Par Lucile de Reilhan, animatrice aux Jeunes FGTB
Pour commencer, peux-tu nous expliquer ton parcours professionnel et syndical ?
Je suis infirmière de formation. J’ai travaillé 21 ans comme infirmière dans l’hôpital public Brugmann, puis 21 ans comme déléguée syndicale à temps plein d’abord au CPAS de Bruxelles et ensuite dans les hôpitaux IRIS1 . Je suis militante syndicale CGSP depuis 1974 et déléguée depuis 1979. Aujourd’hui, je continue de militer à la CGSP et à la FGTB en tant que militante féministe et pensionnée.
J’imagine que tu as vu que le gouvernement veut réduire de 3 milliards les pensions. Qu’est-ce que tu penses de ces réformes et comment cela se fait qu’elles touchent principalement les femmes ?
Chaque fois qu’il y a des réformes, les premières victimes sont les femmes.
Actuellement, il y a déjà 23% d’écart de pension entre les hommes et les femmes, et avec les mesures gouvernementales qui s’annoncent, l’écart sera encore à beaucoup plus important. On va se retrouver avec des femmes pensionnées de plus en plus pauvres. La pension minimale existe. Mais, dans les mesures annoncées, quand on dit qu’il faudra 35 ans de carrière effective pour que la pension se calcule sur base de la pension minimum, peu de femmes pourront bénéficier de cette pension minimale.
Il est également prévu de plafonner des périodes assimilées à 20% de carrière (interruption de carrière, incapacités de travail, chômage…). Ces 2 mesures combinées, 35 ans de travail effectif et plafonnement des périodes assimilées, seront particulièrement dommageables pour toutes les femmes et plus particulièrement pour celles qui prestent un temps partiel.
Il faut savoir que beaucoup de femmes travaillent à temps partiel une partie ou toute leur carrière, faute d’emplois à temps plein disponibles dans leurs secteurs ou pour répondre aux contraintes familiales. Une autre réforme qui aura un impact est la remise en question de la pension de divorcé, la pension de survie, et la pension de ménage. De plus, avec l’allongement de la carrière à 66 ans et 67 en 2030, je me pose une question : comment peut-on imaginer que des femmes aides ménagères, aides-soignantes, vendeuses, infirmières …, puissent tenir le coup jusqu’à 66, 67 ans ? Elles sont démolies physiquement voire psychologiquement. De plus, elles occupent des métiers moins bien rémunérés et à flexibilité élevée.
Cerise sur le gâteau : les propositions des négociateurs visent à réduire la rémunération pour le travail de nuit et de week-end. Ces mesures touchent donc directement le portefeuille des femmes.
Ces réformes vont-elles t’impacter (toi directement) ?
Oui, je vais être impactée car le gouvernement a l’intention de ne plus indexer de la même manière les pensions, et veut également supprimer la péréquation (ce qui est à peu près l’équivalent de l’ordre du bien-être dans le secteur privé). La péréquation des pensions est liée aux augmentations des échelles de barème du secteur public auquel le retraité est attaché. Le montant des pensions est modifié tous les 2 ans en fonction de l’impact de l’augmentation des échelles de barème.
Ce système permet de réduire les disparités entre les actif·ves et les retraité·es, et de maintenir le niveau de vie des retraités.
Une troisième attaque concerne quant à elle les futurs retraité·es : le gouvernement souhaite qu’on base le calcul de la pension sur l’ensemble de la carrière et non plus sur les dix dernières années de carrière.
Qu’est-ce que ça signifie pour toi, une pension digne ?
C’est une pension qui permet de se loger, se chauffer, se nourrir et se soigner correctement. Aujourd’hui, de nombreuses femmes se privent de soins ou de nourriture, surtout lorsqu’elles vivent seules.
Ces attaques-là s’inscrivent-elles dans un contexte plus global ?
Oui, au niveau européen, on cherche à réduire les dépenses publiques. Partout, on allonge les carrières ou on diminue les droits. En Belgique, le gouvernement libéral coupe aussi dans les services publics essentiels comme les écoles, crèches ou hôpitaux, les considérant comme des coûts plutôt que des services vitaux.
Quelles sont tes revendications pour des pensions dignes ? Quelles sont les choses pour lesquelles on pourrait se battre, en tant que jeunes syndicalistes ?
Il faut une pension minimum accessible sans critères. Les métiers lourds et pénibles doivent être reconnus pour accéder plus rapidement à la pension.
La pension doit être accessible dès l’âge de 60 ans sans pénalité.
La carrière complète doit être ramenée à 40 ans.
La réduction collective du temps de travail est aussi essentielle, avec embauche compensatoire et maintien du salaire et des conditions de travail. Cela améliorerait la qualité de vie et créerait de l’emploi pour les jeunes.
Quelles sont tes premières impressions des mobilisations en cours ?
J’étais très surprise de la mobilisation de janvier donc on peut imaginer que celle de février sera encore meilleure. Je pense que les travailleur·euses se rendent compte que tous les secteurs sont touchés par les futures mesures. Je pense qu’il faudra augmenter la pression : nous devons aller jusqu’à la grève au finish par rapport à ce qui nous attend !
- «Puis 21 ans au CPAS de Bruxelles et ensuite dans les hôpitaux IRIS, où j’ai été déléguée syndicale.» ↩︎