Par Miguel Schelck, animateur des Jeunes FGTB Bruxelles
D’après un entretien avec Christophe Wasinski, professeur en sciences politiques (relations internationales) à l’Université libre de Bruxelles.
La militarisation en question :
En prélude de cet interview Christophe Wasinski, docteur en relations internationales à l’ULB, nous prévient : “Aujourd’hui, on nous communique énormément d’informations sur les conflits en cours. Les médias et certains responsables politiques participent à créer un climat anxiogène autour des relations internationales. Pourtant, la plupart des relations entre les États sont pacifiques. Le monde n’est pas à feu et à sang. Il faut le rappeler et prendre du recul par rapport à la situation que les médias nous présentent”.
Malgré cette situation relativement pacifique, la militarisation des sociétés du 21ème siècle n’est pas un phénomène nouveau. Surtout du côté des États-Unis où, dès le début des années 2000, le gouvernement augmente considérablement ses dépenses militaires. Comme il le souligne, « Les États-Unis ont choisi, en toute conscience, de se construire en puissance hégémonique à travers la force militaire, et cela bien avant l’invasion de l’Ukraine ».
En revanche, il souligne qu’en Europe le processus est plus progressif. Cela fait au moins deux décennies que les industries de l’armement cherchent à trouver des débouchés, mais “il n’y avait alors pas de demande suffisante, pas de “panique sécuritaire” justifiant des achats massifs”. Pour lui, “c’est avec l’annexion de la Crimée en 2014, puis l’agression russe sur l’Ukraine en 2022 que la donne a changé […] le climat d’inquiétude est désormais exploité pour légitimer des dépenses massives, souvent à coups d’argent public et au détriment de la sécurité sociale”.
Pourtant, l’Union Européenne et ses alliés au sein de l’OTAN sont loin d’être dépourvu·es de moyens militaires : “ Nous dépensons déjà 2,5 fois plus que la Russie sur le plan militaire. Et si l’on prend en compte l’OTAN, il s’agit de 10 fois plus que les russes ». Pour Christophe Wasinski, augmenter encore les budgets n’est donc pas une nécessité. D’autant plus si l’objectif visé est celui de réellement garantir la paix.
“Si tu veux la paix, prépare la guerre” ? :
Pour l’OTAN et notre gouvernement, augmenter nos budgets militaires serait donc la bonne voie à suivre. “Si vis pacem, para bellum” disait récemment notre premier ministre pour justifier les dépenses de la Défense. Or, pour Christophe Wasinski, cette doctrine est une croyance et non une certitude : « C’est un pari. L’Histoire montre que cela ne fonctionne pas toujours : en 1914 et en 1939, les pays européens étaient armés – et bien armés. Cela n’a pas empêché la guerre. En revanche, ce qui a fonctionné, c’est le dialogue politique. On a pu le voir durant la guerre froide par exemple ». Le professeur insiste : “Ce que nous devons défendre, c’est le respect du droit international, une diplomatie active et une vigilance constante sur le respect des traités. Nos gouvernant·es doivent aussi avoir une réflexion sincère sur le désarmement”.
En outre, nous devons dénoncer ceux qui recourent au droit international de manière partiale. Comme le rappelle Christophe Wasinski, “derrière l’apparente complexité des conflits, une fracture persiste : celle entre le Nord et le Sud global. Le droit international à double vitesse n’est pas anodin : il s’enracine dans une longue histoire coloniale et continue de façonner les réactions politiques et médiatiques. On le voit par exemple à travers le fait que le soutien des Etats à la Palestine peine à émerger dans les pays du Nord alors qu’une solidarité rapide et massive s’est manifestée pour l’Ukraine”.
Le coût social de la militarisation :
La militarisation de nos sociétés n’est donc ni justifiée, ni efficace au vu du contexte et de nos moyens militaires déjà très élevés. En outre, Christophe Wasinski nous alerte sur le fait que militariser la société a aussi un coût social : « acheter des tanks ou des avions de chasse, c’est s’endetter. Et cette dette, il faut la rembourser. Cela se fait souvent au détriment de la sécurité sociale, de la santé ou de la transition énergétique ».
Or, comme il le souligne, c’est dans le social qu’il faut investir si l’on veut garantir une société stable – d’autant plus dans la période de fascisation que nous vivons à l’échelle européenne : “Pour contrer l’extrême-droite et son nationalisme exacerbé, pour un monde durablement pacifique, nous devons renforcer notre sécurité sociale et nos services publics”. Une voix précieuse dans un moment où les discours sécuritaires tendent à étouffer toute pensée critique.