Propos recueillis par le secrétariat fédéral des Jeunes FGTB
Sophie, 23 ans. Elle est étudiante en anthropologie et milite à l’USE, Union syndicale étudiante, depuis un peu moins d’un an.
Isis, 22 ans. Elle étudie la criminologie et milite à l’USE depuis trois ans. Elle occupe le mandat cadet qui permet d’entretenir les liens avec la FGTB.
Pouvez-vous m’expliquer comment vous avez commencé à militer ? Qui vous a introduit au militantisme ?
Sophie : J’ai commencé à militer pour la grève du 8 mars l’année dernière. Ma colocataire était dans le cercle féministe et m’a proposé de venir aux réunions. Je l’ai accompagnée et commencé à m’investir. Comme ça m’a plu et que j’avais envie de continuer, j’ai rejoint le syndicat qui était à mes yeux la meilleure synthèse de toutes les revendications. Nous luttons pour les droits des femmes, mais aussi pour de meilleures conditions de travail et contre la précarité.
Isis : En ce qui me concerne, je suis un peu un pur produit de la génération d’élèves qui ont manifesté pour le climat. Évidemment, le féminisme est aussi une porte d’entrée, comme pour beaucoup de femmes. Ce sont les premières expériences d’oppression qu’on subit en tant qu’individu et où on voit les inégalités structurelles.
J’ai rejoint l’USE pendant la crise Covid. La précarité étudiante avait explosé comme on ne pouvait plus avoir de jobs étudiant, que les aides sociales étaient difficiles d’accès et que l’ULB ne faisait pas grand-chose pour faciliter l’organisation des cours. Un ami qui était déjà syndiqué m’a invité à des réunions pour préparer les manifestations Jeunesse en lutte. Celles-ci ont rassemblé des centaines d’étudiant·es et la possibilité de régler des problèmes collectifs m’a plu. J’ai donc continué à me mobiliser avec le syndicat contre toutes les injustices que les étudiant·es rencontrent.
Quelles ont été les luttes étudiantes dans lesquelles vous vous êtes impliquées dernièrement ?
Isis : On a démarré une lutte contre la réforme du Décret Paysage avec la Fédération des Étudiant·es Francophones, le Bureau des étudiants administrateurs·trices, et d’autres organisations politiques. Elle n’a malheureusement pas encore abouti par manque de rapport de force.
Mais nous venons de remporter une lutte concernant le sous-encadrement des étudiant·es à l’ULB. Après un an et demi de mobilisation avec la CGSP Enseignement recherche, les autorités de l’université se sont engagées à recruter 51 assistant·es. Il faut se rendre compte que par manque de financements, nos auditoires pour les travaux pratiques étaient surchargés, on ne pouvait pas poser toutes nos questions aux assistant·es, nos examens étaient des questions à choix multiples qui n’évaluent pas vraiment l’apprentissage réel.
Il y a d’autres luttes qui dépassent les murs de l’ULB : la grève féministe du 8 mars, les actions de solidarité avec les grévistes de Delhaize, et actuellement les mobilisations en solidarité avec la Palestine. Il y a encore beaucoup d’universités belges qui entretiennent des liens et contribuent au financement d’Israël d’une manière ou d’une autre. On essaye de créer de la visibilité dessus pour qu’elles coupent leurs liens et ne financent pas le génocide en cours.
Il y a également eu la lutte pour la rémunération des stages. La Belgique est l’un des seuls pays en Europe à ne pas rémunérer ses stagiaires. Concrètement, ça signifie que des étudiant·es passent un trimestre voire une année à travailler gratuitement. Cette lutte nous semblait importante même si nous sommes déçues du résultat.
Quelles sont les luttes à venir pour 2024 ?
Sophie : Nous allons nous mobiliser sur la question du logement. À l’ULB, les kots disponibles sur le campus sont insalubres. L’université estime que leur rénovation et entretien n’est pas prioritaire alors que ça contribue à la précarité étudiante. Sans parler du fait que l’institution grignote chaque année les aides sociales.
Il y a aussi la question de l’alimentation où l’ULB tente de restreindre l’accès aux plats à 2€. Ils souhaitent les réserver aux boursiers et boursières, mais la précarité étudiante ne concerne pas que celles et ceux qui bénéficient d’une bourse. Celles-ci sont particulièrement difficiles d’accès.
Isis : Nous allons également poursuivre la lutte pour un meilleur encadrement des étudiant·es. Notre première mobilisation était une première étape en vue d’obtenir une victoire atteignable. Le recrutement de 51 assistant·es n’est pas une solution à long terme : elle concerne l’ensemble des différentes facultés de l’ULB qui compte 40.000 étudiant·es.
Nous avons prévu d’autres mobilisations avec la CGSP sur la question du sous-financement structurel de l’enseignement supérieur francophone.
En toile de fond, c’est contre la précarité étudiante que vous luttez ?
Isis : C’est ça. Actuellement, les responsables politiques considèrent que les étudiant·es doivent être pris en charge par leurs parents en dessous de 25 ans, mais c’est stupide. Certaines familles n’en ont pas les moyens : payer un logement à part entière, la nourriture et le matériel sont des coûts trop élevés. Et il n’y a pas grand-chose de prévu pour les étudiant·es qui seraient en rupture avec leur famille.
Il y a aussi les conditions de travail des jobistes. De plus en plus d’étudiant·es doivent travailler pour subvenir à leurs besoins. Pourtant, des études montrent bien que le fait de travailler pénalise les possibilités de réussir ses cours. Il faut aussi penser que les étudiant·es ont le droit à une vie en dehors des cours et du travail, c’est une question de santé mentale. Le système actuel favorise les étudiant·es bourgeois·es qui ont le temps de se consacrer à leurs cours, c’est de la pure reproduction sociale.
Sophie : Avec le système actuel, les étudiant·es sont moins payé·es que les salarié·es classiques. Les patrons profitent de la précarité pour avoir moins de frais de personnel et s’en mettre plein les poches.
Pourquoi les étudiant·es devraient se syndiquer ?
Sophie : Se syndiquer c’est connaître ses droits. Il y a beaucoup d’étudiants et d’étudiantes qui viennent à nos permanences d’entraide sociale. C’est légitime de ne pas forcément tout connaître et se taper des centaines de pages de règlements. Nous sommes là pour les informer et les défendre.
C’est aussi nécessaire pour rééquilibrer le rapport de force avec les institutions universitaires, qu’elles soient administratives ou professorales. Il faut faire comprendre que l’institution n’a pas tous les droits qu’elle veut sur les étudiant·es. Nous avons une vie en dehors du campus et des besoins à défendre : se loger, manger sainement, avoir des conditions de travail décentes, etc.
Le syndicat permet de connecter tous ces aspects et faire prendre conscience que nous avons des droits que les patrons, les propriétaires ou encore l’administration n’ont pas à avoir.
Qu’avez-vous prévu pour le 8 mars ?
Isis : Un premier élément important à préciser est que nous essayons de sortir du corporatisme étudiant. Nous ne sommes pas les seules femmes du campus. Il y a d’autres travailleuses comme le personnel d’entretien, les assistantes, les travailleuses de Sodexo, etc. Nous nous mobilisons avec la CGSP ainsi que les travailleuses d’ISS[1]. Nous essayons d’avoir les revendications qui touchent tous les secteurs présents dans l’université.
Sophie : Une des revendications du 8 mars à l’ULB porte sur les mesures de lutte contre les discriminations qui sont vécues quotidiennement par les femmes. Les cas de harcèlement et de VSS[2] sont mal traités par l’ULB et les cellules qui devraient s’en occuper. Il existe de nombreuses violences entre étudiant·es, ainsi que du corps professoral sur les étudiant·es.
Les travailleuses des boîtes de sous-traitance ne bénéficient pas de la même protection et avantages que le reste du personnel de l’ULB. Par exemple, les travailleuses d’ISS n’ont pas accès à la crèche de l’ULB ou des réductions au restaurant universitaire. Les questions liées à la maternité sont importantes, y compris chez les étudiantes.
Isis : Nous poursuivons également la lutte contre la précarité menstruelle. À la suite du 8 mars de l’année passée, nous avions obtenu des autorités que des protections menstruelles gratuites soient disponibles dans tout l’ULB. Mais l’université n’a actuellement fait qu’un projet pilote.
En termes de mobilisation, nous comptons encore rassembler plus d’une centaine de personnes sur le piquet de grève au Solbosch.
Quelle est la différence entre l’Union syndicale étudiante et les différents organes de représentation étudiante ?
Isis : Nous sommes assez critiques des élections étudiantes comme elles existent aujourd’hui. On constate que chaque année, les étudiant·es participent très peu à ces élections. Pas grand monde se sent concerné par celles-ci et connait qui sont les délégué·es.
On part de ce premier constat. En plus, la marge de manœuvre des représentant·es des étudiant·es est minime. Ils ont à peu près 20% des sièges dans les organes de concertation à pèsent très peu. Ces réunions sont également opaques et au final très peu d’informations sont partagées aux étudiant·es. Il faut développer tout un réseau de contacts pour les obtenir.
Alors, on ne nie pas que leur création a été quand même une grande victoire étudiante à un moment donné. Mais nous doutons que cette forme d’engagement permette de créer le rapport de force suffisant pour permettre aux étudiant·es d’agir sur leurs conditions.
Nous sommes également un syndicat de classe. Nous ne souhaitons pas être membres des conseils d’administration des établissements d’enseignement supérieur. Nous souhaitons plus de concertation collective, mais sans prendre la casquette d’employeur et de gestionnaire.
Nous pensons que l’affiliation individuelle permet un meilleur engagement, et surtout promouvoir la démocratie interne. Quand tu t’affilies chez nous, tu sais qui te représente et tu le choisis directement. Notre forme d’organisation est plus souple et permet à chacun·e de s’investir en fonction du temps qu’iel peut y mettre.
[1] La société de sous-traitance qui se charge de l’entretien de l’ULB.[2] Violences sexistes et sexuelles