Paroles de vieux et perspectives de jeunes : entretien avec Philippe Poutou et Daniel Richard.

Temps de lecture : 5 minutes

Par Charlie Gelaesen, animateur des Jeunes FGTB Verviers

Le 18 avril dernier, Philippe Poutou était invité au Festival de Résistance par le CEPAG Verviétois à la FGTB Verviers-Ostbelgien. C’était l’occasion pour nous d’organiser un échange entre le militant du Nouveau Parti Anticapitaliste, et le secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB Verviers-Ostbelgien, Daniel Richard, afin de dresser un bilan générationnel.

C’était mieux avant ?

« Plus on avance, plus la jeunesse est attaquée de plein fouet par la brutalité du capitalisme. », dit Philippe. Il soulève la précarité grandissante chez les jeunes et l’importance de redévelopper une solidarité intergénérationnelle pour y faire face, après que Daniel lui ait fait un topo sur les horreurs que nous prépare le gouvernement Arizona.

Daniel évoque « la fin d’un modèle », et estime que nous arrivons à un moment charnière de l’histoire sociale, dont les organisations syndicales n’auraient pas encore pleinement conscience. « On fonctionne encore sur base d’un modèle de concertation sociale, alors qu’en fait, on n’a plus d’interlocuteurs. […] On en est à faire des grèves juste pour être reçus et entendus, pour au final ne discuter que sur les modalités et pas sur le fond ».

Philippe rebondit en faisant un parallèle avec l’écologie : « Le capitalisme, ce n’est pas que des dégâts sociaux, c’est aussi une planète qui brûle. Une machine à broyer, et on continue. Personne ne semble prêt à s’arrêter ». Pourtant, il ne désespère pas. « La jeunesse prend cher, mais elle tient bon sur pas mal de choses : les mouvements féministe, écologiste, ou encore le mouvement pour les droits des personnes LGBTQIA+ qui tient bon malgré toute la brutalité des multiples courants réactionnaires. On peut reconstruire quelque chose et les jeunes nous donnent confiance ».

La révolution, c’est pour demain ou après-demain ?

« Là où un monde s’éteint, un autre est déjà en train de naître mais cela se passe beaucoup sous les radars. Sur le territoire où tu te trouves, il y a des tas d’initiatives d’économie sociale, et si le mouvement coopératif n’est plus si présent dans le monde ouvrier, il l’est par exemple chez les producteurs locaux d’alimentation », dit fièrement Daniel à Philippe à propos de la région verviétoise, « mais nous restons surpris par la vitesse à laquelle s’opèrent les reculs », tempère-t-il.

Phillipe ajoute que « de notre temps, nous avions des certitudes en tant que militants, notamment en matière de lutte des classes ». Il cite ensuite l’évolution de multiples facteurs : les rapports de précarité, la crise du monde capitaliste, la diminution de la conscience de classe chez les prolétaires. Cela casse l’idée de sa génération que tout pouvait démarrer par la grève générale, car l’économie d’industrie était beaucoup plus présente à l’époque. Il refait le lien avec les propos de Daniel, que les choses se passent en sous-main dans des plus petits mouvements, et que ça le rend « optimiste qu’on arrivera un jour à régler nos comptes avec les salauds d’en haut ».

Daniel rebondit, en parlant des difficultés d’imprimer une dynamique révolutionnaire au sein des organisations syndicales qui mènent majoritairement la contestation sociale, en expliquant qu’elle «  n’inscrivent pas la perspective de révolution dans leur ADN. La date de la révolution ne dépend pas de nous, elle ne sera jamais décrétée par des organisations, singulièrement pas par une organisation syndicale, mais par contre, les mouvements  sociaux doivent pouvoir se préparer pour formuler les bases du modèle qu’ils veulent pour demain. Quelles valeurs, quel principe d’organisation, quel degré d’autonomie,… tout cela doit être défini ». Il aborde ensuite la question de la répression des mouvements qui ont de l’impact, citant la condamnation des 17 camarades qui ont bloqué l’autoroute à Cheratte. « C’est un signe que plutôt que s’attaquer à la production, il faudrait pouvoir s’attaquer au flux ».

L’importance de la critique au sein de l’appareil syndical

Philippe fait le lien avec la question précédente en parlant des explosions de colère spontanées comme potentiel débuts révolutionnaires. « Si ce n’est pas le début, ce sont au moins des alertes. », explique-t-il en citant les mouvements spontanés en Kanakie ou encore les émeutes suite au meurtre de Nahel en 2023 par la police à Nanterre. « Même si ce sont des mouvements de colère parfois désespérés, c’est aussi le rôle des organisations d’apporter du soutien et pour ça, elles ne sont pas à la hauteur ».

Daniel est à la veille de sa pension, et cite comme une de ses principales frustrations à son départ « la disparition progressive des formations à la pensée critique » au sein de l’organisation syndicale. Il insiste sur l’importance de ces dernières pour développer non seulement l’autonomie et l’esprit critique des militant·es face à la société mais aussi face à l’appareil syndical lui-même afin de permettre une remise en question lorsqu’elle devient vitale. Philippe est d’accord face à ce message, citant la lutte contre la réforme des retraites en 2023 en France. Il explique que  la lutte était bien partie, avec un potentiel d’en revenir à la même intensité que mai 68, pour au final tomber à plat lors du passage en force du gouvernement Macron. Il déplore l’absence de bilans à la fin des mouvements, et que cela pourrait mener à reproduire les mêmes erreurs dans les luttes suivantes. Il termine :  « La différence avec nous, malheureusement, c’est que les possédants, eux, ils ne font pas deux fois la même connerie ».

Optimisme et union des gauches

Lorsque nous abordons le dernier thème de l’entretien, Philippe embraye directement avec l’exemple du Nouveau Front Populaire en France, à la suite  de la dissolution de l’Assemblée Nationale en juin 2024. « Cela s’est fait car on était sous le choc. La menace de l’extrême-droite est passée de lointaine à demain Bardella prend le pouvoir. Trois semaines de campagne, avec dès le départ deux jours de manif, notamment de la jeunesse, qui ont foutu la pression sur les états-majors de gauche, et qui les ont poussés à trouver un accord en quarante-huit heures. Il y a un tas de gens qui se sont mobilisés dans la campagne, des jeunes, des moins jeunes, des non-militants, et l’objectif a été atteint. Y a eu une vraie popularité, partant d’une pression militante à la base ». 

Daniel, lui, souhaite terminer par un mot sur l’optimisme, citant sa rencontre une quinzaine d’années auparavant avec le résistant  français Raymond Aubrac. « Quand je lui ai demandé quelle était la principale caractéristique d’un résistant, sa réponse a fusé. Il a dit qu’il n’en avait jamais rencontré un qui n’était pas optimiste. On traverse actuellement une période sombre dans le militantisme », dit-il citant les reculs sociaux et le manque de victoires, « mais le nouveau monde en construction, même sous les radars, nous donne toutes les raisons d’être optimistes. »

Et puis, d’après Philippe, les résistant·es gagnent toujours à la fin, même si on ne sait pas quand c’est, la fin.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *