Justice de classe, encore et toujours.

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Par Benjamin Vandevandel // détaché pédagogique aux Jeunes FGTB.

Sanda Dia, étudiant de 20 ans, est décédé le 7 décembre 2018 à l’hôpital suite à l’ingestion massive d’huile de poisson lors d’un baptême étudiant le 5 décembre 2018. Les 18 accusés du cercle « Reuzegom¹ » ont été condamnés ce 26 mai 2023 à des peines de travaux d’intérêt général oscillant entre 200 et 300 heures et à 400 euros de dommages et intérêts. Bien loin de ce que demandait le parquet² et on ne peut plus léger au regard des chefs d’accusation dont ils ont été retenus coupables : homicide involontaire, traitement dégradant et infractions à la législation sur le bien-être animal. 

La famille de la victime demandait, au minimum, des réponses quant aux responsabilités de chacun dans le décès de Sanda ainsi qu’une condamnation figurant sur le casier judicaire des responsables. Aucune réponse au niveau responsabilité individuelle et si un casier a bien été ouvert, « le SPF Justice a fait savoir que la condamnation n’apparaîtra pas sur l’extrait de casier judiciaire. Elle sera dans leur casier, visible par les parquets, la police et les services de sécurité mais pas par leurs éventuels futurs employeurs.³ » 

Les membres de Reuzegom sont issus de « l’élite sociale ». Ils ont immédiatement bénéficié de la crème des avocat·es pour défendre leur cause. Justice de classe ? Les mots de Douglas De Coninck dans les colonnes du Morgen semblent bien en faire l’illustration : « Lorsque le scandale de l’affaire Sanda Dia a éclaté en 2020, des militants du Black Lives Matter et des twittos ont laissé entendre que, pour ces jeunes seigneurs, la justice ne serait pas rendue comme elle le serait pour d’autres. À l’issue de ce procès, on ne peut que constater qu’ils avaient correctement prédit l’issue du procès.⁴ » La vie d’un étudiant racisé ne semble pas peser bien lourd lorsque l’avenir de la jeunesse dorée de l’ « élite » flamande blanche et bourgeoise est en jeu. Ce malgré un discours de début d’année du responsable des rituels de Reuzegom ne laissant que peu de doute quant au caractère profondément raciste et violent du bizutage qu’allait subir la victime : y est mentionné « notre bon ami allemand Hilter ⁵» et demandé que « le bizutage soit « vraiment brutal » cette année⁶ ». 

La défense a insisté sur le jeune âge de ses clients, sur le fait que leur casier était vierge, qu’ils avaient été victimes d’une « chasse aux sorcières » lors de la divulgation de leur identité sur certains réseaux sociaux, … arguments entendus par la Cour étant donné qu’à la sortie du tribunal, les avocat·es des accusés se félicitaient du fait que l’arrêt de 118 pages n’allait « pas hypothéquer l’avenir des jeunes gens.⁷» 

Le décès de Sanda Dia ne serait donc que le résultat d’un simple bizutage qui a mal tourné et personne n’aurait pu anticiper le danger encouru par la victime. Ne pourrait-on pourtant pas supposer que de jeunes universitaires (dont certains étaient alors dans un cursus de médecine) peuvent anticiper qu’ingurgiter une dose massive d’alcool et 4 litres d’huile de poisson pour se retrouver ensuite immergé plusieurs heures dans un puits d’eau glacée (servant, au passage, d’urinoir) n’est pas indiqué pour la santé ? Quid de la suppression de conversations Whatsapp qui auraient pu amener une lecture des responsabilités de chacun ? Du traitement infligé aux candidats qui s’apparente à de la torture ? De l’avertissement d’une professeure de médecine avant le départ vers le chalet de Vorselaar⁸ ? Ce « bizutage » aurait-il été considéré comme tel s’il avait été le fait de jeunes racisé·es et/ou issu·es de milieux plus modestes ? Et si la victime avait été blanche ? Les agissements violents répétés et connus depuis des années du « rituel » de Reuzegom ne pourraient-ils pas, si sortis du contexte de l’université, être requalifiés en actes de torture en bande organisée ? Faire partie de l’« élite » dispense-t-il du plus élémentaire respect de la dignité humaine ? Les mots de l’avocat de la famille, Sven Mary, au sortir du tribunal, laissent en tout cas planer une illustration de justice de classe : « Oui, « une » justice a été rendue, mais était-ce celle que la famille espérait ? Ce qui est certain, c’est que les proches attendaient des réponses à leurs questions. Ils ne les auront pas. Manifestement, le silence est d’or et l’omerta a porté ses fruits.⁹ »

Sven Mary a annoncé ne pas aller en cassation. Comme s’il savait que cela ne changerait rien, au vu de l’identité des condamnés. Il n’est pas ici question d’instrumentaliser le décès de Sanda Dia, mais bien de constater que la justice rend des décisions toujours autant favorables aux intérêts des groupes dominants : criminalisation des mouvements sociaux, négation de nombre de féminicides, primauté des intérêts privés sur le collectif, complaisance judicaire envers les forces de l’ordre coupables de violences policières sur les personnes racisé·es et, ici, préservation de l’avenir de la jeunesse dorée flamande. Les mots de La Fontaine semblent toujours résonner d’une effrayante actualité : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

1. Fraternité étudiante de la KUL, connue pour être extrêmement « élitiste » et déjà pointée du doigt par GAIA en 2013 pour « cruauté envers les animaux ». Le Reuzegom, ainsi que les autres fraternités et sororités de la « Guilde d’Anvers », ont refusé de signer la « charte des bizutages » de la KU Leuven. Reuzegom est dissout en 2018 suite au décès de Sanda Dia. ↩︎
2. Des peines de prison effectives allant de 18 à 50 mois, des amendes allant jusqu’à 8.000 euros et une déchéance des droits pendant cinq ans.
   ↩︎
3. https://www.rtbf.be/article/arretez-de-proteger-lelite-blanche-les-reactions-au-jugement-dans-laffaire-sanda-dia-mort-lors-dun-bapteme-etudiant-11204441 ↩︎
4. Idem ↩︎
5. https://www.brusselstimes.com/409639/trial-on-deadly-student-hazing-of-sanda-dia-enters-fourth-day-what-happened ↩︎
6. Idem ↩︎
7. https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/31/en-belgique-la-clemence-de-la-justice-apres-un-bizutage-fatal-suscite-l-amertume_6175492_3210.html ↩︎
8. Cette professeure a croisé le cortège des « candidats » sur le site de l’université et a jugé l’état de Sanda Dia tellement préoccupant qu’elle a menacé d’appeler la police. Un des responsables, étudiant en médecine, a calmé les esprits en promettant que le baptême se terminait et que jamais ils ne laisseraient Sanda sans surveillance… deux mensonges. https://daardaar.be/rubriques/opinions/affaire-sanda-dia-une-justice-trop-clemente-envers-les-jeunes-privilegies/ ↩︎
9. https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2023/05/26/affaire-sanda-dia-le-silence-est-dor-et-lomerta-a-porte-ses-fruits-RNWEG23WCJHFRDAGO7NJUYL6WA/ ↩︎