Devoir de vigilance : respect mondialisé des travailleur·euses et de l’environnement ?

Temps de lecture : 4 minutes
Par Benjamin Vandevandel, détaché pédagogique aux Jeunes FGTB

Le 23 février 2022, la Commission européenne déposait une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. En substance, « les entreprises doivent mettre en oeuvre des processus complets visant à atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme et l’environnement dans leurs chaînes de valeur, intégrer la durabilité dans leurs systèmes de gouvernance et de gestion d’entreprise, et élaborer leurs décisions commerciales au regard des incidences sur les droits de l’homme, le climat et l’environnement, ainsi qu’au regard de la résilience de l’entreprise sur le long terme. »[1] Si on ne peut que saluer cette initiative à l’heure de l’urgence climatique, le Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11) annonce déjà que « d’importantes lacunes devront être comblées pour ne pas passer à côté de cet objectif[2]. » En effet, au vu des limitations du champ d’application de la directive, seules 13.000 entreprises dans l’UE et 4.000 entreprises hors UE seraient actuellement concernées. Ces énormes entreprises comptent  plus de 500 travailleur·euses et réalisent un chiffre d’affaires annuel d’au moins 150 millions d’euros, nombreux sont les obstacles pour arriver à une efficacité du devoir de vigilance : législation nationale peu favorable au monde du travail et à l’environnement, responsabilité de contrôle laissée aux sous-traitants, exclusion de certaines formes de relations commerciales ou non prise en compte du travail informel[3], …  Bien qu’ambitieuse, cette directive a encore du chemin à faire avant d’être réellement efficace en termes de respect des droits humains et de l’environnement.

Prenons le cas de la filière de la banane, très illustrative de la difficulté de faire respecter les droits sociaux et environnementaux. Au cours des deux dernières décennies, la Belgique est demeurée premier ou deuxième pays importateur de bananes colombiennes en captant entre 20 et 33% des exportations. Entre 1996 et 2003, au plus fort de la terreur paramilitaire, la Belgique et le Luxembourg captaient 38% de ce marché (33% aux USA, à titre de comparaison)[4].

La production industrielle de bananes en Amérique latine est une catastrophe écologique, usant et abusant d’un « nombre élevé de pesticides hautement toxiques pour l’environnement, les travailleurs et les consommateurs[5]. » 97% des bananes commercialisées dans le monde sont d’une seule variété, la Cavendish ; sa monoculture rend les plantes très sensibles à toutes les attaques qu’elles peuvent subir (parasites, champignons, maladies, …) et nécessite donc l’usage de produits chimiques sur l’ensemble des cultures. La région d’Urabá, dans le nord-ouest de la Colombie, est particulièrement exposée à ce modèle industriel et ce sans suivi sanitaire auprès de la population qui y travaille. On estime que 85% des produits chimiques pulvérisés par les avions n’atteignent pas les cultures mais saturent toute la zone. Parmi les produits, 10,5 millions de litres de fongicides et autres produits analogues[6] sont déversés pour lutter contre le sigatoka noir (maladie courante pour les cultures de bananes et de plantains) libérant ainsi des tonnes de résidus toxiques… avec des conséquences irréparables pour l’environnement et la santé. Des quelques 15 pesticides autorisés par les autorités du pays, quatre sont considérés par ces mêmes autorités comme « hautement dangereux » et sept comme « modérément dangereux ». Certains comportent des risques élevés pour la vie aquatique et animale et sont hautement cancérigènes.

De très grandes sociétés agissent ainsi en toute impunité. Malgré la loi de 2011 imposant la restitution des terres aux communautés qui en furent chassées, seules 4% ont été de fait restituées. L’agriculture paysanne a été remplacée par des monoculture d’exploitation avec toutes les conséquences humaines et environnementales qui s’ensuivent : pollution des nappes phréatiques, déforestation, massacre du vivant, disparition d’espèces, milliers de travailleur·euses malades, handicapé·es ou décédé·es.

Le devoir de vigilance n’est qu’un levier. Seul, il ne suffira jamais à imposer des normes de travail et de respect de l’environnement au niveau international que ce soit pour l’alimentaire, le textile et tant d’autres secteurs dont nous sommes les principaux·ales consommateur·trices. Il est par contre une excellente initiative pour questionner nos modes de consommation et inverser l’accaparation des richesses par une minorité qui n’a que faire de l’environnement et de l’humain. L’exemple colombien montre combien, au regard de son poids dans les chiffres d’importation de certains produits, l’Europe en général et la Belgique en particulier pourraient faire changer bien des choses sur toute la filière de production tant sur le plan humain qu’environnemental. Au bénéfice de la planète et de ses occupant·es car si la Terre peut survivre à notre disparition, force est de constater que l’inverse ne se vérifie pas.

PS : une grande part des informations données dans cet article provient de l’ «Etude sur le devoir de vigilance en Colombie » publiée par le CETRI le 4 avril 2022. Disponible gratuitement via ce lien : https://www.cetri.be/Etude-sur-le-devoir-de-vigilance


[1] Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937, page 2.

[2] https://www.cncd.be/Devoir-de-vigilance-des-7496

[3] Pour rappel : 60% de la population mondiale travaille dans l’économie informelle, sans droits, sans État de droit, sans protection sociale ou très peu. Cette exclusion va désormais au-delà des pays en développement pourtoucher les travailleurs des plateformes, des Big Tech et des nouvelles entreprises technologiques. (« Indice CSI des droits dans le monde 2022 », page 6

[4] « Etude sur le devoir de vigilance » réalisée par le CETRI, février 2022, page 44

[5] Idem, page 38

[6] Idem, page 39

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