Par Benjamin Vandevandel, détaché pédagogique Jeunes FGTB
Viktor Orban à la tête de la Hongrie depuis 2010. Le PiS gouvernant la Pologne depuis 2015. Marine Le Pen à plus de 41% lors du second tour de l’élection présidentielle française de 2022, atomisant le score obtenu par son père en 2002. Giorgia Meloni présidente du Conseil des ministres d’Italie depuis octobre 2022. Le Vlaams Belang premier parti de Flandre en intention de votes[1] juste devant les nationalistes de la NVA… L’extrême droite a le vent en poupe à travers l’Europe.
Le constat est encore plus amer car loin de s’en éloigner et de faire bar rage (si ce n’est au travers de quelques déclarations dans la presse pour donner le change), nombre de médias et de personnalité politiques banalisent certains discours autrefois exclus des « idées » défendables légitimement. Cette acceptation dans le débat public de thématiques autrefois réservées aux éructations de l’extrême droite s’explique, entre autres facteurs, par la visibilité répétée de propos de plus en plus extrémistes dans l’espace médiatique et sur les réseaux sociaux. Lorsque Zemmour affirme le 29 septembre 2020[2] que tous les mineurs migrants sont « voleurs, assassins, violeurs », les proposition de Théo Francken pour une « immigration choisie »[3], la publication Facebook de Georges-Louis Bouchez[4] associant le mot « humanisme » aux mesures déshumanisantes d’« aide matérielle stoppée dès le refus d’asile, expulsion des illégaux, regroupement familial limité et régularisations collectives rejetées » ou encore les propos de Conner Rousseau[5] déclarant ne pas se sentir chez lui en visitant Molenbeek passent au final pour relativement acceptables au regard de ce que défend le polémiste français. La fenêtre d’Overton est passée par là.
Définie dans les années ’90 par Joseph Overton, elle part du principe que les idées défendues dans l’espace public vont de « impensables » à « populaires » et ce tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique. La fenêtre exclut de l’espace public les idées « impensables » ou « radicales », mais elle est mouvante : l’apparition et la défense de nouvelles idées encore plus impensables que les précédentes permet de rendre « acceptables » des éléments jugés autrefois « radicaux »… voire « impensables ». Les délires de Zemmour au sujet du « Grand remplacement » ont rendu Marine Le Pen artificiellement beaucoup plus présentable et modérée qu’elle ne l’est en réalité. L’extrémisme de Zemmour a permis d’intégrer dans le discours politique des partis dits « traditionnels » des thématiques autrefois réservées à la droite dure et l’extrême droite : sécurité, immigration, profiteur·euses du système, …
La Belgique n’est pas étrangère à ce phénomène. Du côté francophone, l’extrême droite a bien du mal à s’organiser ; cela s’explique par l’application d’un cordon sanitaire strict depuis 1992 mais aussi par les nombreuses actions coordonnées de blocages de réunions des partis d’extrême droite, actions menées par les organisations antifascistes. Au contraire, La Flandre qui n’applique pas de cordon voit monter à presque 48 % les intentions de votes cumulées pour l’extrême droite (Vlaams Belang) et la droite nationaliste (NVA). Georges-Louis Bouchez s’est donc permis de passer outre de la position francophone en débattant, le 21 avril 2022, avec le président du Belang Tom van Grieken.
GLB s’est défendu d’avoir brisé quoi que ce soit[6], prétextant que le débat a eu lieu en Flandre. Le texte[7] du cordon sanitaire, complété en 1999 et encore réaffirmé en 2002, prévoit dans son douzième article le « refus de participer à tout débat télévisuel ou radiophonique auquel un mandataire issu de ces formations ou partis participerait »… mais uniquement du côté francophone. Le président du MR a joué de cette ambigüité pour nier toute rupture et au vu de ses dernières déclarations quand a une volonté de gouverner avec la NVA en 2024[8], on ne peut s’empêcher de penser à une volonté politique d’exister du côté flamand en faisant le plus de bruit possible… GLB prétend combattre les idées d’extrême-droite en la rencontrant ; l’histoire démontre pourtant que l’exposition médiatique ne fait bien souvent que les renforcer.
Certain·es, à gauche comme à droite, n’hésitent plus à se faire porte- parole d’idées « radicales » réactionnaires. Il s’agit d’attirer un électorat qui perd confiance : 70% des sondé·es de l’enquête Ipsos publiée en avril 2023 se disent méfiant·es et/ou dégoûté·es de la politique[9]. Si ces 70% ne votent évidemment pas toustes à l’extrême-droite, il faut les récupérer.
« Twitterisation » des idées, simplification abusive, cibles faciles, usage de termes vides de sens, … semblent faire partie des solutions choisies pour y arriver.
Contrairement à ce qu’assènent les conservateur·rices à longueur de tri- bune, il est faux de prétendre qu’on ne « peut plus rien dire » : les discours faciles, racistes, stéréotypés, masculinistes, … s’imposent de plus en plus insidieusement dans le débat public comme médiatique et ont rarement été autant présents. Le terme « woke » a remplacé « islamogauchiste » et est utilisé dans tous les bords politiques.
Tant que la gauche ne se présentera pas en Europe comme une alternative crédible au capitalisme, il est à craindre que certaines facilités argumen- tatives propres aux nostalgiques du fascisme soient récupérées dans la sphère politique classique. Restons donc toujours vigilant·es face aux dis- cours d’extrême droite et faisons de notre camp politique une alternative sérieuse ! No Pasaran !
[1] https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2022/12/02/un-sondage-revele-que-le-vlaams-belang-est-en-tete-des-intentions-de-vote-en-flandre-OLD7XLIENBDULAAU7IOLSN5PJM/
[2] https://www.rtbf.be/article/voleurs-assassins-violeurs-eric-zemmour-juge-pour-ses-propos-sur-les-migrants-mineurs-10878941
[3] https://www.7sur7.be/belgique/theo-francken-plaide-pour-une-immigration-choisie-il-faut-un-modele-comme-au-canada~a4d511ca/
[4] Propos publiés le 9 mars 2023 sur la page Facebook du président du MR et par ce dernier.
[5] https://www.lesoir.be/485455/article/2022-12-27/conner-rousseau-reitere-ses-propos-polemiques-sur-molenbeek
[6] https://www.7sur7.be/belgique/jai-brise-quoi-georges-louis-bouchez-repond-aux-critiques-au-lendemain-de-son-debat-avec-le-vlaams-belang~a6174ff3/
[7] https://www.vocabulairepolitique.be/cordon-sanitaire/
[8] https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/04/04/theo-francken-le-nationaliste-flamand-qui-aide-le-mr-a-se-rapprocher-de-la-n-va-SQCGFUEKVZBC5N2QDIUMUPF3CA/
[9] https://www.lesoir.be/505472/article/2023-04-04/grand-barometre-comment-rendre-le-gout-de-la-politique