Covid-19, Amazon, et la Vivaldi : à quand un numérique juste et égalitaire ?

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La crise sanitaire aura eu un aspect positif : savoir ce que l’on ne veut plus. Et un des éléments de la longue liste de ce que nous ne voulons plus, c’est l’exploitation des travailleuses et des travailleurs par les plateformes numériques capitalistes.

Profits versus conditions de travail

Durant les confinements, deux réalités se sont confrontées. La première est l’accroissement démesuré des profits des plateformes numériques. Amazon a vu son action s’envoler. Entre le 16 mars et le 25 novembre 2020, elle est passée de 1689 à 3185 dollars l’unité. Désormais, l’entreprise atteint une capitalisation boursière pharaonique de 1560 milliards de dollars, soit trois fois le Produit Intérieur Brut (PIB) de la Belgique. Son patron, Jeff Bezos, déjà l’homme le plus riche du monde depuis 2017, se trouve loin devant ses concurrents avec une fortune personnelle estimée à 180 milliards de dollars[1]. Pareil pour Uber ! Cette plateforme de transport par véhicule et de livraison à domicile de repas (UberEats) a vu son action tripler entre le 18 mars et le 25 novembre (14,82 à 50,80 dollars l’unité). En Belgique, selon BeCommerce Market Monitor, le secteur de l’e-commerce a connu une hausse de 20% pendant le premier semestre 2020. Certaines plateformes ont donc bien profité du confinement sans le moindre scrupule pour s’enrichir comme jamais. Elles sont les grandes « gagnantes » de cette période tragique.

La seconde réalité est l’accroissement des mauvaises conditions de travail dans ce secteur. Dans les entrepôts d’Amazon par exemple, les employé·e·s et les intérimaires urinent dans des bouteilles pour ne pas prendre de pause, s’évanouissent de déshydratation et autres malaises, attrapent le covid-19 parce que l’entreprise n’a pas pris les mesures sanitaires au sérieux, sont soumis au stress, aux intimidations incessantes et à la surveillance de leurs supérieurs et tout cela pour un salaire de 11€ de l’heure. Pour livrer les colis du Black Friday et de Noël – même des produits non-essentiels –, Amazon oblige ses employé·e·s à réaliser des heures supplémentaires et les poussent à l’épuisement. Ce géant de l’e-commerce est devenu un des premiers employeurs de la planète depuis le début de l’épidémie. L’entreprise engage plus d’un million de salarié·e·s et des centaines de milliers d’intérimaires.

Dans le cas des coursier·e·s Deliveroo ou UberEats, ce n’est pas beaucoup mieux. Leur statut est précaire et ils ne touchent parfois même pas le salaire minimum. Ils ne sont protégés contre presque rien (intempérie, accident de travail, responsabilité civile) ; peu importe qu’ils aient à parcourir des kilomètres sous la pluie ou la neige, au risque de leur vie et de leur santé, pour livrer les repas à domicile durant le confinement.

Aucune raison ne semble assez bonne pour revaloriser le travail de celles et ceux qui se tuent à la tâche derrière ces plateformes. Et même en temps de crise sanitaire, les gouvernements ne reconnaissent pas non plus les sacrifices de ces travailleuses et de ces travailleurs. Pire encore, en confortant la position hégémonique des plateformes capitalistes des Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (GAFAM), Uber, Deliveroo, on s’éloigne de l’idéal du travail décent et on accroît le travail précaire. Adieu le salaire minimum, la protection sociale, le bien-être au travail, les horaires réglementés, la sécurité et la santé dans les entreprises. Petit à petit, les plateformes gonflent leurs rangs d’un nouveau prolétariat et ont raison des règles sociales, fiscales et environnementales.

Les luttes qu’il nous faut absolument soutenir.

À l’approche du Black Friday (4 décembre 2020) et de la Noël de nombreux syndicats, accompagnés des travailleuses et des travailleurs, tentent de faire pression sur Amazon. En France, des grèves ont déjà eu lieu en novembre 2020 dans l’entrepôt de Sevrey pour dénoncer les conditions sanitaires et la surcharge de travail. Les revendications : « stop aux heures supplémentaires obligatoires, heures sup sur la base du volontariat uniquement ; prime de 1000€ pour toutes et tous intérimaires inclus ; hausse des salaires à 13€/heure ; prise en charge à 100% de la journée de solidarité pour chaque salarié·e de l’entreprise quel que soit son statut et son grade ; stop à l’espionnage des syndicats et des syndicalistes[2]. »

À Montbert, près de Nantes, le 28 novembre, 2000 personnes ont manifesté contre l’implantation d’une plate-forme de transit d’Amazon dans la région. Les manifestant·e·s dénoncent l’impact néfaste de ce projet pour l’économie locale. « À Vienne, des activistes ont recouvert d’affiches la permanence de la députée La République En Marche (LREM) Caroline Abadie pour lui demander de voter en faveur d’un moratoire sur les entrepôts du e-commerce. À Metz, des militant·e·s contre la construction de l’entrepôt Amazon à Augny ont construit un mur de la contestation. À Aix-en-Provence plusieurs associations et collectifs se sont rassemblés aujourd’hui pour dénoncer “les méfaits d’Amazon et de son monde”. À Bordeaux, des activistes ont mis hors service huit boîtes de dépôts Amazon. Ils ont placé des affiches revendicatives sur les armoires des Amazon Lockers afin de rendre visibles à leurs utilisateur·trices les méfaits de la multinationale »[3].

En réalité, les conditions de travail sont si graves que les menaces de grèves sont courantes partout en Europe et dans le monde. En Allemagne, suite à l’appel du premier syndicat allemand Verdi, les employé·e·s d’Amazon enchaînent les grèves depuis novembre et intensifieront leurs actions à l’approche du Black Friday. La campagne #makeamazonpay se propage. Vendredi 4 décembre, des actions de protestation auront lieu dans la chaîne d’approvisionnement d’Amazon au Brésil, au Mexique, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne, en France, en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg, en Italie, en Pologne, en Inde, au Bangladesh, aux Philippines et en Australie[4].

Nous devons nous montrer solidaires avec ces mouvements, qu’ils viennent des centres logistiques d’Amazon ou des coopératives de coursier·e·s Deliveroo, ils luttent tous pour un numérique plus juste et égalitaire 

Une porte ouverte par la Vivaldi ?

Dans son accord de gouvernement, la Vivaldi aborde à plusieurs reprises l’impact de la numérisation. Dans le cadre de cet article, deux éléments retiennent notre attention : la volonté de créer une taxation numérique – comme il est recommandé par l’OCDE et l’UE – ainsi qu’une attention particulière à l’économie des plateformes :

« Une attention particulière sera accordée aux personnes actives de manière structurelle dans l’économie de plate-forme afin de leur offrir de bonnes conditions de travail et une meilleure protection sociale. Il convient de lutter contre le phénomène des faux indépendants et des faux salariés. À cet effet, en collaboration avec les partenaires sociaux et les secteurs concernés, la loi sur la nature des relations de travail sera évaluée et, au besoin, adaptée ».


Accord de gouvernement Vivaldi

Une porte ouverte que les syndicats, les travailleuses et les travailleurs des plateformes, les coopératives de coursier·e·s et d’autres mouvements progressistes doivent s’empresser d’ouvrir pour exiger un grand moratoire sur les plateformes capitalistes et leurs méfaits. En fonction du rapport de force, cela peut aussi bien être une porte ouverte à l’ubérisation – la précarisation et la prolétarisation – qu’à la valorisation et l’émancipation des emplois et du travail. La Vivaldi peut – comme l’ancien gouvernement – offrir un tapis rouge aux plateformes en leur créant des cadres juridiques favorables (comme la loi Decroo ou la loi sur l’économie collaborative qui sera abrogée le 1 janvier 2021) ou, au contraire, changer radicalement de cap et mettre fin à la « silicolonisation[5] » du monde en adoptant des mesures strictes (travail de nuit, salaire minimum, cotisations sociales) pour limiter et encadrer ces plateformes capitalistes.

Il ne s’agit pas que d’un secteur, le numérique, mais bien de l’avenir du travail lui-même. Amazon, Uber, Deliveroo, ce ne sont pas que des entreprises : c’est surtout et aussi un modèle. Un modèle économique et une vision de société contre lesquels il faut lutter. Sans lutte, la « silicolonisation » poursuivra son chemin. Heureusement, l’issue de cette crise n’est pas encore déterminée. À nous de suivre l’exemple de ces luttes, de saisir chaque occasion, chaque opportunité et de travailler à changer de modèle.

Yoann Jungling, conseiller de la FGTB Liège-Huy-Waremme sur les enjeux du numérique et auteur de « Vivre à l’ère d’Uber et d’Atlas : entre progrès et régression ».


[1] 24 novembre 2020

[2] La CGT Amazon France Logistique, Appel à la grève pour toute la période Q4 2020 du 24/11 au 31/12/2020

[3] https://france.attac.org/se-mobiliser/stoppons-amazon-avant-qu-il-ne-soit-trop-tard/article/les-actions-stopamazon-2020-en-france

[4] https://www.vice.com/en/article/epdvzp/amazon-workers-to-stage-coordinated-black-friday-protests-in-12-countries

[5]Tiré de « La Silicon Valley (« vallée du silicium ») qui désigne le pôle industriel situé sur la côte ouest des États-Uni caractérisé par la présence importante d’entreprises évoluant dans les techniques de pointe comme facebook, ebay, google, etc.

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