Interview de Andrea Della Vecchia // secrétaire fédéral à la Centrale Générale en charge du secteur du pétrole et de la chimie
Propos recueillis par Julien Scharpé, chargé de communication aux Jeunes FGTB
La Belgique est considérée comme un hub pétrolier. Que peux-tu nous dire de l’évolution du secteur ces dernières années ?
Andréa : Nous sommes dans un pays où le secteur pétrolier tient le haut du pavé. Les deux raffineries situées au port d’Anvers jouent un rôle essentiel en matière d’approvisionnement en pétrole pour la Belgique et une partie de l’Europe. Elles sont intégrées au tissu industriel et ont un impact qui dépasse les frontières du secteur pétrolier.
On peut dire que ExxonMobil et Total Energies évoluent dans un pôle qui ne connaît pas la crise. Les chiffres sont bons et il n’y a pas eu de ralentissement majeur de leurs activités. Nous avons à faire avec des entreprises qui ont une productivité élevée et génèrent un flux de trésorerie régulier. Il faut aussi souligner que les gouvernements français et belge n’ont pas mis en place de systèmes efficaces de taxation solidaire pour les superprofits réalisés dans le secteur pétrolier pendant la période du covid et de la crise énergétique. Alors, les entreprises ont toutes un cycle de vie avec des hauts et des bas, mais aujourd’hui, on ne peut pas dire que le secteur connaît de sérieuses difficultés.
Existe-t-il des projets sérieux de reconversion de ce secteur en Belgique ?
Andréa : À ma connaissance, il n’y en a pas. En tout cas, il n’y a pas de construction d’un site qui pourrait développer une énergie renouvelable capable de remplacer significativement le raffinage du pétrole en Belgique. Ces multinationales investissent dans les énergies renouvelables mais pas suffisamment pour sortir des énergies fossiles.
C’est d’ailleurs ce que les collègues de Greenpeace pointent régulièrement. Leur rapport annuel dénonce spécifiquement le greenwashing des entreprises du secteur. Si Total Energies a effectivement des projets pour atteindre la neutralité carbone au niveau environnemental, ils continuent de développer et entretenir leur activité sur les énergies fossiles comme le pétrole.
À quoi doivent s’attendre les travailleur·euses vis-à-vis de la politique énergétique en Belgique ? Notamment concernant les demandes du secteur de la chimie d’être prioritaires en termes de d’approvisionnement ?
Andréa : La propagande sur les coûts énergétiques est omniprésente. Il n’existe pas de communication de la part des fédérations patronales, nationales comme européennes, qui parle d’autre chose que de compétitivité. Elles ne cessent jamais de se comparer à la Chine et aux États-Unis, et réclament depuis des mois que les responsables politiques leur viennent en aide. Cette course aveugle à la compétitivité n’est évidemment pas ce que nous préconisons au niveau syndical. Avant le Covid, les coûts de l’énergie en Europe étaient déjà plus chers qu’aux États-Unis et en Chine.
Rentrer dans une course à la baisse des prix de l’énergie et à la dérégulation du secteur signifie renoncer à tous nos engagements vis-à-vis des questions environnementales. C’est ce que réclame le banc patronal lorsqu’il affirme que les pouvoirs nationaux et régionaux imposent trop de règles pour le respect de l’environnement. On ne peut bien évidemment pas les suivre. Les syndicats doivent répondre positivement au défi climatique. Si nous devons être compétitifs, c’est en prenant à bras-le-corps la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut que nous soyons plus ambitieux et soutenir les secteurs qui nous permettent de développer des énergies vertes.
C’est à cause de cette propagande patronale et des résultats des partis de droite que l’écologie n’est plus une priorité dans la déclaration politique du nouveau gouvernement wallon. Il n’y a plus l’ambition d’être plus vert que l’Union Européenne et d’encourager le développement des énergies renouvelables.
Concernant la sécurité d’approvisionnement énergétique, nous devons être de bons comptes. Peu importe la taille d’une industrie, le besoin d’être approvisionné est indispensable pour poursuivre ses activités. Sans cette sécurité, on se retrouverait donc dans une situation où l’emploi ne pourrait pas être maintenu tel qu’on le connaît. Il est donc évident que nous sommes soucieux de cet aspect, mais pas au détriment des ménages, et pas au détriment des services publics. On ne peut quand même pas privilégier l’accès à l’énergie à une entreprise au détriment de l’école d’à côté. Les travailleurs sont aussi des citoyens qui ont besoin d’un accès aux soins de santé et d’autres services. Il n’y a pas de concurrence à mettre entre le secteur économique et les services publics.
Quelle place les travailleur·euses du secteur pétrolier et chimique peuvent-iels occuper pour la transition écologique et énergétique ?
Andréa : La politique d’approvisionnement a un impact sur l’organisation du travail. Celle-ci est sur la table de la concertation sociale depuis 1948, avec différents organes de concertation que nous avons dans les entreprises. Il est prévu que lorsque l’une d’entre elles a l’intention de modifier son fonctionnement, elle doit en informer et consulter préalablement les représentants des travailleurs.
Aujourd’hui, je constate que les employeurs tardent à nous informer et à nous impliquer dans les transformations mises en place. Mais nous ne devons pas céder et nous contenter d’être des spectateurs. Les représentants des travailleurs doivent être au centre des prises de décisions et s’approprier ces questions, à travers la concertation sociale.
Les changements qui ont lieu varient en fonction des entreprises. Il y a par exemple des enjeux liés à la formation et à l’acquisition de nouvelles compétences par des cycles de formation à créer. Il y a aussi la recherche potentielle de nouveaux fournisseurs et l’externalisation de certains aspects de la production. Par rapport à ça, un contrôle syndical est nécessaire pour éviter que les travailleurs soient lésés.
Nous devons nous imposer à la table de concertation sociale. En tant que délégué syndical, on n’est pas là uniquement pour discuter des salaires ou régler les conflits individuels. On est là pour tous les thèmes qui portent sur l’organisation du travail.
Comment nous imposer par rapport aux mastodontes que sont les multinationales ?
Andréa : Le premier ingrédient pour que pour que ça marche est d’avoir un contrôle syndical accru. Il ne faut pas se contenter des informations reçues. Il y a dans le secteur du pétrole et de la chimie de nombreuses entreprises qui ont des accords avec l’administration fiscale pour bénéficier d’une réduction de taxes sur les bénéfices. Si les délégués se limitent à analyser les comptes annuels, ils vont passer à côté d’informations cruciales. Il faut investiguer syndicalement et connaître les tenants et aboutissants de l’accord avec l’administration fiscale.
Il est également nécessaire d’être en contact avec les syndicalistes des pays où se situent les autres sites pour partager les informations à notre disposition et contrôler les transactions financières. L’internationalisme est important pour des syndicalistes rouges. La solidarité et la redistribution des richesses est au cœur de l’action de la FGTB. Pour ça, il est nécessaire d’identifier où la valeur ajoutée est réellement produite, en développant un syndicalisme fort qui dépasse le cadre des frontières géographiques. C’est en partageant les informations à notre disposition et en se montrant solidaires lors des actions à mener que nous pouvons faire plier les dirigeants des multinationales.