pas que les travailleur·euse·s des soins de santé syndiqués dans telle ou telle organisation, c’est un enjeu de société qui concerne toutes et tous, c’est donc pour ça qu’avec la Santé En lutte, on appelle à une mobilisation la plus large possible.

Sur ce qui a été dit dans la presse, certaines attaques sont assez malhonnêtes. Et derrière la réalité, il y a un agenda propre à chaque organisation qui fait que la manifestation du 13 septembre n’arrangeait pas. Mais à un moment, ce n’est pas comprendre ou ne plus entendre ce qui se passe sur le terrain. Ces derniers temps dans la presse, beaucoup d’interview d’infirmier·e·s et d’aides soignant·e·s ont prouvé que cet accord – aussi bien qu’il puisse être – n’est absolument pas concret pour la plupart d’entre nous, il n’a absolument rien changé à notre quotidien. C’est encore pire aujourd’hui, on attaque une deuxième vague alors qu’on est plus sur les rotules qu’auparavant. Ce serait bien que les responsables syndicaux l’entendent.

Comment la création de La Santé En Lutte a-t-elle été accueillie ?

A Bruxelles, le secrétariat de la CGSP ALR a suivi le processus dès le début et n’est pas tombé dans les mêmes pièges que ce qui a pu être répété par certain·e·s qui ne connaissent pas La Santé En Lutte mais qui n’ont à aucun moment cherché à s’y intéresser. Grace à ça, on a réussi à obtenir un positionnement assez clair de la FGTB Bruxelles que je tiens d’ailleurs à remercier. C’était important et ça prouve que La Santé En Lutte a une approche envers les organisations syndicales et qu’elle espère pouvoir continuer à développer ces liens. La Santé En Lutte et la CGSP ALR appellent depuis maintenant plus d’un an à une journée de grève nationale de l’ensemble du secteur de la santé. Je réitère donc notre appel à l’ensemble des responsables syndicaux du public et du privé afin de se mettre rapidement autour de la table pour mettre sur pied un plan d’action offensif sur la question des soins de santé. Plan d’action que La Santé En Lutte sera certainement très enthousiaste à soutenir et à aider dans le cadre de la mobilisation.

Concernant le reste de la structure, les avis divergent mais de manière générale, je peux dire que l’essentiel se passe dans les couloirs, dans des critiques informelles mais à aucun moment avec un positionnement clair et assumé. On colporte des rumeurs ou des idées préconçues qui permettent de ne pas s’impliquer ou de justifier une non-implication, ce qu’on trouve assez dommageable et regrettable. En avril passé, on avait écrit une lettre ouverte à tous les responsables syndicaux concernant l’appel à la manifestation du 13 septembre, force est de constater que très peu y ont répondu, très peu ont essayé s’intéresser à l’idée qu’il y avait derrière.

Dans la pratique il y a eu un refus d’appeler à cette manifestation, sans le justifier de manière ouverte. La seule réponse que j’ai pu entendre, c’est que « La Santé En Lutte, ça n’existe pas côté wallon, ça n’a pas d’impact », ce qui n’est pas une réponse à la question posée  : « est-ce qu’on utilise une date pour se mobiliser largement ?». Je crois qu’il y a de la méfiance de la part de certain·e·s responsables syndicaux et ça leur appartiendra de justifier le pourquoi.

Quoiqu’il en soit, on pense que la mobilisation doit continuer et qu’elle va continuer avec celles et ceux qui le veulent. Mais on réitère notre appel à rapidement prévoir un plan d’action offensif dans le secteur, parce que le potentiel est là, la volonté des travailleur·euse·s est là et il faut peut-être arrêter les bagarres de chapelles inter-centrales ou inter-organisations syndicales qui déforcent la mobilisation et qui ne sont généralement pas animées par l’intérêt de défense les travailleur·euse·s.

L’objectif est donc qu’il y ait une journée d’action au printemps, où en sont les discussions ?

On va écrire une nouvelle lettre ouverte à l’ensemble des responsables syndicaux pour mettre cette proposition en avant, on espère que cette fois-ci nous serons mieux entendus.

Vu la situation, je pense que beaucoup des Camarades et militant·e·s de la CGSP dans les hôpitaux publics à Bruxelles sont prêt·e·s pour cette journée de grève nationale et si La Santé En Lutte en fait l’appel, on aura la discussion en interne mais je pense que c’est assez clair qu’il y a la volonté d’y aller et de déposer un préavis de grève. On espère que l’on ne sera pas les seuls, que cela fera tache d’huile et qu’il faut être capable à un moment de couvrir tous les travailleur·euse·s au niveau du territoire national pour participer à cette journée de grève dont les modalités sont évidemment encore à discuter.

Est-ce que vous voyez des retombées en tant que CGSP ALR de votre implication dans la Santé en Lutte ? Est-ce que cela permet de renforcer votre base syndicale ?

Merci pour la question parce que je pense que c’est ce que certains de nos Camarades ne comprennent pas. Un outil comme la Santé en Lutte n’est pas un outil qui en soi met en danger les organisations syndicales, c’est sans doute un outil qui bouscule mais qui a pour ambition la mobilisation et la lutte sociale.

Dans ce sens-là, tout ce que je peux dire à mon échelle, c’est que depuis le début du processus la CGSP Brugmann, donc ma délégation, soutient La Santé En Lutte de manière ouverte. On a participé à l’ensemble des actions, on est présent·e·s en tant que structure syndicale et ça permet aussi de montrer que les syndicats, contrairement à certains préjugés, ne sont pas contre la mobilisation des travailleur·euse·s de terrain actuellement.

Mais oui, très clairement, nous ça nous a permis de renforcer notre délégation. La Santé En Lutte est un outil de mobilisation qui nous permet d’envisager les choses en dehors uniquement de notre lieu de travail mais la délégation syndicale sur le lieu de travail est un outil hyper important et crucial, et donc on a beaucoup de collègues qui se sont impliqués dans leurs premières actions, leurs premières grèves au printemps 2019, elles et ils se sont impliqué·e·s dans La Santé En Lutte et un nombre assez important d’entre-elles et eux a aujourd’hui intégré la délégation syndicale de leur hôpital, dans le sens où ce combat large que l’on peut mener il faut également le concrétiser dans une bagarre au quotidien avec notre employeur.

Mon bilan, c’est que le collectif de la Santé En Lutte et l’outil de mobilisation qu’il représente a permis de renforcer notre organisation syndicale au niveau des hôpitaux publics, en tout cas à Bruxelles. J’invite donc l’ensemble des collègues des autres hôpitaux à considérer ce bilan et peut-être envisager d’approcher les choses de manière différente.

D’autant qu’on a vu que quand les travailleur·euse·s se mobilisent, il y a aussi derrière de la répression …

Oui, par rapport à ça, les employeurs publics ont un double discours que je trouve personnellement assez irritant et très hypocrite. D’un côté, sur base de la pression et du ras le bol qu’expriment les travailleur·euse·s depuis deux ans, ils ont un discours semi-officiel de dire qu’ils comprennent la réalité, le manque de moyens, … c’est déjà bien qu’ils le reconnaissent parce que quelques mois avant les premières mobilisations, ils tenaient un discours complètement inverse et se faisaient pour beaucoup les soldats de l’austérité.

Maintenant c’est bien de le dire, sauf que dans la pratique, leur management est autoritaire, brutal et se fait au quotidien la volonté d’appliquer au mieux l’austérité dans nos institutions de soin et c’est aussi ce que les travailleur·euse·s dénoncent. Oui, répression il y a. Oui, pressions insupportables au travail y a. Et donc ces combats sont à mener aussi à l’échelle de chaque lieu de travail face à des employeurs qui, certes sont mis sous pression aussi, mais jusqu’à preuve du contraire auraient d’autres possibilités, d’autres types de management à mettre en place mais qu’ils refusent d’envisager aujourd’hui. Mais on compte bien leur faire comprendre qu’on n’acceptera pas ça beaucoup plus longtemps…

Dans les revendications de la Santé En lutte, il y a l’aspect financement mais il y a aussi l’aspect organisation du travail et « managerialisation » qui est en fait l’un des aspects le plus pénible du travail ?

Très clairement ! Le terme manager est apparu il y a une dizaine d’années dans le secteur public. Je vous passe tous les termes anglais qu’on nous sort, j’ai parfois l’impression qu’on bosse dans une multinationale comme Coca Cola. Donc oui, sous la pression des coupes budgétaires imposées au secteur, il y a eu une adaptation totale des employeurs publics à cette logique mercantile et autoritaire qui entraîne des dégâts humains absolument incroyables.

La plupart de ces managers ne sont pas au contact des patient·e·s, ce sont eux qui nous tiennent le discours qui consiste à dire que les patient·e·s sont au centre de tout sauf qu’à aucun moment on ne va réfléchir pour mettre les moyens nécessaires pour le faire. On est bien d’accord que les patient·e·s doivent être au centre de tout mais pour ça il faut pouvoir entendre que la réalité de terrain est bien toute autre. Alors oui, on leur dit aujourd’hui clairement qu’ils aillent tous se faire voir avec leurs tableaux Excel et leurs statistiques ! Nous, ce qui nous importe, c’est de donner des soins de qualité à toutes et tous, quelle que soit son origine sociale. Et les managers qu’on a mis à la tête de beaucoup de nos institutions publiques n’ont absolument pas cette réflexion et refusent d’entendre raison.

C’est là qu’il y a un double discours. Il y a le profil médiatique qu’ils vont pouvoir avoir en disant « oui, c’est vrai, ce n’est pas cool les économies imposées », et puis il y a au quotidien ce qu’ils font vivre et la politique d’austérité en interne qu’ils imposent sans sourciller avec toute la souffrance humaine que ça amène.

A côté de ça, on nous dit de rendre l’hôpital attractif sauf que tout ce qu’ils mettent en place est à l’opposé de ce qui pourrait être attractif. Si on veut être attractifs, ça serait peut-être aujourd’hui considérer qu’il faut de bonnes conditions de travail, avoir assez de personnel, d’écouter les travailleur·euse·s du terrain par rapport aux problématiques qu’elles et ils soulèvent et d’arrêter ce management « top-down », pour utiliser leurs termes, qui est absolument nocif. C’est une des choses que l’on dénonce avec La Santé En Lutte ainsi qu’avec la CGSP ALR. C’est un combat important que l’on va devoir mener. C’est une chose de se retrouver dans une situation de manque de moyens, ça en est une autre de vivre cette situation combinée à un management malveillant.

Les employeurs disent « on est tous dans le même bateau » sauf que dans le bateau il y a une première classe et une troisième classe. La plupart des travailleur·euse·s qui sont en troisième classe estiment que si on est dans le même bateau, alors nous devons être toutes et tous autour de la table. Pas dans une idée de concertation sociale mais dans l’idée de mettre des choses en place pour qu’on puisse travailler toutes et tous correctement. C’est bien entendu un discours que la plupart des employeurs ne veulent pas entendre.

Par rapport à la crise sanitaire que l’on vit actuellement et la manière dont celle-ci a été gérée par le monde politique, est-ce que pour toi, la réponse syndicale a-t-elle été suffisamment forte ?

Je pense que l’ensemble des structures syndicales n’a pas joué son rôle et cela pour plusieurs raisons. Je peux entendre que le premier confinement et la première vague a pu surprendre tout le monde, qu’on n’était pas préparé à cette situation, c’est une réalité sur laquelle on peut effectivement tirer un bilan.

Par contre, toute la période de déconfinement et tout ce qui s’en est suivi jusqu’à aujourd’hui, j’ai très peu lu et très peu vu. Il y a les exemples des collègues de la STIB qui ont exercé leurs droits de retrait et les collègues de chez AB Inbev qui ont osé mener une grève courageuse suite à des contaminations sur le lieu de travail qui ont été cachées par le patron. Avec la CGSP ALR, on a mené une campagne à notre échelle sur la question de la situation sur les lieux de travail ; on est dans un contexte politique où on se contamine dans sa vie sociale, mais le lieu de travail n’existe pas dans la donnée. C’est interpellant et faux, les lieux de travail sont une des sources de contamination principales.

Evidemment, il y a une volonté politique de préserver les intérêts des grandes entreprises, mais dans la pratique, tous les jours on met nos collègues en danger. Le gouvernement n’a pris aucune mesure contraignante envers les employeurs. Tout ce qu’on peut lire comme directives officielles s’accompagne toujours d’un « si possible », ce qui fait que les employeurs estiment toujours que ce n’est pas possible et nous laissent travailler dans des conditions dangereuses pour notre santé et celle de nos collègues, de nos familles.

On est donc confrontés à des situations hyper problématiques. Les employeurs cachent les contaminations aux membres du personnel alors qu’ils ont l’obligation légale d’avertir si quelqu’un a été en contact avec une personne positive. Les employeurs refusent de prévenir les membres du CPPT de contaminations sur le lieu de travail alors qu’ils ont l’obligation légale de le faire. Par rapport à ça, oui, j’aurais apprécié que mon organisation syndicale, que le sommet de la FGTB, mène une campagne sérieuse et dénonce d’une manière efficace ce qui se passe et clairement d’envisager que si le gouvernement et les employeurs ne nous protègent pas, c’est à nous de nous protéger. Donc oui, je pense que s’il faut en arriver à des situations d’application du droit de retrait ou de grève pour se protéger, je pense qu’on doit l’envisager et rapidement.

Depuis septembre, on a un nouveau gouvernement qui promet un « refinancement historique » des soins de santé, quel est ton avis sur cet accord et qu’est-ce que ça laisse présager ?

On peut avoir deux lectures. Il y a celles et ceux qui se disent qu’après des gouvernements d’austérité brutale sur les dernières décennies, on pourrait lire cet accord de manière positive. Je pense qu’on se trompe : l’accord de gouvernement ne remet absolument rien en question, on compte continuer la politique d’austérité et je pense qu’on le verra dans la pratique. Il y a une volonté de faire payer la crise Covid sur le dos des travailleur·euse·s et je pense que les mois qui viennent nous donneront raison là-dessus.

Ce gouvernement ne remet absolument pas en question la politique des années précédentes. On nous dit que c’est un gouvernement plus à gauche et plus social mais et jusqu’à preuve du contraire le départ à la pension à 67 ans n’est pas remis en question. La question des hausses de salaire, on va en rediscuter pratiquement et on verra un peu. Même sur la question des soins de santé, il y a beaucoup de belles intentions sur papier mais le tout sera de voir ce qui sera mis en place et je doute sincèrement. Il faudra se préparer à la lutte ne serait-ce que pour mettre une pression et de mettre le rapport de forces en place pour obliger le gouvernement à mener à bien le peu de politique sociale qu’ils envisagent peut-être dans leur accord.

En tout cas, je pose la question : est-ce que c’est parce que la social-démocratie est à nouveau au pouvoir, qu’on estime avoir fait des pas en avant ? Je rappelle quand même que sur les trente dernières années la social-démocratie a participé à quasi tous les gouvernements, sauf le dernier, et qu’elle est responsable en grande partie de la casse de la sécurité sociale et des acquis sociaux qu’on a pu obtenir de longue lutte. C’est quand même assez étonnant de tomber à nouveau dans le piège…

3 thoughts on “Karim Brikci-Nigassa (CGSP ALR) : « Il faut renouer avec un syndicalisme de lutte et de changement de société »

  1. Pingback:La santé en lutte en horaire d’hiver – La santé en lutte – De zorg in actie

  2. Sylvie Reply

    Je suis en total accord avec ce que dit le dėléguė syndical Karim Brikci. L’analyse qu’il porte sur la casse de l’hôpital de ces 15 å 20 dernières années est juste. La souffrance du personnel et de nombreux soignants aussi, elle est prėsente et s’est amplifiée avant même la pėriode du Covid. Les soignants l’ont dėnoncė de nombreuses fois mais n’ont pas ėtė entendu. Rien n’a ėtė anticipé, même pas la vieillesse de la population, après un baby boum il y a un papy boum… La logique ėtait comme toute entreprise, comme on considère dėsormais l’hôpital comme une entreprise, que lorsque la demande augmente l’offre aussi. Cela imposait donc une augmentation des normes d’encadrement et c’est tout l’inverse qu’on a eu. La Belgique est le pays d’Europe où l’infirmière doit s’occuper le plus de malades, soit 9,5 patients par infirmières. La charge de travail à considėrablement augmentée et ce n’est pas les ordinateurs qui vont solutionner le problème. La relation soignant patient a ėtė dėteriorėe parce que le temps imparti pour chaque patient qui fait parti des soins n’est pas pris en compte. Enfin la pėnibilitė du mėtier n’est pas reconnue. Pourquoi a t’on retardé l’âge å la pension pour les soignants dėja ėpuisés et malmenés ces dernières années? Est il raisonnable de partir si tard? Alors qu’on nous a vidé de notre ėnergie bien avant. A se demander si la politique de l’hôpital est d’aider les anciennes å rester jusqu’au bout?…

  3. Pingback:Entretien avec Karim Brikci-Nigassa (CGSP ALR) : « Il faut renouer avec un syndicalisme de lutte et de changement de société » – La santé en lutte – De zorg in actie

Leave a Reply to Sylvie Cancel reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *