Par Lucile de Reilhan, chargée de communication aux Jeunes FGTB
En 1956, en pleine guerre d’Algérie, Fernand Iveton, militant communiste au sein du Front de Libération Nationale, place une bombe dans l’usine où il travaille. Son geste, mû par son engagement pour l’indépendance, est essentiellement symbolique : il choisit un endroit où personne ne sera blessé. Pourtant, dans un climat d’intensification des révoltes et de multiplication des attentats, l’État français décide de faire de lui un exemple en le condamnant à la guillotine.
Ce roman haletant revient sur l’arrestation de ce militant, des épisodes de torture subis lors de sa détention, et suit de près son procès. Le récit explore également les raisons de son engagement communiste et anticolonialiste, et révèle l’ampleurainsi du sacrifice, mais également ceux des milliers d’indépendantistes tués par l’Etat français en raison de leur engagement pour leur liberté et leur dignité.
L’auteur nous plonge aussi dans l’histoire d’amour qui le lie à sa femme, Hélène, qui continuera à soutenir ses engagements révolutionnaires et lui donner la force de rester digne tout au long de son enfermement.
Joseph Andras questionne ainsi à travers son premier roman les angles morts d’un récit national qui n’ose pas toujours se confronter à son passé colonial, et met en lumière les épisodes tragiques d’une période durant laquelle l’Etat français massacre sans vergogne plusieurs milliers d’Algérien·nes. Le livre propose alors une critique acerbe de l’État français de l’époque, qui, sous le prétexte de la raison d’État, légitime des actes d’une grande violence pour préserver l’ordre colonial. Outre les meurtres de milliers d’Algérien·nes, la condamnation et l’exécution de Fernand Iveton sont dépeintes comme des décisions cruelles, incarnant l’injustice et la répression de l’État.
Joseph Andras souligne les liens entre la lutte de libération nationale et la lutte des classes, en soulignant la solidarité entre les ouvriers algériens et français qui s’opposent à la domination coloniale. Le personnage (réel) de Fernand, nous permet ainsi de penser les luttes décoloniales non comme un combat racial mais bien comme une guerre de classe qui oppose les travailleurs et les modestes gens, « aux voyous qui les rançonnent et les oppriment ».
« Il ne s’agit pas, comme voudraient le faire croire les gros possédants de ce pays, d’un combat racial mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets, sans distinction de race ».
L’auteur nous invite également à considérer les luttes d’indépendances du monde entier, qu’elles proviennent d’Afrique, d’Asie, ou d’Amérique Latine, comme un ensemble cohérent ayant secoué et mis à bat les nations impérialistes tout au long du 20e siècle. À titre d’exemple, tout au long du roman, plusieurs références aux méthodes vietnamiennes de soulèvement par les armes sont évoquées par les militant·es. C’est ainsi que ce récit poignant amène les lecteur·ices à se décentrer d’une vision pacifiste des luttes pour l’indépendance, qui n’auraient pu avoir lieu sans les méthodes d’actions violentes de quelques-un·es. Les lecteur·ices pourront ainsi faire un rapprochement évident avec les luttes palestiniennes pour l’autodétermination de leur peuple qui sont menées depuis plus de 100 ans.
Pour conclure, nous dirons que cet ouvrage permet de rendre hommage à une figure historique relativement peu connue en France. Cette démarche permet de faire vivre la mémoire de la guerre d’indépendance algérienne, et de toutes les autres guerres d’Indépendances, nous amenant ainsi à mieux comprendre notre présent, et à ’inspirer nos luttes actuelles.